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1er article


La rencontre de deux soldats Périgourdins

Au début de la 1ère guerre mondiale




Les courriers de Joseph Gouzou


La Première Guerre mondiale est la première des guerres où tant d'hommes engagés dans un conflit savent écrire. Dès cet instant, lors des moments de répit, l'écriture devient l’un des moyens de s’évader du monde des tranchées.

Les courriers de Joseph Gouzou représentent une source de premier ordre pour celui qui désire découvrir la vie quotidienne d’un soldat de 14-18, tout en faisant un parallèle avec l’un de ses compagnons d’arme, Adrien Neyssensas, pour lequel nous ne détenons aucun écrit.

Nous allons faire connaissance avec Adrien et ainsi aborder la guerre à partir du regard personnel et intime de Joseph.

Les documents cités sont issus des sites « Chtimiste », Archives de la Dordogne et Généanet tous en consultation libre.

En aout 2025, je découvre sur le site « chtimiste » consacré à la 1ère guerre mondiale, la correspondance d’un Caporal du 126ème régiment d’infanterie de Brive nommé Joseph Gouzou originaire de Manzac sur Vern en Dordogne. Joseph deviendra sergent au 43ème régiment d’infanterie en novembre 1914.

Présenté par « Max » comme étant un cousin de son beau-père, Joseph Gouzou a écrit un peu plus de 300 courriers à ses parents entre le 5 aout 1914 et le 24 septembre 1916.

Dans le courant d’avril 1915, sur un secteur du front, Joseph est aux côtés de « deux soldats du pays : un de Grignols, Veyssière dit « Cariolet », et un de Montanceix, Neyssensas, mais ils ont été blessés tous les deux le 5 avril ». (Courrier du 16 avril 1915 à ses parents, voir ci-dessous).

Dans l’attente que « Max » me contacte et sans avoir eu de retour par mail du responsable du site, je publie quelques extraits des courriers de Joseph Gouzou….

Le patronyme Gouzou n’est pas inconnu dans la famille Neyssensas de Saint-Léon sur l’Isle.

Une fratrie de 3 enfants, fils de Catherine Gouzou et Martin Neyssensas, décède au front entre 1914 et 1918. Voir article ci-dessus. Les parents et ancêtres de Catherine Gouzou sont originaires de Grignols.

Présentons tout d’abord Joseph Gouzou d’après sa fiche matriculaire disponible aux archives du Périgord sous la référence 02R1042, puis Adrien Neyssensas et Ludovic Veyssière.

Joseph nait le 18 mars 1891 à Manzac, canton de Saint-Astier. Il porte le matricule de recrutement 353 de la classe 1911. Joseph est décrit le visage long, les cheveux châtain foncé, taille 1 m 66, et degrés d’instruction 3, (3 pour un jeune homme qui sait lire, écrire et compter - instruction primaire).

Joseph est cultivateur à Manzac avec ses parents, Jean Gouzou et Jeanne Hivert.


Ils ont rencontré Joseph

Il est incorporé au corps, soldat de 2ème classe, le 8 octobre 1912, nommé Caporal le 9 novembre 1913, puis Sergent le 11 novembre 1914, affecté au 43ème régiment d’infanterie le 23 février 1915.




Le bataillon auquel appartient Joseph est composé d’environ 1000 hommes. Joseph, par voie ferrée, quitte son cantonnement le 13 janvier 1915 pour son instruction à Oiry, Saint-Hilaire-au-Temple dans la Marne.


Le Café de la Gare d’Oiry en mars 1915

Quelques militaires attablés

Il est vraisemblable qu’Adrien Neyssensas incorpore le 43ème le 14 février 1915 après une formation qui s’échelonnera du 2 aout 1914 au 13 février 1915. (Voir son parcours personnel ci-dessus).

Quant à Ludovic Veyssière, il incorpore le 43ème le 26 mars 1915. Ludovic porte le matricule de recrutement 98, classe 1912, cheveux châtain foncé, les yeux marrons, il mesure 1m64. Son degré d’instruction est de 2.

Ludovic est né le 28 juin 1892 à Grignols, canton de Saint-Astier, cultivateur comme ses parents, Jean et Marie Besse. Après la guerre Ludovic est classé affecté spécial à l’usine de chaussures Georges de Saint-Astier en qualité de monteur en chaussures.




Adrien et Ludovic passeront tous deux par le 108ème régiment au tout début de leurs affectations.



Joseph écrit :


Le     28 février 1915

« Cher Monsieur,

Hier, j’ai été affecté à ma compagnie, la huitième. J’ai très bien réussi car j’ai comme commandant de compagnie un bon capitaine qui est là depuis le début de la campagne, ce qui est rare en ce moment. Je ne crois pas rentrer dans les tranchées de 7 à 8 jours.

On est en train de vacciner les hommes du corps d’armée ; avec ça on va pouvoir un peu s’habituer à cette vie de pirate et au grondement du canon. On est à environ 6 kilomètres des lignes de bataille, et depuis que nous sommes là, le canon n’a pas cessé de tonner une seconde, si bien la nuit que le jour. C’est juste là que l’on veut faire une trouée si c’est possible. Enfin le temps n’est pas trop mauvais, mais malgré ça, la vie n’est pas la même qu’à Brive.

On a comme logement des cabanes creusées dans le sol et recouvertes de terre. Je termine avec espoir que bientôt, nous aurons pu débarrasser le territoire belge et le nôtre, et alors revenir vous voir avec une paix éternelle ».

15 mars 1915

« Mes chers parents,

Je fais réponse à votre lettre que je viens de recevoir hier. J’ai été très heureux de voir que vous êtes tous en très bonne santé.




Je vais vous dire que nous avons été relevés depuis avant-hier des tranchées, on nous a amenés en auto en arrière de Châlons où nous devons rester au repos au moins jusqu’à la fin du mois. Là, on est très bien. Tout ce qu’il faudrait, c’est que ça puisse durer.

Vous me demandez si je connais quelqu’un. Je suis venu avec vingt sergents de Brive. On était 3 de la 28ème. Nous sommes restés ensemble à la 8ème du 43ème. Hier, il en est encore arrivé d’autres de Brive. Hier, je suis allé à la messe. Presque tous les soirs, on va aller au salut. Je suis avec des gens bien plus religieux que dans notre pays. Cela me fait beaucoup plaisir. Quant aux Pâques, je compte bien pouvoir les faire avant de retourner aux tranchées… ».



Il est intéressant de reprendre l’Historique du 43ème et établir un parallèle avec les évènements décrits par Joseph.

 Les 13 et 14 mars 1915, le Régiment est relevé de cet absorbant secteur, après avoir subi un échec, le 3 mars, dans l’attaque du Bois Oblique, et après avoir arrêté, le 4, une vigoureuse poussée allemande.

Transporté en camions, le Régiment débarque à Cheppy où il demeure jusqu’au 20 mars.


21 mars 1915

« Mes chers parents,

Je viens vous donner de mes nouvelles toujours très bonnes. Aujourd’hui, je croyais aller faire mes Pâques. Il a fallu changer de cantonnement. On est partis ce matin à 5 heures. On a 35 km à faire en deux jours, ce qui n’est pas beaucoup. On est arrivés à côté du village où nous devons coucher ce soir à huit heures par un superbe soleil. On doit y rentrer ce soir à 5h pour repartir demain matin pour le nouveau cantonnement où nous resterons encore quelques jours ».

Le 21, Joseph, Adrien et Ludovic sont à Saint-Gibrien et le lendemain à Chaintrix. Le 43ème est passé en revue le 25 par le Général Joffre, et après s’être arrêté les 27 et 28 à Clamanges, il embarque à Sommesous pour Longueville.

Le soir même, il cantonne à Ressons et après une journée de repos, il se rend dans la Woëvre par étapes successives. Il est le 31 mars à Brize-la-Grande, le 1er avril à Heippes.



1er avril 1915

« Chers parents,

Hier, j’ai reçu le colis avec plaisir. Les gaufres étaient très bonnes ainsi que le chocolat. Je vous remercie beaucoup. D’alcool de menthe, je n’en avais pas beaucoup besoin. J’ai le flacon que j’avais acheté avant de partir et qui est à peine entamé ; et celui que vous m’aviez envoyé, je l’avais donné à un camarade. Enfin, celui-là, je le garde ; mais on n’en use pas beaucoup, car on ne fait pas beaucoup de marches et il ne fait pas très chaud. Des mouchoirs, j’en avais assez. Les chaussettes servent toujours ; mais comme linge, ne m’envoyez rien, on en touche suffisamment. Ce soir, nous sommes relevés ; nous allons à 15 km en arrière pour 15 jours.

 Le temps n’est pas trop mauvais, ces jours-ci, il tombe quelques averses. J’ai toujours des bonnes nouvelles de mon oncle Boulenzou (Pierre Fourgeau). Vous me dites que Clament (Frédéric) et Fruchou sont en permission. Tant mieux. Moi aussi, je compte bien y aller vers la fin du mois. Mais comme je vous ai dit déjà, n’y pensez pas trop, c’est tellement vite changé qu’il vaut mieux ne pas s’y attendre. Ici, toujours la même chose : quelques coups de canon, mais front toujours calme. Pas grand-chose pour le moment. Je suis toujours en bonne santé et espère que vous êtes tous de même.

En attendant le plaisir de se voir, recevez de votre fils ses meilleurs sentiments d’amitiés ».

Joseph, Adrien Neyssensas et Ludovic Veyssière sont le 2 à Dugny, le 3 dans la région de Ville-en-Woëvre. Le 4, les chefs de Bataillon et les Commandants de Compagnie, appelés pour une reconnaissance sur le front situé en avant du village d’Hennemont reçoivent communication d’un ordre d’attaque pour le lendemain.

Joseph, ne reverra pas Adrien et Ludovic, en effet, tous deux sont blessés lors de l’une des batailles de la Woëvre dans les Hauts de Meuse, le 5 avril 1915 au bois de Pareid.



Le 5 au matin, le Régiment est tout entier en ligne, face au bois de Pareid, son objectif.

Le Bois de Pareid se situe entre Verdun et Metz à proximité de Maizeray. Devant lui, un glacis en pente douce monte insensiblement jusqu’aux tranchées allemandes situées à 1200 mètres. Il pleut et il fait froid. Enveloppés dans leurs couvertures et leurs toiles de tentes, accroupis au fond d’un fossé, les hommes subissent de fortes averses. Toujours insouciants, ils attendent l’heure prévue pour l’assaut.




14 h 20 ! Les masses informes qui somnolaient dans la terre gluante se sont agitées ; elles sont parties à découvert vers le point lointain. Et maintenant le régiment est debout sur la plaine, tout entier déployé sur une seule ligne, le long de laquelle courent et se multiplient les étincelles des baïonnettes. L’ennemi est loin et il a vu. Ses mitrailleuses crépitent. En nappes profondes, les balles rasent le sol, frappant et tuant sans relâche.

Et cependant, malgré la mort qui fébrilement fouille les rangs, les assaillants montent calmes et résolus vers l’objectif qui grandit. Mille mètres sont franchis et l’élan n’est pas encore brisé. Mais le double réseau ennemi dresse non loin de là ses piquets intacts le long desquels s’enchevêtrent en une broussaille profonde et infranchissable les rangs entremêlés de fils de fer barbelés. C’est là que, dans un ultime élan, les plus vaillants vont succomber, 23 officiers et 511 hommes disparaissent ce jour-là.

Extrait : Historique du 43ème Régiment d’Infanterie - Imprimerie Berger-Levrault - Paris

Deux autres Périgordins sont parmi les « tués à l’ennemi » ce 5 avril :

Vassal Léon Élie de Cénac et Lacoste Gustave Bertrand de Terrasson.

Le Régiment est relevé le 7 avril 1915 et mis au repos près de Verdun, à la caserne Chevert, où il fait son entrée le 9.




Adrien est en convalescence après sa fracture à l’humérus gauche du 6 avril au 28 septembre 1915.

Veyssière Ludovic est blessé le 5 avril 1915 par un éclat d’obus à la tête. Il venait d’arriver au 43ème après une première blessure en novembre 1914 (éclat d’obus au doigt et à la jambe gauche). Il sera blessé une troisième fois le 24 juin 1916 (éclat d’obus jambe droite) et une quatrième en novembre 1916 (éclat d’obus épaule droite). Il survivra à la guerre et gardera des « corps métalliques » dans le tibia droit et la cuisse gauche. Voir infos Chtimiste.

Le courrier de Joseph, écrit le 16 avril, mentionne bien le départ du 43ème d’Adrien et Ludovic après blessures.




16 avril 1915

« Mes chers parents,

« Hier, je viens de recevoir vos lettres datées du 8 et 10 avril ainsi que le colis. Ce qui me surprend, c’est de voir que vous me dites que vous ne recevez pas de nouvelles ; il faut que les lettres s’égarent car j’écris souvent. Vous dites que la dernière était datée du 15. Pourtant depuis, je vous en ai envoyé au moins 10. C’est vrai que depuis le 29, on a été en marche et on ne recevait même pas les vôtres. Alors, je donnais mes lettres à n’importe qui en passant dans les villages, soit les artilleurs ou le génie qui peut-être souvent les perdaient au lieu de les donner au vaguemestre. Enfin, malgré ça, vous devriez en recevoir quelques-unes. Le colis parti du 21 mars est arrivé seulement 3 jours avant l’autre que vous m’aviez envoyé le 8 avril.

J’ai reçu aussi les deux lettres recommandées avec dix francs chacune. Je vous prie, ne m’en envoyez plus car j’en ai assez, avec 34 sous que je gagne par jour. Si je vous ai dit que l’on change de secteur, c’est le secteur de front, mais jamais de secteur postal, le numéro postal est toujours le même. J’avais avec moi deux soldats du pays : un de Grignols, Veyssière dit « Cariolet », et un de Montanceix, Neyssensas. Mais ils ont été blessés tous les deux le 5 avril.

Je vous renouvelle aussi, si parfois la lettre est perdue, que j’ai pu faire mes Pâques le jour des Rameaux. En ce moment, nous sommes au repos à 1500m de Verdun dans une caserne. J’ai un bon lit, voilà déjà 6 jours. Je pense y rester encore quelque temps. Le temps est superbe, il fait un beau soleil ».


8 mai 1915

« Chers parents,

 C’est étant en très bonne santé que je vous écris. Hier, j’ai reçu votre paquet ainsi que la lettre recommandée avec 10f. Je vous remercie beaucoup, seulement, je vous renvoie l’argent. Je mets 30f dans la lettre, il me reste assez pour mon service. On touche notre prêt régulièrement tous les dix jours. J’envoie aussi mon tricot de laine ; ne m’envoyez rien jusqu’à ce que je vous le demande. Quand vous aurez reçu, vous me le direz. J’ai assez de bas et de mouchoirs. On en touche assez souvent. Vous pourrez laver le tricot au cas où il y aurait des œufs de petites bêtes, car c’est là principalement que ça aime être. » « Il y a déjà quelques jours que je n’ai pas reçu de nouvelles de Boulenzou - Pierre Fourgeau, mais ça ne m’étonne pas, car lorsqu’on change de place, la correspondance est très difficile.

On n’avait pas encore relevé le 127ème. Il avait demandé à rester 12 jours dans la tranchée. On y va ce soir ; nous serons 4 jours en 1ère ligne, 4 jours en 2ème et 4 dans un village ; puis on revient à l’arrière. On n’avait plus eu un secteur pareil. Depuis 12 jours, le 127ème n’a encore pas un blessé. J’espère que ça va être calme pour nous aussi. Je vous écrirai quand je serai dans la tranchée. Je termine avec espoir que vous êtes tous en bonne santé.

Votre fils qui vous embrasse. »

Ps : « Bonjour à mes parents, à Raoul et aux voisins. Je suis très content de rentrer dans la tranchée pour pouvoir me reposer ; à l’arrière, on nous fait faire des marches tous les jours. Le temps est superbe. »


Mardi 11 mai 1915

« Chers parents,

Voilà 3 jours que je suis dans la tranchée. Comme je vous l’avais dit, je viens vous donner de mes nouvelles toujours très bonnes. Ici, on est très tranquilles, on ne se croirait pas à la guerre, on ne tire pas un coup de fusil, ni on ne reçoit d’obus. On ne reçoit pas d’obus, on a des souterrains profonds de 2 à 3m où on peut dormir en sécurité. C’est très curieux à voir. Où je suis, on est deux : l’adjudant et moi. On a une table, chacun son petit tabouret, et de la paille à volonté, c’est à dire une belle petite chambre de guerre. Ce n’est plus le même adjudant. L’autre est blessé depuis le 5 avril. Celui-là a un an de moins que moi, il était fourrier quand je suis arrivé ; il a été nommé depuis un mois. »

« Vous me direz si vous avez reçu le tricot et la lettre recommandée avec 30F. La lettre faite, avant la carte du … que j’ai reçu ce matin, n’est encore pas arrivée. Vous voyez que ce n’est pas toujours régulier. J’ai reçu un petit paquet venant de ma tante Louise (FOURGEAU). Je termine avec espoir que vous êtes toujours en bonne santé. Votre fils qui vous embrasse. »

PS : « Je vous envoie une fleur cueillie à côté de la tranchée. Les vignes doivent être bien belles. Nous sommes en 1ère ligne, nous serons relevés demain soir pour aller en 2ème. Bonjour aux voisins et à Raoul. »


Samedi 13 juin 1915

« Mes chers parents,

C’est étant toujours en très bonne santé que je vous écris. Je suis en 1ère ligne depuis hier, pour le même nombre de jours comme à passer en 2ème.

On est très tranquilles, les boches ne nous embêtent pas trop ; on a un très bon « gourbi » : c’est le nom de notre maison souterraine. On y est à trois : l’adjudant et le sergent qui est à la section avec moi. Vous me demandez si j’ai des camarades sur lesquels je puis compter. Je peux vous répondre que oui. Jamais je n’en avais trouvé de meilleurs. Il se trouve même beaucoup d’hommes de la contrée, des départements voisins qui ne sont pas meilleurs que les autres ; il y en a des bons et des mauvais dans tous les pays.

J’en ai un qui est de Coursac dans ma compagnie. Il s’appelle Dumas. Il a un an de plus que moi. Il travaillait à la scierie qui se trouve à côté du charron et aubergiste Siquier. C’est un brave garçon. Il était avec moi déjà depuis longtemps que je n’en savais rien.

Il était venu avec les deux qui ont été blessés le 5 avril, Veyssière Ludovic et Neyssensas Adrien.

 Il y en a beaucoup d’autres de Brive, Tulle, Terrasson, Bergerac, Sarlat, Saint-Yriex, enfin des environs. Ils viennent des régiments de la division : 50, 108, 126, et 100. Quant à ceux qui sont sur la carte, il n’y en a qu’un de La Force, c’est celui qui est à ma gauche, un engagé du mois d’août, il est tout jeune, de la classe 1916.

Les autres sont de Lille, Roubaix et Calais. Le sergent-major qui se trouve en avant de celui de La Force est parisien. Alors, vous voyez qu’il y en a un peu de partout. »

« Je trouve que les récoltes sont beaucoup avancées. Il se trouve un champ de blé entre nous et les boches qui sont à 350m. Il est tout en épis.

Avant-hier, j’ai goûté des cerises qui se trouvent à la lisière d’un bois où l’on était pendant 20 jours. Elles sont bien mûres. Le temps est magnifique. On a eu de l’orage pendant 2 jours, ce qui ne nous a pas fait de mal, malgré que nous ne demandions pas l’eau. A présent, il s’est remis à la chaleur.

Je termine en vous désirant une bonne santé à tous. Pour moi, je n’ai encore pas connu la guerre. Pour la santé, je suis aussi bien qu’avant de partir. Votre fils qui vous embrasse »

PS : « Bonjour à mes parents, aux voisins et à Raoul. »


16 juillet 1915

« Mes chers parents,

Hier au soir, j’ai reçu une lettre et le colis avec les pêches qui m’ont fait beaucoup plaisir malgré que toujours secouées quoiqu’elles aient été bien emballées, elles se trouvaient presque cuites. Ce matin, j’ai mangé le quartier d’oie qui était fameux. Mon camarade le sergent a trouvé ça à son goût, ainsi que les grillons de l’avant-dernier paquet. Vous direz merci à Maria de ses bonnes pêches.

C’est avec beaucoup de chagrin que j’ai appris la mort du pauvre Dupuy ; c’est bien malheureux surtout que Damon n’a pu être là. Enfin, je vois que la vie est bien dure. Que vont faire ces pauvres femmes ?

Tant mieux que vous ayez presque fini de rentrer les blés. Vous devez avoir beaucoup de travail pour aider les autres. Je suis au repos depuis hier matin. Je termine avec espoir que vous êtes tous comme moi en très bonne santé. Votre fils qui vous embrasse. »

Ps : « Bonjour à Raoul et aux voisins ainsi qu’à tous mes parents. »


10 août 1915

« Mes chers parents,

Hier j’ai reçu le bon colis que vous m’avez envoyé. Tout était en très bon état. Les gâteaux ainsi que le fromage étaient délicieux. L’eau de Cologne et la boîte de pâté y étaient aussi. La veille, j’avais reçu de ma tante Louise Fourgeau des pêches qui étaient très bonnes. Je lui ai écrit en même temps qu’à vous pour la remercier. Quant aux fruits, ne m’en envoyez pas, on est dans un pays où il y en a beaucoup ; on peut avoir ce qu’on veut, et pas cher.

Je suis bien content que tous mes oncles aillent en permission, moi aussi, je compte toujours partir.

Hier, j’ai par hasard rencontré le fils Chastanet Joseph. On a pu passer la journée ensemble. Nous, on se trouvait de faire une halte dans un bois où l’on est restés de 10h du matin à 8h du soir. Vers midi, j’étais en train de dormir à l’ombre d’un chêne quand il est venu me réveiller. Il avait demandé juste à des hommes qu’il a entendu parler le patois, s’il y en avait beaucoup de la Dordogne. Le premier qu’il a trouvé était de ma section et lui a donné mon nom. Voilà comment on se trouve à la guerre. On a été bien contents ; on a pu boire un litre de vin blanc ensemble. Lui est bien heureux, il est dans les aérostiers. Ce sont des ballons captifs qui se trouvent à une dizaine de kilomètres de la ligne, et qui servent étant dans l’air de postes d’observation. Au moyen de jumelles, ils aperçoivent tout ce qui se passe jusqu’à 20 km.

Je vais samedi dans le village où il se trouve. A l’instruction du tir où tous les hommes passent, on y reste 4 jours chacun. Si vous voyez ses parents, vous pouvez dire qu’il est en très bonne santé. Pas grand-chose à vous dire, je suis toujours en bonne santé. Votre fils qui vous embrasse. »


18 septembre 1915

« Mes chers parents,

C’est avec plaisir que ce matin j’ai reçu votre carte m’annonçant votre bonne santé. Moi aussi, je vais bien. Je me trouve en repos. Nous faisons des travaux et sommes relevés tous les deux jours ; nous sommes dans un bois où par un temps superbe comme nous avons, on est très bien. L’autre jour, j’ai très bien fait mon voyage. J’étais avec Nadal de la Tabate et le beau-frère de Lacueille qui demeure à Montanceix.

En passant à La Cave, j’ai pu voir Marie Vidal. A Périgueux, j’ai été voir Léody, on a bu un verre ensemble. Après avoir acheté mes guêtres aux Nouvelles Galeries, je lui ai repris mes molletières. J’ai pris ma montre chez Lestrade. Mon bras est complètement guéri. Il ne m’en est pas poussé d’autres. Ici, toujours la même chose, le secteur est calme. Pas grand-chose à vous dire si ça n’est que je vous désire une excellente santé à tous. Votre fils qui vous embrasse. »

Ps : « Bonjour à mes parents et aux voisins. J’attends toujours cette paix avec impatience. Envoyez-moi une chemise, celle que j’avais a été mangée par les rats pendant que j’étais en permission. »

 

24 décembre 1915

« Mes chers parents,

Voilà Noël qui arrive.

Ce soir, je vais à ma compagnie qui se trouve sortie des tranchées depuis 2 jours. Nous devons faire un petit réveillon et chanter Minuit chrétien ensemble. J’aimerais bien mieux être auprès de vous tous. Enfin, c’est ainsi. Espérons que ce beau jour viendra ; malgré la guerre, je ne suis pas malheureux de trop.

Ce soir, j’ai vu l’aumônier. Demain matin, je dois aller à la messe de 6h ½. Unissons nos prières et dieu nous protégera. Pas grand-chose, je suis en parfaite santé et espère que vous êtes tous de même. Votre fils qui pense à vous. »

Ps : « Aux cours, on a repos 48h. Pour remplacer la journée de Noël, on reste un jour en plus. Je rentre à ma compagnie mercredi soir. Bonjour à tous mes parents et voisins. De votre fils ses meilleurs baisers. »


28 décembre 1915

« Mes très chers parents,

A l’approche de ce nouvel an, je viens vous offrir mes meilleurs vœux de bonne année et de bonheur. J’espère que la nouvelle année va permettre d’avoir la paix et de nous réunir pour une vie heureuse. Je suis en parfaite santé et espère que vous êtes tous de même. Recevez mes meilleurs baisers. Votre fils »


31 décembre 1915

« Mes chers parents,

En ce dernier Jour de l’An, je viens vous donner quelques nouvelles qui sont très bonnes. J’espère que l’année 16 que nous allons commencer demain sera meilleure et plus gaie que celle que nous terminons aujourd’hui.

Ce qu’il faut demander à dieu, c’est qu’il nous donne cette paix attendue depuis si longtemps et qu'il nous protège comme on l'a déjà été. Ici, rien de nouveau, le secteur est calme ; le temps superbe pour la saison.

Je suis en parfaite santé et espère que vous êtes de même.

Votre fils pour la vie. »


3 janvier 1916

« Mes bien chers parents,

Je vais vous donner de mes nouvelles qui sont toujours bonnes.

J’espère que vous êtes aussi tous en bonne santé. C’est aujourd’hui la relève, nous allons au repos pour 6 jours. Nous avons un temps très beau, nous n’avons pas de froid ; ce qui est embêtant, c’est qu’il pleut un peu de trop ; mais voilà la lune qui va être nouvelle, peut-être que le temps va se mettre au froid, ce qui tout de même serait meilleur que la pluie. Le secteur est très calme.

Si on peut passer là l’hiver, on est bien tranquilles. Hier, nous avons fini le poulet ; il était très bon ; on était à quatre, car dans ma section, on est 3 sergents depuis 3 semaines et l’adjudant. Ils ont trouvé très bon et m’ont chargé de vous remercier pour eux.

Pour les pastilles, ne vous faites pas de mauvais sang ; je ne suis pas enrhumé, ce n’est que pour la nuit quand je suis de service, ça fait passer le temps. J’ai reçu celles que vous m’aviez envoyées et je n’avais encore pas fini la 1ère boîte. Toujours des bonnes nouvelles de mes oncles. Je pense que Paul doit arriver bientôt ; mais ça ne marche pas vite. Je ne pourrai jamais venir avant 3 mois, et encore il faut que ça aille bien. Enfin les permissions, c’est bien beau, mais il vaudrait encore mieux la paix. Je termine en vous désirant une bonne santé à tous.

Votre fils qui ne cesse de penser à vous tous, et vous embrasse. »

Ps : « Bonjour à mes parents, les voisins, et le brave Michet qui j’espère saura bien me remplacer en vous soulageant dans vos travaux.

Ma chère mère, tu voudras bien me dire si la bague d’Elia irait à ma marraine. Je pense qu’il faudrait plus grand. Nous avons demain soir un beau lièvre à manger. La veille du premier janvier, j’en ai fait tirer deux à mon lieutenant. Ils étaient à côté de mon gourbi le soir à la tombée de la nuit. Il a bien voulu nous en donner un. Ici, on ne voit que du gibier. »


31 janvier 1916

« Mes très chers parents,

Je réponds à votre lettre que j’ai reçue hier au soir, laquelle me donne toujours de bonnes nouvelles. Moi, la santé continue à être bonne. Depuis hier au soir, je suis revenu en 1ère ligne, pour 6 jours ; toujours même secteur calme.

Nous avons un temps merveilleux : il ne pleut ni ne fait froid.

Vous dites de faire attention à moi. Vous devez savoir que si j’ai eu des galons, je les ai acceptés ; mais jamais je n’ai exposé ma vie pour si peu ; car à mon point de vue, ce n’est rien du tout.

Je suis ici pour faire mon devoir jusqu’au bout ; mais non pour faire des bêtises, et avoir la folie d’une citation ou d’un bout de galon. Prenons le temps comme il vient.

C’est avec plaisir que je vois que vous m’annoncez un colis. Je vous remercie, mais vous m’envoyez beaucoup. Espérons que bientôt nous verrons arriver cette paix. Recevez de votre fils ses meilleures amitiés. »

Ps : Bonjour à mes parents et aux voisins.


1 février 1916

« Mes chers parents,

Je vais vous donner de mes nouvelles toujours bonnes ; j’espère que vous êtes de même en très bonne santé.

Il est 5h du soir. Voilà une journée en plus de passée. Combien en avons-nous passé déjà de ces journées tristes, et encore si l’on voyait une paix prochaine. Enfin espérons que ce sera bientôt.

Peut-être si les zeppelins revenaient de temps en temps faire leur visite, nos embusqués de Paris, au lieu de se ficher de nous, comprendraient ce que c’est la guerre. Malheureusement, c’est toujours de pauvres innocents qui vont attraper.

Je termine en vous désirant une bonne santé. Votre fils qui vous embrasse. »

Ps : C’est l’heure de la soupe, bonsoir. Le temps est un peu refroidi, mais pas de trop.


14 février 1916

« Mes chers parents,

C’est toujours en santé parfaite que je vous écris. J’espère que vous êtes tous de même. Hier au soir, j’ai eu votre lettre du 10.

Ici, c’est presque toujours calme ; si ce n’est que ce matin, de 4h30 à 6h nous avons lancé des gaz asphyxiants aux Boches. Je ne sais le résultat, car la patrouille qui devait aller reconnaître les tranchées ennemies n’est pas sortie, les Boches tirant à la mitrailleuse ; je pense qu’ils n’ont pas eu beaucoup de mal. Aujourd’hui le calme règne ; nous avons un peu de pluie mais il ne fait pas froid. Je crois que nous allons aller au repos pour quelques jours vers la fin de la semaine. Recevez de votre fils ses meilleurs baisers. »


2 mars 1916

« Mes chers parents,

Je viens vous donner de mes nouvelles toujours très bonnes. J’espère que vous êtes tous de même.

Depuis hier au soir, je me trouve en 2èm ligne ; nous sommes très bien, on est dans les bois, et par cette saison, c’est très gai. Il fait un temps merveilleux.

Vous me demandez si j’ai besoin de quelque chose. Je vous remercie ; j’ai pour le moment presque tout ce qui m’est nécessaire ; vous pourriez m’envoyer une flanelle.

Je désire que votre santé continue comme par le passé.

Votre fils qui ne cesse de penser à vous. »

Ps : Bonjour aux parents et voisins ».


11 mars 1916

« Mes chers parents,

Je réponds à votre aimable lettre datée du 4 que j’ai reçue hier au soir. Vous me dites que vous avez reçu de mes nouvelles du 27. Je vois que ça a beaucoup de retard, enfin si ça continue. Je vous ai donné un mot chaque jour. Toujours au même endroit.

Aujourd’hui, il fait un beau temps, hier, on avait de la neige, mais tout est fondu.

Hier au soir, les Boches ont voulu sortir de leurs tranchées, mais malheureusement pour eux que nos mitrailleurs ne dormaient pas. Ils ont dû se replier dans leurs trous en laissant grand nombre de cadavres.

Aujourd’hui, c’est assez calme. Je vois chaque jour le petit Colinet de Jaures. Il va bien.

Je vous remercie de la belle gravure sainte que j’ai reçue hier, je la conserverai précieusement, ayant confiance en la sainte famille qui m’a préservé jusqu’à ce jour. Toujours en santé parfaite, j’espère que vous êtes de même.

Recevez de votre fils qui pense à vous ses meilleurs baisers. »


7 avril 1916

« Mes chers parents,

Nous arrivons de l’exercice, il est 10h ; en attendant la soupe qui est à 11h, je viens vous donner de mes nouvelles qui sont toujours bonnes et espère que vous êtes de même. Je ne sais quand nous partirons d’ici.

Nous y sommes très bien ; on fait un peu d’exercice pour se distraire. La carte que je vous ai envoyée représente des tombes de soldats tombés pendant la bataille de la Marne. Vous voyez si c’est bien tenu.

On en voit un peu partout dans les champs.

Hier, j’ai été les visiter. Ce matin, j’ai assisté à la messe de 7h dite en l’honneur des camarades restés à Verdun.

Je ne vois plus grand chose. J’espère que vous êtes toujours tous en santé parfaite. Votre fils qui vous embrasse. Je me trouve tout près de l’endroit où j’ai été blessé. »


16 août 1916

« Mes très chers parents,

C’est étant toujours en bonne santé que je vous écris. J’espère qu’il en est de même de vous tous.

Aujourd’hui, nous avons repos, nous sommes cantonnés dans un bois, tout près d’un village et d’une rivière. Le pays est très beau.

Hier au soir, j’ai été visiter le champ d’aviation de nos alliés. Le secteur où nous devons aller devient calme. Je ne sais quand nous prendrons les tranchées.

Plus grand chose, je termine et vous envoie mes meilleures amitiés. Votre fils qui vous embrasse. Ps : Chastanet doit être tout près de moi.


22 aout 1916

« Mes chers parents,

Je viens de recevoir aujourd’hui votre lettre du 17. Merci de vos bonnes nouvelles et du billet. Ces jours-ci, l’argent ne m’est pas bien utile ; mais j’espère bien pouvoir m’en servir avant longtemps.

Nous ne sommes pas malheureux de trop. Le temps est merveilleux ; et puis, ces Boches n’existent pas à côté des Anglais qui toute la journée leur envoient des marmites sur la figure.

Malgré que ce soit des Boches, je les plains, car plus jamais, je n’avais entendu pareille chose. Ils ne répondent presque pas. Ils ne cherchent qu’à arrêter l’attaque au moment où on veut avancer. C’est bien moins dur que Verdun.

Je termine en vous désirant une bonne santé. Votre fils qui vous embrasse. »


7 septembre 1916

Mes chers parents « Après avoir fait une bonne nuit, et être nettoyé, me voilà frais, ne pensant plus à ces quinze jours de tranchées, parmi lesquelles il y en a eu de bien dures ; soit par le mauvais temps, car il s’est passé des journées de pluie ou le bombardement. Et encore, tout ça n’est rien à côté du moral, car su vous souffrez de ne pas me voir, moi, j’ai passé de bien tristes moments en songeant à vous. Enfin, tout ça est passé.

Dimanche dernier, ma brigade a attaqué à midi. J’étais 1ère vague. Nous avons fait 800m de progression en 15 minutes, sans pertes. Les Boches surpris dans leurs trous se rendaient sans tirer. Nous, pour le régiment, avons fait dans les 700 prisonniers.

Je suis très content de ma journée ; (même si je suis proposé pour une récompense, mais ne causez pas jusqu’à nouvel ordre, car souvent les propositions reviennent sans résultat. En tout cas, le commandant de la compagnie demande une citation. (*)

Ma division a très bien marché et chaque attaque a atteint le but désigné. Si l’autre qui se trouve aux tranchées en ce moment fait même chose, nous partirons de la Somme pour un secteur calme ; dans 10 jours, je le saurai.

Si vous voyez d’ici là le village de Combles pris, vous pourrez dire que nous ne reviendrons pas à la tranchée ici. En attendant, nous sommes très bien cantonnés. Je termine en vous désirant une bonne santé.

Votre fils qui vous embrasse et fera toujours tout pour l’honneur de ses parents. »

(*) La division a perdu environs 700 hommes tués, blessés et disparus durant cette attaque secteur Maurepas.

 

11 septembre 1916

« Mes chers parents,

Je viens de recevoir vos deux lettres datées des 7 et 8. Je vois que vous êtes inquiets sur mon sort. J’espère qu’à l’heure actuelle vous aurez reçu de mes nouvelles. J’ai eu avec plaisir la belle image de Notre Dame des Vertus, que je conserve précieusement avec espoir en sa protection. Je suis toujours en santé parfaite. Nous faisons un peu d’exercice pour nous distraire : 2 heures par jour, ce matin, de 7 à 9 heures. Ce soir, nous avons revue de cantonnement à 16h. Le temps est superbe, j’espère qu’il est pareil là-bas. Plus grand chose. Je désire une bonne santé à tous. Votre fils qui vous embrasse. »


15 septembre 1916

« Mes bien chers parents,

Je viens à l’instant de recevoir une lettre du 11, et c’est avec plaisir que je vois que vous êtes tous en bonne santé. Je vous remercie beaucoup des nouvelles que vous me donnez sur le pays. On est si heureux ici quand on sait un peu ce qui s’y passe. Nous n’avons par le fait que ce moment de plaisir.

Je vois que vous m’avez fait des achats d’hiver. Je viens vous renouveler de ne pas les envoyer avant que je vous les demande. En ce moment, je n’en ai pas besoin, et je suis bien assez chargé, surtout que d’ici peu, nous serons certainement relevés du secteur.

Avant-hier, nous devions revenir aux tranchées, même une brigade de ma division y est en réserve de l’autre division depuis deux jours ; mais aujourd’hui, on dit que nous, nous n’y reviendrons pas.

D’ici une petite semaine, il y a des chances qu’on soit sortis de cet enfer. Nous sommes toujours dans ce camp, très bien. Toujours même chose, un peu d’exercice pour se distraire. Question de permissions, dans le régiment, elles sont supprimées depuis un mois et je ne sais pas quand elles vont reprendre. En tout cas, je ne compte pas partir avant décembre.

Je termine en vous désirant toujours une bonne santé. Recevez de votre fils ses bonnes amitiés. Je vous embrasse.

Ps : Bonjour aux parents, les voisins et Julien ».


24 septembre 1916

« Bien chers parents,

C’est avec plaisir que je viens de recevoir vos deux lettres des 19 et 20 m’annonçant vos bonnes nouvelles. Mais je vois que vous vous faites des illusions bien trop tôt. Vous me croyez à la tranchée depuis le 16, ce qui est faux. Je pense à chaque fois que je fais quelque chose, ne pas vous le cacher. Je vous dis chaque jour exactement ce que je fais. Donc, vous pouvez croire mes lettres, elles sont vraies. Nous sommes toujours en réserve du régiment. Le temps est superbe. Nous sommes bien, bien mieux que la 1ère fois. Nous ne serons plus longtemps sans être relevés. Je vois que Ninou a eu un peu de blé. Vous me dites que mon imperméable est arrivé. Quand j’en aurai besoin, je vous le demanderai. (Je ne veux pas qu’il goûte de ce bon morceau de Somme.)

Je vois que mon ancien corps va arriver aussi par ici. Ils font bien même chose que nous. Ils en font leur part. Enfin, après la guerre, je ne pense pas que l’on puisse dire qu’on a été embusqué. Plus grand chose. Je désire toujours même santé. Recevez de votre fils les meilleurs sentiments d’amitié. Je vous embrasse. Ps : Mes amitiés à tous mes parents, voisins et Julien ».

Le courrier du 24 septembre 1916 sera le dernier courrier adressé à ses parents.

Joseph Gouzou est tué à l’ennemi le 25 septembre 1916 à la ferme le Priez près de Frégicourt, secteur de Combles (Somme), « par suite d’un obus sur le corps ». Joseph obtient la Croix de guerre avec étoile d’argent à titre posthume.

Il est enterré à l’extrémité de la tranchée de l’Hôpital à 21 heures du soir, mais son corps n’a jamais été transféré dans la nécropole de Rancourt située à quelques kilomètres.

Extrait fiche matriculaire de Joseph, un refuge, un trou d’obus à la ferme du Priez


Joseph Gouzou est cité sur le monument aux morts de Manzac au côté de Jean Neycensas, décédé quelques mois plus tôt, le 28 aout 1914 à Moislains dans la Somme.

L’acte est retranscrit à la mairie de Manzac le 2 février 1917.




Ils ont rencontré Joseph


Analyse des courriers de Joseph Gouzou

Seuls quelques courriers sont cités dans l’article présenté ci-dessus. L’analyse cependant concerne l’ensemble des lettres écrites par Joseph Gouzou, un soldat du Périgord pendant la Première Guerre mondiale à ses parents et proches. ​ Joseph Gouzou, cultivateur de profession, a été mobilisé en 1912 et a servi comme caporal puis sergent dans différents régiments d'infanterie, notamment le 126ème et le 43ème régiment d'infanterie. ​

Ces lettres, écrites entre 1914 et 1916, offrent un témoignage poignant de la vie quotidienne d'un soldat pendant la Grande Guerre.


Contexte historique :

Les lettres couvrent une période allant du début de la guerre en 1914 jusqu'à la mort de Joseph Gouzou en septembre 1916.

Elles relatent les conditions de vie dans les tranchées, les déplacements, les combats, les permissions, et les relations avec ses camarades et sa famille.


Thèmes abordés :

Vie dans les tranchées : Joseph décrit les conditions difficiles, les bombardements, le froid, la boue, mais aussi les moments de calme. 

Relations familiales : Il exprime son amour pour sa famille et son espoir de les revoir après la guerre. Il demande régulièrement des nouvelles de sa grand-mère et de ses proches, montrant son souci pour leur bien-être. Les lettres sont une source de réconfort pour lui, lui permettant de rester connecté à sa famille.

Foi et espoir : Il mentionne souvent ses prières et sa foi en Dieu pour protéger sa famille et lui-même. ​

Actualités militaires : Il parle des mouvements de troupes, des offensives, et des nouvelles du front.

Vie quotidienne : Il évoque les repas, les colis reçus de sa famille, les moments de repos, et les interactions avec ses camarades.


Événements marquants :

Joseph a participé à plusieurs batailles, notamment dans la Marne, Verdun, et la Somme.

Il a été blessé en 1914 mais est retourné au front après sa convalescence. ​

Il a été tué le 25 septembre 1916 lors de la bataille de la Somme, à la ferme du Prietz près de Combles, par un obus. ​


Style et ton :

Les lettres sont écrites dans un style simple et sincère, reflétant les émotions d'un jeune homme confronté à la guerre.

Malgré les difficultés, Joseph reste optimiste et encourage sa famille à garder espoir. ​


Hommage posthume :

Joseph Gouzou a reçu la Croix de guerre avec étoile d'argent à titre posthume. ​

Son corps n'a jamais été transféré dans une nécropole, mais il a été enterré sur le lieu de sa mort. ​


Importance du document

Témoignage historique : Ces lettres offrent un aperçu précieux de la vie d'un soldat pendant la Première Guerre mondiale, ses pensées, ses peurs, et ses espoirs.


Mémoire familiale : Elles témoignent de l'amour et des liens familiaux qui perdurent malgré la séparation et les horreurs de la guerre. ​


Hommage aux soldats : Elles rappellent les sacrifices des millions de soldats qui ont combattu et perdu la vie pendant ce conflit.

Dans ses lettres, Joseph Gouzou décrit la vie au front avec beaucoup de sincérité et de détails, alternant entre les moments difficiles et les rares instants de répit. Voici les principaux aspects qu'il évoque :


Premières Lettres et État d'Esprit

Dans ses lettres du 5 au 19 août 1914, il exprime son patriotisme et son espoir de revenir sain et sauf.

Il mentionne la mobilisation rapide et l'enthousiasme des soldats à défendre la France.


Blessures et Soins Médicaux

Le 10 septembre 1914, il est légèrement blessé à la jambe par un éclat d'obus lors de la bataille de la Marne. Il est évacué à Périgueux pour des soins, où il reste en bonne santé malgré sa blessure.

Il mentionne également un camarade, Jean Massoubro, qui est blessé en même temps.


Retour à Brive et Instruction des Soldats

Après sa guérison, il retourne à Brive en novembre 1914, où il attend de repartir au front.

Il est impliqué dans l'instruction de nouveaux soldats, espérant ne pas être envoyé au front immédiatement.

Il fait état de la formation de nouveaux bataillons et de l'absence de permissions en raison de l'épidémie de scarlatine.


Espoir de paix et retour à la vie normale

Gouzou exprime un désir constant de paix et de retour à la vie normale. Il évoque des moments de nostalgie, souhaitant participer aux vendanges et aux activités familiales.

Son espoir de retrouver sa famille et de vivre ensemble est un thème récurrent dans ses lettres.


Conditions de vie dans les tranchées :

Dureté du quotidien : Joseph parle souvent de la boue, du froid, de la pluie, et parfois de la neige. ​ Il mentionne également les longues marches, les nuits sans sommeil, et les conditions insalubres.

Bombardements et dangers : Il décrit les bombardements fréquents, les attaques ennemies, et les pertes humaines. ​ Il parle aussi de la peur constante et de la vigilance nécessaire pour survivre.

Abris rudimentaires : Il évoque les « gourbis » (abris souterrains) où il dort, parfois bien aménagés, mais souvent infestés de rats. ​


Ravitaillement et nourriture :

Joseph mentionne les repas simples fournis par l'armée, mais aussi les colis envoyés par sa famille, qu'il apprécie énormément. Il parle de pâtés, de boudins, de quartiers d’oie, et d'autres conserves qui améliorent son quotidien. ​

Il souligne parfois les difficultés de ravitaillement, notamment dans les zones de combat. ​

 

Moments de calme et de répit :

Repos en arrière des lignes : Lorsqu'il est en réserve ou au repos, il décrit des moments plus tranquilles, où il peut se laver, se raser, ou dormir dans un lit. ​ Ces périodes sont rares mais précieuses.

Activités pour passer le temps : Il parle de jeux de cartes, de promenades, et de messes auxquelles il assiste régulièrement.


Relations avec les camarades :

Joseph évoque souvent ses camarades, avec qui il partage les repas et les moments difficiles. Il mentionne également des soldats de son village ou de sa région, ce qui renforce son sentiment de solidarité. Il mentionne des camarades de guerre, certains étant blessés, et se préoccupe de leur bien-être.

Il parle avec respect de ses supérieurs et de ses compagnons, soulignant parfois leur courage.


État d'esprit et moral :

Courage et résilience : Malgré les épreuves, Joseph montre un grand courage et une volonté de tenir bon. ​ Il encourage sa famille à garder espoir.

Foi religieuse : Il prie souvent et assiste à des messes, trouvant dans sa foi un réconfort face aux horreurs de la guerre.

Espoir de paix : Il exprime régulièrement son désir de voir la guerre se terminer et de retrouver sa famille. ​


Perception de l’ennemi :

Joseph parle des Allemands (« Boches ») avec une certaine distance, les décrivant comme des adversaires redoutables mais parfois affaiblis par les offensives françaises et alliées. ​


En résumé

Joseph Gouzou décrit la vie au front comme un mélange de souffrance, de danger, et de solidarité. Il ne cache pas les difficultés, mais il met aussi en avant les moments de répit et son espoir de retrouver sa famille. ​ Ses lettres témoignent de son courage, de son humanité, et de sa capacité à trouver de la force dans les petites choses du quotidien. En résumé, ce document est un témoignage émouvant et détaillé de la vie d'un soldat pendant la Grande Guerre, mettant en lumière les réalités humaines derrière les événements historiques.

En marge : Les courriers de poilus : les consignes de l’armée sont strictes.

5% des courriers des poilus soit 1 million de lettres sont ouvertes durant le conflit, quelques fois confisquées, lorsque la censure découvre des propos séditieux. La censure lit tout, déchiffre tout.











2ème article 


Marie-louise, Anne et Marie Neyssensas

Enfants assistées sous la Troisième République


La marque, une aide à retrouver son enfant,

Un enfant assisté en 1880 en Périgord (Ad-33FI-690)



Nous allons retracer le parcours de trois jeunes filles Neyssensas nées de père inconnu entre 1876 et 1884.

Sans oublier de mentionner de nombreux patronymes d’enfants assistés, leurs parcours douloureux et chaotiques dont le souvenir s’est peu à peu estompé.


Le statut d’enfant assisté (e)

Les Archives départementales de Haute-Vienne résument parfaitement les différentes évolutions du statut d’enfant assisté, du 16ème siècle jusqu’à 1904.

Avant la Révolution, la prise en charge des enfants en dehors du cadre familial n'est pas clairement définie. Leur assistance est laissée au pouvoir seigneurial, aux communautés religieuses voire aux communautés d'habitants.

Au 16ème siècle, les hôpitaux généraux, d'abord créés pour prendre en charge les vagabonds et les mendiants, s'occupent peu à peu des enfants trouvés.

En 1638, Saint-Vincent de Paul crée l’œuvre des Enfants trouvés.

1669 : A Périgueux, l’hôpital de la Manufacture accueille les pauvres et les orphelins.

 


Anne et Marie Neyssensas, dont les parcours sont développés quelques pages après, se rendirent régulièrement à l’hôpital de la Manufacture entre 1880 et 1897, hôpital dans un état sanitaire extrêmement précaire tout au long du 19ème siècle, ainsi, la ventilation est insuffisante dans le dortoir des enfants assistés. En réalité, l’hôpital est essentiellement un lieu d’hébergement pour les indigents, les invalides et les enfants abandonnés où les préoccupations médicales n’ont pas leur place. En 1885, une épidémie de variole a pour origine un malade de l’hospice. La municipalité de Périgueux déclare la situation en centre-ville un danger permanent d’épidémie.

L’hôpital est démoli en 1955 lors de la réhabilitation du quartier Sainte-Ursule.


Un autre hôpital :

L’hôpital Sainte-Marthe, créé en 1643, encore appelé Hôtel-Dieu, Maison-Dieu ou Hôpital Brunet situé au bord de l’Isle tout près de l’actuel « moulin de Saint-Front » est réuni en 1701 à l’hôpital de Manufacture et fonctionnera jusqu’à la Révolution.



Au 19ème siècle, il n’y a plus qu’un hôpital à Périgueux.

 

En 1793, le secours aux enfants assistés est pris en charge par la République. Une série de lois et de mesures sont prises au cours de la Révolution. La loi du 28 juin 1793 déclare les enfants abandonnés « Enfants de la Patrie ».

A Léguillac de l’Auche, le 23 fructidor An II, Isabeau, fille de la Patrie âgé d’1 an décède à la Croze, le 15 brumaire, An IV, une fille de la Patrie âgée de 18 mois, originaire de Saint-Aquilin, décède à Girondeau.

Le maire de Léguillac, Nicolas Labrue, en l’An VI, prend les fonds destinés aux nourrices des enfants de la Patrie dans le canton.

En 1811, par décret impérial, chaque département crée un service des enfants abandonnés et trouvés. Un hospice par département doit pouvoir les accueillir au moyen d’un « tour ».

Le tour de l’hospice de Bordeaux, par exemple, « se composait d’une barrique vide dont on avait scié dans le sens vertical près de la moitié des douves, de façon à conserver intacte la partie inférieure. La barrique était montée sur un pivot central. Un autre pivot la maintenait dans sa partie supérieure et c’est ainsi qu’elle pouvait tourner facilement sur elle-même. Elle était placée juste derrière la façade principale de la maison et communiquait avec l’extérieur par une large baie circulaire pratiquée dans le mur, à hauteur d’appui. A travers cette ouverture on passait l’enfant que l’on déposait dans la barrique. On faisait ensuite pivoter celle-ci, on sonnait et la sœur venait prendre le petit abandonné dans la sinistre machine ». Réf : Enfants trouvés et abandonnés de la Gironde - 19ème siècle.




Le tour de Macon

En 1811, à Léguillac de l’Auche, Sicaire Bouthier découvre attaché à la porte de l’église, « un enfant vêtu d’un mauvais coussin et de quelque peu de linge », un billet indique qu’il « sera réclamé dans quelques temps ». L’enfant prend le prénom d’Antoine et sera remis à l’hospice de Périgueux, son destin est inconnu après ce triste mois d’octobre 1811.

Le même Sicaire Bouthier, sonneur de cloche après son office, « a trouvé dans la porte de l’église, dans un mauvais panier, un enfant vêtu de quatre mauvais morceaux d’étoffe », l’enfant est nommé Jean Annibal puis remis à l’hospice de Périgueux.

En 1823, Eugène Joseph de l’hospice de Bordeaux décède à Jalabrou.

En 1839, l’Inspection départementale permanente des enfants assistés est créée en Dordogne.

En 1849, l’Assistance publique est créée dans chaque département. Les enfants assistés deviennent « pupilles de l’Assistance publique ».

En 1869, un dossier individuel doit être tenu pour chaque enfant pris en charge. Il doit contenir des renseignements sur son état civil, sa filiation (si elle est connue) et l'ensemble des documents sur le suivi de l’enfant jusqu’à la fin de la tutelle (placements, scolarisation, apprentissages, comportement général, état de santé...). L’inspection devient un corps de fonctionnaire.

Réf aux Archives de Périgueux - Registres de tutelle (suivi des enfants de 12 à 21 ans placé(e)s chez des patron(e)s, 1850-1900) : 3 X 217 à 226.

En 1869, Charles Rongieras de Caroly déclare le décès de la petite Gertrude Hurlot qui bénéficiait « en sa qualité d’enfant de fille-mère d’un secours départemental ».

C’est à l’intérieur de ce cadre que s’inscrivent Anne, Marie et Marie-louise Neyssensas, nées respectivement en 1876 à Saint-Germain du Salembre, 1880 à Saint-Astier et 1884 en un lieu inconnu.

En 1904, de nouvelles lois redéfinissent les catégories d’enfants assistés. La tutelle des pupilles est confiée au Préfet.


Les catégories d'enfants assistés

Avant 1811, les enfants assistés sont majoritairement des nouveaux nés. C'est seulement à la Révolution que l'assistance est progressivement étendue à tous les enfants. Il n'existe alors qu'une catégorie « les orphelins et enfants trouvés ».

A partir de 1811, trois catégories sont définies :

Les enfants trouvés : nés de père et de mère inconnus. Ils ont été exposés ou portés au « tour » des hospices destinés à les recevoir. En 1823, les enfants des indigents traités ou admis dans les hospices ainsi que les enfants dont les parents sont détenus ou condamnés sont rattachés à cette catégorie :

Les enfants abandonnés : nés de père et de mère connus et d'abord élevés par eux (ou par d'autres personnes à leur décharge), en sont délaissés, sans qu'on sache ce que les père et mère sont devenus et sans qu'on puisse recourir à eux ;

Les orphelins pauvres : ils n'ont plus ni père ni mère et n'ont aucun moyen d'existence.

En 1889, la loi du 24 juillet ajoute une quatrième catégorie :

Les enfants maltraités ou moralement abandonnés : leurs parents sont déchus de leurs droits par le Président de la chambre du conseil du tribunal du domicile après enquête demandée par le Procureur de la République. Les enfants sont confiés à l'Assistance publique, à des associations de bienfaisance ou à des particuliers jouissant de leurs droits civils.

Les registres matricules des enfants abandonnés, enfants de condamnés, enfants trouvés et orphelins pauvres ainsi que les registres de tutelle de la sous-série 3 X (Assistance publique - service des enfants assistés - hospice de Périgueux) sont aujourd’hui numérisés et mis en ligne.

Si le sort des nourrissons et des enfants placés est de partager la misère des catégories les plus défavorisées de la population rurale, quelle que soit la qualité des nourrices, beaucoup de très jeunes enfants ne survivent pas au-delà des premiers mois comme on le constate, par exemple, à la lecture des registres d’état civil de Saint-Martin de Ribérac ou de Léguillac de l’Auche.

Le statut des survivants n’est guère différent de celui des jeunes de leur âge dans un monde rural où les conditions de travail restent difficiles pour subsister.


Le statut des « survivants »

L’enfant assisté peut, soit rester dans une famille gardienne ou bien être reçu dans une famille qui « passe une soumission » et s’engage « à le nourrir, l’élever, le soigner gratuitement jusqu’à la majorité ».

L’enfant à l’adolescence doit compenser par son travail les frais qu’il occasionne. En conséquence, bien souvent l’enfant est placé comme domestique chez des agriculteurs, souvent à la garde des bêtes ou à l’entretien de l’habitation.

En 1862, des dispositions règlementaires stipulent que l’enfant de moins de 12 ans doit fréquenter une école. On donne ainsi pour incitation une prime à la famille pour compenser la perte de service que rend l’enfant par son travail. Les enfants entre 12 et 15 ans peuvent être mis en apprentissage, et à partir de 15 ans, rémunérés pour leur travail tout en bénéficiant d’un contrat d’engagement.

En ce qui concerne les filles il faut attendre 1867 afin que les communes soient dans l’obligation d’entretenir une école de filles.

La loi de 1882 a permis à tous les enfants de bénéficier d’une école gratuite et laïque.


Anne, Marie et Marie Louise Neyssensas,

enfants assistées entre 1876 et 1897

Les registres de tutelle nous aident à mieux connaitre la population de mères célibataires mais pas seulement :

Aujourd’hui, le terme de fille-mère désigne une adolescente menant une grossesse à terme. Au siècle dernier, il s’agissait de toute femme ayant un enfant hors mariage. La grossesse d’une mère célibataire au 19ème siècle est synonyme de rejet social, elle préfère en général cacher sa situation.

Le plus souvent, l'enfant est inscrit sur les registres paroissiaux au nom et prénom de la mère.

Découvrons le parcours de vie de trois jeunes filles assistées, deux originaires de Dordogne et l’une de Gironde. Le registre de tutelle pour la période 1876-1882 est référencé aux archives de Périgueux - 3 X 224. En ce concerne l’enfant originaire de Gironde, le registre n’est pas en ligne.





 

Anne Neyssensas

Anne est née le 28 septembre 1876 à 8 heures du matin au village des Termes à Saint-Germain du Salembre. Anne est fille d’Anne Neyssensas, 23 ans cultivatrice, domiciliée au Terme et de père inconnu. L’enfant est déclaré par « Pierre Eclancher, 39 ans, beau-frère de l’accouchée domicilié au Terme », en présence de Jérôme Barrière, 68 ans et Jean Barrière, 28 ans tous deux marchands domiciliés dans le bourg. Le déclarant ne sait signer.

Retraçons le parcours d’Anne, mère de l’enfant assistée :

Anne est née le 15 septembre 1853, lieu-dit Barbeau à Saint-Aquilin,  des mariés Jean Neyssensas et Isabeau Rapnouilh, colons. Jean, 42 ans, déclare l’enfant. Les témoins et le déclarant ne savent signer.

Jean Neyssensas est descendant de Martin et Isabeau Dalesme, de Jacques et Guline Garreau, de Martin né en 1707, décédé en 1787, époux d’Aquiline Garreau, cultivateurs et voituriers à Tamarelle, paroisse de Saint-Astier tous descendants de Charles né aux Granges à Léguillac de l’Auche.


Les parents d’Anne se marient le 30 janvier 1842 à Saint-Aquilin.

Les recensements, référencés 6 M, complètent notre connaissance des familles Neyssensas et peut-être des raisons des délaissements d’Anne et Marie.

Le recensement de la population consiste en un dénombrement exhaustif des habitants complété par le recueil de certaines caractéristiques sociologiques (situation familiale), géographiques (lieu de domicile, lieu de travail) ou socio-économiques (activité professionnelle).

En 1822, une ordonnance royale confirme une périodicité quinquennale des recensements toutes les années terminées par 1 et par 6. Pendant plus d’un siècle, cette règle est scrupuleusement respectée avec seulement des modifications contraintes par des situations de guerre.

En 1856, le recensement de Saint-Aquilin ne mentionne pas la présence d’Anne née pourtant en 1853, est-elle placée en nourrice ? est-ce une omission, en effet, il n’est pas rare de rencontrer des erreurs et omissions dans la reconstitution des familles et dans l'exploitation des listes nominatives de population. Il sera nécessaire, dans certains cas, de vérifier l’Etat civil quant à l’âge et au prénom.

En 1856, le foyer est composé de 9 membres. Jean Neyssensas, 44 ans, son épouse, Isabeau Rapnouilh, 32 ans, Jean, 12 ans, Sicarie, 8 ans, Jean, 2 ans, Sicarie, 1 ans, Rapnouilh Jean, frère d’Isabeau, 36 ans, et son fils, Sicaire, 4 ans. Une enfant trouvée de l’hospice de Périgueux, nommée Marie Samol, âgée de 16 ans, apporte une aide en tant que domestique. La grande habitation est la seule maison des Barbeau.

En 1861, Anne 8 ans est citée, ses parents, frères et sœurs, les Rapnouilh soit 10 personnes. Une autre famille est à présent au Barbeau, les Dumonteil, 6 membres sont logés, ou : dans l’une des parties de la grande habitation ou dans une habitation nouvellement construite. En 1973, on remarque plusieurs corps de maison imbriqués….

En 1866, les Dumonteil sont 6, les Neyssensas, 9 dont Anne 13 ans. L’épouse de Jean, Isabeau Rapnouilh née à Mensignac en 1823 est décédée le 25 décembre 1863 au Barbeau à l’âge de 40 ans, peu de temps après la naissance de son dernier enfant, Jean-Baptiste né le 29 septembre 1863 et décédé le 9 septembre 1864. L’enfant est cependant cité par erreur sur le recensement de 1866 âgé de 3 ans.

Le 7 février 1866, peu de temps avant le recensement, Jean, colon, se remarie avec Marie Gasquet née à Redondie - Saint-Astier le 17 mars 1836. Marie décède le 26 janvier 1880 au Barbeau. Le couple donna naissance à au moins 5 enfants entre 1866 et 1879.

Jean, le père d’Anne décède le 4 février 1882 après au moins 40 ans de vie au Barbeau, sous bail à colonage passé avec le propriétaire de la maison des Barbeau.

Le recensement en 1876 ne mentionne plus car Anne âgée de 23 ans est domiciliée à présent à Saint-Germain du Salembre.

Caractérisée par un âge relativement jeune, 23 ans à la naissance de sa fille, Anne est cultivatrice, statut social un peu plus élevé que la plupart des mères célibataires de l’époque.

Anne a-t-elle été séduite puis abandonnée ? la naissance de la petite Anne ne sera jamais légitimée par mariage.

1ère hypothèse :

1874 : Anne, 21 ans à sa majorité quitte ses parents et Saint-Aquilin pour rejoindre l’une de ses sœurs, Anne, 29 ans épouse de Pierre Eclancher, 39 ans cultivateur au village de Terme à Saint-Germain du Salembre.

2ème hypothèse :

1876 : Anne, mère célibataire est obligée de quitter ses parents, ses frères et sœurs, à la naissance d’Anne, fille de père inconnu. Peut-être a-t-elle été rejetée lors de sa maternité, le couple, colon ne pouvant assumer financièrement une bouche à nourrir supplémentaire. L’état civil confirme ce rejet. Aucun membre de la famille Neyssensas n’est présent lors de l’inscription de la petite Anne sur le registre d’état civil.

Anne, qualifiée de cultivatrice est accueillie par Pierre et sa sœur. Leur statut social de cultivateur permettra d’aider Anne de manière relativement provisoire. La petite Anne nait au Terme dans la maison du couple.



L’habitation de Saint-Germain du Salembre abrite 6 personnes, Pierre et son épouse, ses deux enfants, Marie, 7 ans et Louis, 1 an, ainsi qu’Anne, mère de la petite Anne, 3 mois.

Une autre famille est présente au Terme, les Delage, avec Marie Fargeot, cultivatrice, 58 ans, son fils Jean Delage, 32 ans né à Saint-Astier et sa sœur Marguerite Delage, 28 ans qualifiée « d’idiote » par le recenseur, dans la rubrique observations.

Dans le même temps, au Barbeau, la famille s’est agrandit avec deux jeunes filles, Marguerite, 8 ans et Marguerite 2 ans, nées du remariage de Jean, 65 ans avec Marie Gasquet, 41 ans. 4 enfants de Jean sont encore présents, Jean, 33 ans, autre Jean, 26 ans, autre Anne, 19 ans et Rose, 16 ans. L’habitation compte 8 personnes. Jean n’est plus qualifié de colon mais de cultivateur, est-ce une erreur ?

En 1881, Anne et sa petite fille Anne ne vivent plus au hameau de Terme. Anne la mère a quitté Saint-Germain pour un lieu inconnu, aucun généalogiste ne mentionne son mariage ou son décès. Après quelques recherches Anne n’apparait pas à Saint-Aquilin, Saint-Astier……

Sa petite fille Anne est accueillie à l’hospice de Périgueux à l’âge de 5 ans après l’établissement d’un procès-verbal d’abandon par « ses père et mère ». Une autorisation préfectorale d’entrée à l’hospice de Périgueux est délivrée le 9 octobre 1881. Anne portera à présent le numéro matricule 5350 pour tout enregistrement auprès de l’autorité administrative.



La même année, le service des enfants assistés du département est assuré par Eugène Meunier, inspecteur départemental, Rémy Vitrac et Hippolyte Chaumette sous-inspecteurs.

A compter de ce mois d’octobre 1881, Anne est placée dans une nouvelle famille.

Le choix de la première famille d’accueil en 1881 n’est pas dû au hasard. Il s’agit de Marguerite Neyssensas et son époux Jean Peytoureau habitants du hameau de Reverdy, situé à 570 mètres du village de Saint-Aquilin, en remontant le chemin du Bois du loup puis vers la route du bourg. La composition du foyer et de l’unique maison est la suivante : Jean Neyssensas, 68 ans, chef, Peytoureau Jean 41 ans, gendre de Jean, son épouse Marguerite Neyssensas, 41 ans, Peytoureau Jean, 14 ans, fils de Jean Peytoureau, Blaise, 11 ans et Marie Neyssensas, 5 ans, en nourrice. Est-ce Anne, même âge, avec un prénom différent ?

Quel est le lien entre Anne, mère de l’enfant et Marguerite Neyssensas ?

Leurs pères respectifs étaient frères et enfants de Martin et Isabeau Dalesme du hameau des Meynichoux à Saint-Aquilin.

La petite Anne rencontra-t-elle son grand-père, ses oncles et tantes entre décembre 1881 et septembre 1882 ? Jean Neyssensas âgé de 70 ans et ses enfants habitent les Barbeau à 530 mètres de Reverdy en passant par le hameau du Jard tout en cheminant par la route du Bois du Loup.

Il y a 28 ans Anne la mère de l’enfant naissait au Barbeau. En 1881, vivent au Barbeau, 10 membres Neyssensas. Jean, 70 ans, cultivateur, sa fille Rose, 20 ans, Marie, 24 ans, Jean, fils ainé, 37 ans, Julienne, 15 ans et Zélie, 26 ans et Celina, 2 ans, filles du fils ainé Jean, autre Jean jeune, 31 ans, fils du « chef », Anne Delubriac, 24 ans, femme de Jean le plus jeune et Rose Neyssensas, 11 mois, fille du couple.

Anne est hébergée par Marguerite Neyssensas et Jean Peytoureau du 1er décembre 1881 au 4 septembre 1888, date de son entrée à l’hospice de Périgueux, 24 jours exactement avant son 12ème anniversaire. Anne sera restée chez sa tante 5 années, puis sera placée 9 années entre l’hospice et ses « patrons ».

Le tableau ci-dessous retrace les 19 placements d’Anne de l’âge de 12 ans à ses 21 ans.

 


La durée des placements est extrêmement variable ; allant de 1 mois, 3 mois, 6 mois à un peu plus de 2 ans chez Marie Charrière et Louis Jeammet à Vergt entre 1893 et 1895.

Peu de renseignements sur les familles d’accueil classées par rang : quelques maisons contemporaines de la petite Anne sont encore visibles. Les recensements nous permettent de cerner la composition des familles d’accueil mais ne permettent pas de connaitre sous quel statut est employée Anne, les recensements entre 1892 et 1900 n’étant pas détenus par les archives de la Dordogne.

Une deuxième famille accueille Anne pendant 1 an 1 mois, du 12 septembre 1888 au 6 novembre 1889. Il s’agit des Fayard, nouvellement arrivé à Chaurac ; Jean 29 ans, cultivateur, époux de Marguerite Labrousse, 26 ans, Henri, 4 ans, Anna, 1 ans. Le hameau se situe à 700 mètres du château de Caussade à vol d’oiseau.



En 1891, les Fayard ont quitté Chaurac et logent à présent au hameau de Degain, en bordure de la rivière l’Isle à proximité du centre sportif Franck Grandou.

Mademoiselle Jacquemin Marie Eugénie, rang 3, directrice de l’Ecole normale d’institutrices, accueille Anne du 7 novembre 1889 au 31 décembre 1889, soit 1 mois et 24 jours. Anne est âgée de 13 ans. L’ouvrage de Mme Jeanne Luce Marcouly en 2005, « Le Périgord à l’école de la République », page 127, mentionne la nomination de Mademoiselle Jacquemin (1889-1900) par arrêté du 19 aout 1889, actuellement directrice de l’Ecole normale de la Roche-sur-Yon, (peu avant sur Blois), nommée directrice de l’Ecole normale de Périgueux en remplacement de Mademoiselle Morand nommée à Nîmes. Anne est « employée » un peu plus de 2 mois après la nomination de la nouvelle directrice, à quelques dizaines de mètres de la tour Mataguerre et de la cathédrale Saint-Front. C’est en ce lieu, « véritable couvent de la République » qu’en 1891, Marie Lacore est admise ; il s’agit de la future Suzanne Lacore qui deviendra l’une des trois femmes sous-secrétaires d’Etat de Léon Blum en 1936. Les quelques jours passés à l’Ecole Normale ne laissèrent pas Anne indifférente, les journées des élèves sont de 50 heures par semaine, lever 5 heures du matin, 8 heures début des cours, discipline de fer, « le silence de rigueur, tout courrier est soumis à la directrice, aucun livre n’est admis sans son autorisation, le port de l’uniforme est obligatoire, quant aux sorties elles se font sous la forme d’une promenade de deux heures le jeudi après-midi et le dimanche … ». Robert Lacoste de P. Brana et J. Dusseau - 2010.



Les Laporte, rang 9 sur le registre, un foyer de 5 personnes habitant au 11 rue du Plantier à Périgueux. Le couple, Jean Laporte, 76 ans, contrôleur des comptes des Domaines et son épouse, Anna Sardin, sans profession, 42 ans, hébergent Anne du 15 février 1892 au 3 juin 1892 avant son retour à l’hospice. Sont présents dans la maison de la rue du Plantier, Etienne, 72 ans, frère de Jean Laporte, Lacroix Guillaumette, 71 ans, belle-mère de Jean Laporte et Jean Laporte, 19 ans, employé de commerce.



Les Veyri, rang 10, accueillent Anne très peu de temps, du 8 juin 1892 au 15 aout 1892, jour où Anne de retour à l’hospice. Le recensement de 1891 nous donne quelques indications sur la composition du foyer. Le père est jardinier, le foyer se compose de 5 personnes. L’épouse Elisa Laprade n’est pas mentionnée. Anne, 16 ans, est domestique et veille sur les 2 enfants en bas âge de Raymond (Sicaire sur la fiche de tutelle d’Anne), Sabine 4 ans, Suzanne 11 ans, les deux autres enfants, se nomment Marie, 16 ans, et Franc 20 ans. La famille habite Plaine du Petit Change aux Mondoux.



Les Dupont, rang 11, à Cornille, lieu-dit Montrany, au nombre de 7 membres, accueillent Anne, 16 ans, assurément domestique du 3 septembre 1892 au 8 mars 1893, soit 7 mois. Les Dupont sont cultivateurs, Emile est âgé de 38 ans et son épouse Antoinette Grandisse, 36 ans, leurs 2 fils, François et Louis, 13 et 11 ans. Léonard, 72 ans, son épouse Jeanne Vacher, 66 ans et leur fille Jeanne, 42 ans, cultivatrice.



Anne est accueillie du 8 mars 1893 au 27 aout 1895 par la famille Jeammet de Vergt, rang 12, sise au lieu-dit la Poussière. Louis Jeammet prend en charge Anne à l’hospice de Périgueux le 8 mars 1893. L’hospice se situe à un peu de plus d’une vingtaine de kilomètres du lieu-dit la Poussière. Le chemin de fer n’arrivera à Vergt qu’en 1899.



Anne fête ses 17 ans chez les Jeammet le 28 septembre 1893.

Le foyer est composé de 4 personnes. Louis, 40 ans, propriétaire et son épouse Marie Charrière, 21 ans, Justin Jeammet, 33 ans frère de Louis et Anne Peschescot, leur mère, âgée de 69 ans. Les Jeammet ont à leur service régulièrement un ou une domestique, comme en 1901, avec Cyprien Fléchou.

Le 2 mars 1895, il est noté sur la fiche : Anne est « une forte fille, d’une bonne santé, sait lire, écrire et compter, est contente de ses maitres qui également sont satisfaits ».

Ayant atteint l’âge de sa majorité, 21 ans, Anne quitte son dernier patron, Monsieur Michel habitant le Roulet à Vergt dans le courant de l’année 1897. Nous perdons sa trace à partir de là. Anne ne sera jamais « réclamée » par ses parents.


Marie Neyssensas

Marie nait « le 27 mai 1880 à 8 heures du matin, née hier à cinq heures du matin à 5 heures du matin au chef-lieu de la commune de Saint-Astier, de Marie Neyssensas, sans profession, domiciliée à Saint-Astier, âgée de 30 ans et de père inconnu. Sur la déclaration de Madame Catherine Ladevie, épouse de Jean Faurie, sage-femme, âgée de 43 ans qui a présidé à l’accouchement, domiciliée à Saint-Astier ». Aucun ascendant n’est présent.

Les témoins sont Gabriel Chirat, garde-champêtre âgé de 60 ans et Etienne Louis Nogué, secrétaire de mairie, âgé de 28 ans domiciliés l’un et l’autre à Saint-Astier. Généanet nous indique que la sage-femme habite rue du Bateau en 1891. Quant à Etienne Louis Nogué, il est père de l’abbé Edouard Nogué, (1878-1964) auteur de « Saint-Astier - Pito Vilo, Grand Cluchié » en 1933.




Marie, mère de la petite Marie naquit le 19 janvier 1851 à Davaland, commune de Saint-Astier, des époux Jean et Jeanne Duranthon, agriculteurs. Le déclarant Jean, âgé de 36 ans est accompagné du témoin François Neycensas son frère, 40 ans, cultivateur, habitant Tamarelle. Les deux Neyssensas signent l’acte de naissance.

Marie est la 4ème enfant d’une fratrie de 7 enfants.



Les recensements de 1866, 1872, 1876 et 1881 permettent de suivre le parcours de la mère de la petite Marie. En 1866, Marie est âgée de 15 ans vit à Davaland avec ses parents, ses frères et sœurs. Le 3 février 1872, Marie, cultivatrice, se marie à Saint-Astier avec Jean Parrot et quitte Davaland pour le village des Roches à l’âge de 21 ans.

En 1881, l’ensemble de la famille Parrot habite au village des Roches ; la maison appartient à Jérôme Parrot, 72 ans et Marie Roche, 58 ans. Jean Parrot, 26 ans et son frère, autre Jean, 35 ans et son épouse Marie Neyssensas, 31 ans, ainsi que leurs enfants, Jeanne nait en décembre 1872, Marie en 1876 et Jean en 1883 habitent sous le même toit.

Lors de la naissance de la petite Marie en 1880 sa mère est donc en couple avec Jean Parrot et n’accouche pas au domicile des Roches. Marie a-t-elle était victime d’un viol ou est-ce une relation adultérine ?

La sage-femme, Madame Ladevie déclare l’enfant.

Le recensement pour l’année 1881, nous apprend que la mère de Marie a immédiatement confiée sa petite fille auprès d’une famille de la commune, les Lacoste propriétaires d’une habitation modeste à Ferrière, à 4 km du hameau des Roches.




Le foyer est composé de Jean Lacoste, 45 ans et son épouse Marie Lacombe, 30 ans, leurs trois enfants, Marie, 9 ans, Marguerite, 6 ans, Josepha, 3 ans, et un nourrisson de 6 mois, Marie Neyssensas sans autre précision quant à la filiation. Marie sera-t-elle confiée en échange de quelque argent.

Le 19 juin 1885 un procès-verbal d’abandon est établi à la préfecture de Périgueux ; Marie, 5 ans est admise à l’hospice de Périgueux, numéro 5512, en attente d’une famille d’accueil.




A ce stade, les registres de tutelles diffèrent quelque peu quant aux nombres de familles d’accueil mentionnées. En effet le registre référencé 3X184 ne mentionne que la veuve Magne et les époux Chassaing. Le registre référencé 3X224 mentionne outre la veuve Magne et les époux Chassaing, Jean Simon de Saint-Aquilin puis Léguillac de l’Auche et un certain Jarjavey de Savignac les Eglises. Ce feuillet-là est rayé par le gestionnaire du registre.

Après échange en aout 2025 avec l’Archiviste responsable des Archives Contemporaines à Périgueux, nous concluons ensemble que les feuillets rayés, comme quelques autres feuillets, du registre ne le sont qu’après mariage ou engagement dans l’armée et après soldes des livrets d’Epargne.

Quelques jours après, le 5 juillet 1885, le placement n° 1 concerne Madame Anne Magne, 45 ans, mentionnée veuve sur le registre des enfants assistés.




Madame Magne est habitante du hameau de Vitrac à Saint-Aquilin et accueille Marie jusqu’à son départ chez un nouvel accueillant en avril 1892 sis à Léguillac de l’Auche.


Le recensement de Saint-Aquilin en 1886


En 1886, le hameau de Vitrac se compose de 23 maisons et 23 ménages, 74 habitants dont 9 enfants assistés, ainsi les Subrenat, avec Jacques-Joseph Eyraud, 3 ans de l’hospice de Périgueux, Les Rousseau avec Lancelot Albert, 6 ans de l’hospice de Bordeaux et Jean Sibiale, 10 ans de l’hospice de Périgueux, Les Dumonteil avec Charles Gantch, 5 ans de l’hospice de Bordeaux, les Joubert avec Louise Dassier, 2 ans de l’hospice de Bordeaux, les Beau avec Marie Antoine, 9 ans de l’hospice de Bordeaux, les Loiseaux avec Pierre Durieux, 11 ans, de l’hospice de Périgueux et Louis Batisse, 8 ans de l’hospice de Bordeaux.

Cinq années plus tard, le recensement de 1891 apparait ainsi : Marie n’est plus la seule enfant de l’hospice, une petite Mélanie Bittard, 8 ans accompagne ses jeux d’enfant.



La deuxième famille d’accueil : il s’agit de Jean Simon, domicilié à Férodie, commune de Saint-Aquilin le 1er avril 1892.

Lors de l’inspection du lieu de vie, le 29 mai 1892, Marie, 12 ans est qualifiée de « bon petit sujet ayant une bonne santé, sachant lire, écrire et compter ». L’inspecteur le 20 juin 1895 note que Marie « est une très gentille fillette, intelligente, satisfait ses maîtres ». L’inspecteur commet une erreur en indiquant que Marie est sœur d’Anne, n° 5350.

Le recensement pour la période 1892-1896 ne permet pas de connaitre la composition du foyer de Jean Simon.

Jean Simon perçoit 40 francs de gage dont 10 destinés au livret d’Epargne de Marie.

En 1893, Jean Simon perçoit 50 francs de gage dont 35 francs pour l’entretien et 15 francs placés à la Caisse d’Epargne. Le 18 avril 1896, le registre situe Jean Simon à présent à la Font de l’Auche avec Marie.

Marie est à nouveau dans une 3ème famille d’accueil le 18 avril 1896, hébergée auprès des époux Chassaing à la Peytelie à Savignac les Eglises.


Quelques habitations à proximité de la petite chapelle du 17ème


Une maison bourgeoise …. Au temps de Marie

En l’absence de recensement lors de la présence de Marie chez les Chassaing, à l’aide du recensement de 1901 on peut se projeter vers le passé et connaitre la composition du foyer en 1896. Antoine Chassaing âgé de 61 ans, cultivateur, son épouse Marguerite Lacotte, 52 ans, peut-être leur fils Jean, 22 ans, compte-t-il encore parmi les membres du foyer peu de temps avant son mariage avec Françoise Longeat en octobre 1896 ?

En réalité, Marie ne reste que peu de temps chez les Chassaing, en effet du 18 juillet 1896 au mois d’aout 1897, Marie est logée chez les Jarjavay une famille bourgeoise domiciliée à la Peytelie.

La dernière inspection du 7 juin 1897 mentionne, « santé bonne, belle jeune fille, ses maîtres sont satisfaits, bien placés ».

Marie, mineure de 17 ans, rejoint en septembre son futur époux rencontré quelques mois auparavant à Léguillac.




Marie se marie




Le 21 septembre 1897, le futur époux de Marie, Pierre Eclancher bénéficie d’un certificat de bonne conduite délivrée par le Maire de Léguillac de l’Auche. « Le nommé Eclancher né le 6 mars 1866 à Léguillac de l’Auche est de bonne vie et mœurs et que sa conduite a toujours été régulière et irréprochable ».

Quant à Marie elle obtient l’autorisation de se marier le 24 septembre 1897. Marie est âgée de 17 ans.

« Par délibération de la Commission Administrative de l’hospice de Périgueux en date du   24 septembre 1897, l’assistée Neyssensas Marie a été autorisée à s’unir en mariage avec le Sieur Eclancher Pierre, âgé de 36 ans, cultivateur domicilié à Léguillac de l’Auche. Monsieur Ronan a été délégué tuteur ».




Pierre est originaire de Veyrieras, petit hameau composé de 8 habitations et 21 habitants. Léonard, père de Pierre est cultivateur propriétaire, âgé de 59 ans en 1891, son épouse et mère, Duchoze Jeanne, 53 ans et la sœur de Pierre, Mélanie, 20 ans. Pierre n’est pas cité sur ce recensement. L’acte de mariage, nous apprend que le couple a rejoint la propriété des Eclancher à Veyrieras et la mère de Pierre, après le décès de Léonard le 30 juin 1894.

Le mariage se déroule le 6 novembre 1897 dans la petite église de Savignac les Eglises. Aucun membre de la famille Eclancher n’est présent lors de l’union.




Pierre, âgé de 31 ans est couvreur à Léguillac de l’Auche. Marie est servante à la Peytelie, paroisse de Savignac les Eglises, « procédant avec l’assistance de Léon Bernard, 37 ans, jardinier, de Savignac, agissant en vertu de la délégation de Mr Eugène Rom, administrateur de l’hospice de Périgueux par date du 24 septembre 1897 ».

Sans contrat de mariage, les futurs époux se prennent pour mari et femme devant le maire, officier d’état civil, Mr Jouvet, publiquement en présence des témoins, Pierre Ellier, 37 ans, tailleur d’habits dans le bourg, non parent des futurs, André Gueydon, 25 ans, ouvrier maréchal-ferrant de Coulounieix, non parent des futurs, François Tournier Lasserve, 43 ans greffier de la justice de paix et habitant du bourg, Pierre Sudreau, 40 ans, bourrelier, non parent des futurs, habitant du bourg. Les mariés signent l’acte de mariage.

Le couple utilisa-t-il le nouveau tramway de Savignac les Eglises à destination de Périgueux ? La ligne venait d’Excideuil, Sarliac, Antonne et Trigonnant, Trélissac et enfin Périgueux.




Après le départ de Marie de Savignac les Eglises nous perdons sa trace comme celle d’Anne d’ailleurs après leur majorité, après quelques recherches sur les recensements de Mensignac, Léguillac, Saint-Astier, et Savignac, entre 1901 et 1911.

Seuls quelques Savignacois présents sur une vieille carte postale croisèrent peut-être Marie, une décennie auparavant.




Le manoir de la Peytelie, situé au lieu-dit éponyme, a été construit au 18ème siècle. Cette ancienne demeure noble appartenait à la famille Jarjavay. En 1897, le foyer est composé de Charles Jarjavay, 35 ans, médecin, Henriette Auvard, sa mère, 64 ans, Germaine Jarjavay, 3 ans, et Marie, 17 ans.




Le bâtiment est composé d’un corps de logis rectangulaire établi sur trois niveaux et de dépendances. Ses façades sont percées de nombreuses fenêtres et les étages sont séparés par une corniche. La porte principale est contenue dans un portail de pierre. Il est surplombé d’une voussure reposant sur deux colonnettes à chapiteaux sobres. L’entrée dans la propriété se fait au travers d’un porche de pierre comportant une arcade en plein cintre avec des claveaux. Au sommet de l’arcade, la pierre centrale est gravée de deux dates : 1789 et 1894. Il peut s’agir de la date de construction du manoir et de celle du porche. Les portes d’origine ont fait place à un portail de fer. Dans cette propriété on peut voir la chapelle de Peytelie, de forme rectangulaire, de style sobre et rustique, bâtie au 17ème siècle.


Dans les deux cas étudiés, Anne et Marie n’ont pas été abandonnées. Leur statut d’enfant assistée n’a cependant pas permis leur retour auprès de leur mère ou père.


Anne et Marie n’ont pas eu de descendance connue.



Taux de mortalité des enfants abandonnés placés en hospice, en nourrice…


En 1847, dans Éléments de Statistique par Moreau de Jonnès, on lit : « Il y a 15 ans, la mortalité des enfants trouvés était dans les hospices de 25 %. La statistique dénonça ce méfait et cette mortalité aujourd’hui est réduite de moitié. Sans elle, on eût continué d’ignorer que depuis cent ans peut-être, il y avait des hôpitaux où la mort emportait le quart des malheureuses créatures confiées à leur meurtrière charité ».

Les causes de mortalité sont multiples : santé précaire de la mère, accouchement délicat, hygiène déficiente, nourriture inadaptée, pénibilité du trajet de l’hospice vers la nourrice, …. Ainsi à la moitié du siècle, à défaut de voiture suspendue, l’enfant est placé dans un panier attaché sur l’âne, le cheval, ou le mulet….

Le décès à Saint-Martin de Ribérac de la petite Marie-Louise Nesensac, en 1884, illustre bien notre propos.En fin d’article, un paragraphe sera consacré à la mortalité infantile à Saint-Martin de Ribérac et Léguillac de l’Auche en 1884.




Marie-louise ne fut pas la seule enfant de l’hospice de Bordeaux à être inhumée dans le petit cimetière de Saint-Martin de Ribérac, en mars l’officier de l’Etat civil enregistre les décès de Marie Jeanne Rigas âgée de 3 mois et Marie Rosalie Mathieux âgée de 10 mois puis Henriette Ferrieux âgée de 8 mois en avril et en fin d’année Madeleine Lambort âgée de 3 mois en novembre 1884.

Marie-Louise est née 4 mois plus tôt, le 5 avril 1884 à 10h du soir à Bordeaux, au 20 rue de Grangeneuve, où habite sa mère, Anna Nesensac, cuisinière, âgée de 30 ans.


Est-ce la fille d’Anne née le 15 septembre 1853, lieu-dit Barbeau à Saint-Aquilin,
  des mariés Jean Neyssensas et Isabeau Rapnouilh ?  En effet aucune autre Anne ou Anna ne naquit en 1853-1854 en Dordogne (voir Généanet). Anne n’apparait plus dans aucune archive après 1881, année du placement à l’hospice de Périgueux d’une première enfant née en 1876, Anne.

Est-ce la même Anna que l’on retrouve donc à Bordeaux en 1884, à présent cuisinière ?

 


Bordeaux-Registres d'état civil-1ère section-Naissances -1884 1884 - Cote : 4 E 15541


Marie-Louise est déclarée le 8 avril par Dame Vinsot, sage-femme, 61 rue du Jardin Public à Bordeaux. Le père n’est pas nommé. Les témoins sont qualifiés d’employés.

Marie-Lousie est déposée à l’hospice de Bordeaux en mai 1884, lieu où elle fit son entrée officielle dans la société. Après avoir été baptisé et passé quelques jours passés à l’hospice, Marie-Louise est accueillie par la famille Fargeaud installée à Saint-Martin de Ribérac depuis un peu plus de 7 ans.

Marie-Louise emprunta-t-elle le train entre Bordeaux et Ribérac, en passant par Périgueux et la toute nouvelle ligne ferroviaire Périgueux-Ribérac (3 trajets quotidiens) ouverte aux passagers en 1881 ?

C’est une probabilité car la durée du voyage entre Bordeaux et Ribérac était d’environ 3 heures 30 à une vitesse de 50 km/h pour une distance de 173 km, plutôt qu’en hippomobile, la durée étant de 12 h 30 à 10 km/h pour 124 km.

Le « chef de famille » Félix Fargeaud, né le 10 mai 1851 à Saint-Pardoux de Drône, habite Douchapt lorsqu’il se marie le 22 avril 1877, quant à la future, Jeanne Beau, née le 25 novembre 1847 à Neuvic, elle est veuve en premières noces.

Tous deux sont cultivateurs, vivent chez leurs parents et ne savent signer. Voir registre des mariages : 5 E 455/7 page 1/7.

Marie-Louise, comme bon nombre d’enfants en bas âge ne survivra pas au-delà de quelques mois tout en ayant peut-être partagé la misère du couple Fargeaud quelques semaines.

Si le recenseur en 1881 omet d’inscrire le couple, en 1891, Félix et Jeanne sont bien présents, accompagnés d’une nouvelle enfant assistée nommée Emma Garrigoux âgée de 9 ans.




La petite Marie-Louise est accueillie en 1884, tout comme Emma en 1891, par un couple qui ne peut avoir d’enfant. Le couple avait donc le désir de s’attacher d’une manière plus intime à une enfant de l’hospice.

Marguerite Emma est née le 10 septembre 1882 à Libourne de Marie Garrigoux, sans domicile connu et de père inconnu.

La famille Fargeaud recueille Emma au moins jusqu’à ses douze ans et perçoit régulièrement des gages. Lorsqu’Emma fréquente l’école (gratuite et laïque depuis 1882), la famille complète ses revenus par une prime qui compense la perte du service que rend Emma par son travail quotidien.

A partir de ses 13 ans, Emma a peut-être été placée comme domestique, la famille Fargeaud n’ayant plus les moyens de l’élever et de l’entretenir ……

En effet le recensement de 1901 souligne la précarité professionnelle du couple, Félix, 50 ans est domestique agricole, Jeanne, 54 ans est journalière agricole.

Le 24 avril 1899, et après consentement de la Commission Administrative des Hospices civils de Bordeaux et de son représentant tuteur délégué, le Sieur Pierre-Paul-Ernest Lanusse, Emma, 17 ans, sans profession se marie avec Jean Pichardie, ouvrier tuilier, habitant la rue de Chez Videau à Saint-Martin de Ribérac (rue située à gauche sur la photo, derrière le groupe d’habitants).

La mère d’Emma, absente lors du mariage de sa fille, est en 1899 sans profession ni domicile.

Voir réf : Mariages, 1899, 5 E 455/9, page 5/11.




La petite église de « Sent Martin de Rabairac » où se marièrent Emma et Jean



Les signatures d’Emma et Jean

En l’absence de son père nourricier, Félix Fargeot.

18 années après son mariage, le 5 mars 1917 à 7 heures du matin, Marguerite Emma Garrigoux, 35 ans décède à son domicile de Saint-Martin de Ribérac. Son père nourricier, Félix Fargeot, 65 ans, déclare le décès de sa petite « Emma » en présence de l’instituteur du village, Guillaume Faure. Les deux déclarants sont reçus par le conseiller municipal Bernard Dignac faisant fonction de maire.

Emma aura, jusqu’à son décès, connu quelque stabilité en côtoyant le couple Fargeot durant presque 3 décennies ce qui n’était pas le cas de la majorité des enfants assistés.




L’hospice de Bordeaux au 19ème siècle

Emma et Marie-Louise sont accueillies respectivement en 1882 et 1884 à l’Hôpital de la Manufacture, fermé définitivement en 1887 pour insalubrité.

La Manufacture était située dans le quartier Sainte-Croix, regardant la Garonne quai de Paludate, et les anciens chantiers de construction de la marine du Roi.




Un nouvel Hôpital est inauguré en 1888



« Construit cours de l’Argonne selon les idées de Pasteur et d’Eiffel, il comporte une dizaine de pavillons à 3 niveaux, aérés par de hautes fenêtres et reliés par des passerelles métalliques au bâtiment central. Ainsi, on espère par l’isolement éviter la contagion de maladies comme la diphtérie, la coqueluche ».

Les enfants ne restaient que quelques jours à la Manufacture avant d’être dirigés vers leurs nourrices ou gardiens, principalement localisés dans le nord de la Gironde, le sud de la Charente-Inférieure, de la Charente et dans l'est de la Dordogne.

Une fois parvenus à la campagne, « où ils grandissaient on les appelait « bourdeaux », en référence aux lieux de mauvaise vie, de mauvaises mères ».

En parcourant les registres paroissiaux de l’année 1884 et les recensements de 1881 de Saint-Martin de Ribérac et Léguillac de l’Auche, avec beaucoup de précaution, on peut établir peut-être sans être exhaustif sur un aussi petit panel, la répartition en nombre de décès des enfants assistés en bas âge, ainsi que le nombre de « survivants » et leurs statuts professionnels à venir sur ces deux communes éloignées l’une de l’autre de 22 km.

Concernant les registres d’état civil, les marges d’erreurs restent minimes d’autant plus qu’il s’agit de petites entités, le village, le hameau.

Il n’en est pas de même des recensements de population qui donnent lieu tout au long du 19ème siècle, et à fortiori bien avant, à de nombreuses interprétations des circulaires officielles de la part des recenseurs et autorités municipales, qui pourtant connaissent leurs administrés, mais manquent cruellement de préparation ou qui, par méfiance ou par fraude minimisaient volontairement le nombre de maisons et le nombre de personnes afin d’éviter certains impôts….

La saison choisie pour effectuer le recensement, notamment en milieu rural est le printemps car les travaux préparatoires aux semailles retiennent les paysans à leur domicile, quant aux émigrants ils sont rentrés chez eux….

En matière de recensement l’une des tâches les plus délicates est le classement de certaines catégories d’individus comme les enfants assistés, en nourrice, à tel point que certains maires dans la 1ère moitié du 19ème siècle ne comptaient pas, tout simplement, les enfants de moins de 2 ans.

Remarque : au 19ème siècle, les femmes commencent à travailler dans les usines et confient leur enfant en nourrice à la campagne. Bientôt ce placement touche toutes les classes sociales et non plus une catégorie sociale aisée.


Les recensements et l’enfant assisté

L’exemple de Saint-Martin de Ribérac



L’exemple de Léguillac de l’Auche



1876 - le recensement de Saint-Martin de Ribérac : on ne peut distinguer les adolescents, ou mineurs provenant des hospices ; seuls sont notés les métiers exercés, servantes ou domestiques et leurs lieux de naissance, Bordeaux ou Périgueux ; cela laisse à penser qu’ils sont enfants assistés.

Quant aux enfants de moins de 5 ans en nourrice, on ne peut se baser simplement sur leur lieu de naissance, sont-ils enfants assistés ou placés par quelques familles aisées de Bordeaux ou Périgueux ?

En 1881, toujours sur Saint-Martin de Ribérac, le recenseur n’indique pas la provenance de l’enfant assisté, est-il de l’hospice de Bordeaux ou de Périgueux, contrairement au recenseur de Léguillac de l’Auche. C’est donc par déduction que l’on doit procéder.

En 1891, le recenseur de Saint-Martin de Ribérac ne mentionne que l’intitulé « assisté(e) », celui de Léguillac de l’Auche, « pupille de l’hospice de Bordeaux ou Périgueux ».

Une permanence, l’enfant assisté(e), la servante, le domestique ou l’apprenti sont toujours indiqués par le recenseur naturellement après les membres de la famille.

La population de Saint-Martin de Ribérac en 1881 est composée de 937 habitants dont 159 agglomérés avec 42 maisons et 42 ménages et 778 éparses avec 191 maisons et 191 ménages.

La population de Léguillac de l’Auche en 1881 est composée de 651 habitants dont 86 agglomérés avec 21 maisons et 20 ménages et 565 éparses avec 113 maisons et 113 ménages.

Les deux premières remarques notables communes aux deux villages sont les suivantes. Les enfants assistés sont majoritairement présents en dehors du bourg et placés principalement auprès de familles d’agriculteurs.

Sur le bourg de Saint-Martin, seul le chapelier Jean Elie Moran accueille un enfant de l’hospice, Lubret Alphonse, 3 ans.

Après leurs 12 ans, sans avoir l’assurance que ce sont des enfants assistés, on rencontre dans le bourg, le charpentier Duriaublanc employeur d’une servante âgée de 16 ans, Hélène Bille, le scieur, Ribot Jean qui emploie Marie Ribeyrie, servante âgée de 14 ans, le curé, l’institutrice et un cultivateur, emploient des domestiques ou servantes de plus de 59 ans. Un maréchal et un cordonnier emploient de jeunes ouvriers âgés de 17 ans….

Sur Léguillac bourg, une famille emploie un domestique âgé de 13 ans nommé André Desmaisons et une servante de 54 ans, un propriétaire cultivateur, un domestique sourd-muet, Simon Henri âgé de 55 ans.

Sur Saint-Martin, hors bourg, le « chef de famille » est soit cultivateur (10) soit colon (3), sur Léguillac, 8 sont cultivateurs-métayers, 5 sont propriétaires-cultivateurs. (Le colon partiaire, synonyme de métayer est un type de bail rural).

Les foyers sont composés à Saint-Martin de 3 à 4 membres, sur Léguillac, il n’est pas rare de rencontrer des foyers de 6 à 7 membres.

Considérons les enfants assistés de moins de 12 ans :

L’âge moyen de leurs « gardiens ou patrons » est de 57 ans sur Saint-Martin, 34 ans sur Léguillac. L’âge moyen des enfants assistés de moins de 12 ans est de 4 ans sur Saint-Martin, 3 ans sur Léguillac. Toujours sur Léguillac, si l’on ajoute les 4 enfants assistés de plus de 12 ans, l’âge moyen des patrons est de 51 ans.

A ce stade il faut souligner que l’acte d’accueil est essentiellement à but lucratif, ainsi sur Saint-Martin 8 gardiens de plus de 50 ans accueillent de jeunes enfants âgés en moyenne de 4 ans et demi.

Sur Léguillac, 5 gardiens de plus de 50 ans accueillent de jeunes enfants âgés en moyenne de 4 ans.

Sur Saint-Martin, les enfants assistés sont majoritairement des garçons, 9 garçons et 5 filles, sur Léguillac de l’Auche, 7 garçons et 7 filles.

L’hospice de Bordeaux est moins représenté sur Saint-Martin avec 5 enfants que celui de Périgueux avec 8 enfants.

A Léguillac 7 enfants sont issus de l’hospice de Périgueux et 6 de l’hospice de Bordeaux.

A Saint-Martin, 12 hameaux accueillent des enfants assistés, « Chez Pouyou » deux frères prennent en charge deux enfants de 7 ans et au « Cluzelard » le colon Jean Fougeras accueille deux enfants âgés de 7 ans pour le garçon et 8 mois pour la fille.

Sur 13 enfants assistés hors bourg de Saint-Martin nous avons pu recueillir quelques informations personnelles sur seulement 9.

Ainsi on peut suivre le parcours de Louis Dufort devenu charpentier, marié en 1901 et signataire de son acte de mariage ce qui dénote d’un niveau certain d’éducation. Guillot Marie se marie en 1905, elle est à présent cuisinière. Louis Angeli décède au front en 1915 à l’âge de 36 ans. Paul Mathiens décède à l’âge de 2 ans.

Praudel Pierre, 7 ans en 1881, est le seul enfant assisté sur Saint-Martin encore présent 10 ans après chez son gardien Trigoulet Léonard. Cultivateur, il se marie en 1903 et ne signe pas son acte de mariage, c’est aussi le seul enfant assisté sur les deux villages à être reconnu par ses parents.

Marie Berthe se marie en 1899. Emile Lachaud est un « enfant honnête, sait lire et écrire », selon l’écrit du registre de tutelle de l’hospice de Périgueux. Emile est domestique en 1891. Berthe Lacour en 1901 bénéficie d’un don Olanyer attribué par la Commission Départementale de Bordeaux. Enfin Jean Bouty décède en 1895 à l’âge de 18 ans.

Sur Léguillac de l’Auche, 10 hameaux accueillent des enfants assistés. Au But, deux cultivateurs hébergent 1 garçon de 3 ans et une petite fille d’1 ans. A Caroly, deux enfants, une fille de 1 an et un garçon de 6 ans sont hébergés par deux cultivateurs propriétaires. Quant au hameau de Linard deux couples de métayers emploient deux adultes des hospices, l’un de 20 ans, domestique et l’autre 22 ans, servante.

Dans le détail des parcours de vie des enfants assistés Léguillacois, sur 13 enfants, nous avons glané quelques informations sur 8 d’entre eux.

Tout d’abord, Jean Pommier qualifié sur le registre de tutelle par son gardien, « d’illettré et mou ». Jean Pommier est domestique à l’âge de 10 ans à Saint-Léon sur l’Isle.

Laurence Roubinet est un « très bon sujet, soignée et en bonne santé » selon l’avis de l’inspecteur de l’hospice de Périgueux. Nous retrouvons Laurence, 17 ans sur le recensement de 1886 servante à Perpezat chez Jean Riboulet, 71 ans.

Devenue cultivatrice, Laurence contracte mariage en 1888 et signe son acte de mariage. Son époux n’est autre qu’Alexandre Souletis, domestique en 1881 à Linard, qualifié de cultivateur en 1888 aux hameaux des Granges. Les deux futurs habitent à 2,5 km l’un de l’autre. (Une famille Neyssensas sera employée aux Granges par un certain Guillaume Rondet, fils du notaire local dans les années 1693)

Alexandre ne signe pas son acte de mariage. Les deux futurs passent contrat devant le notaire Duchazeau de Mensignac.




En 1888, quelques jours après son mariage, l’hospice de Périgueux remet à Laurence son livret de Caisse d’Epargne alimenté d’une partie de ses salaires perçus depuis ses 15 ans. « Reçut mon livret de famille ».



Sur notre étude il s’agit du seul mariage entre deux enfants de l’hospice de Périgueux.

Jeanne Belingard, 14 ans en 1881 est maltraitée par son gardien Jean Maze de la Croze.

Ce que l’on sait de Jeanne selon les informations délivrées par le registre de tutelle :

Jeanne nait le 12 juillet 1867 et porte le matricule 3489, avec une date d’autorisation préfectorale du 17 aout 1867. Jeanne, baptisée le 18 aout 1867 à l’hospice de Périgueux sera vaccinée contre la variole le 12 juillet 1868.

Le procès-verbal mentionne le lieu de naissance de l’enfant, Saint-Germain des Prés, les prénoms et nom de sa mère, Marie-Anna Belingard, âgé de 20 ans, cultivatrice, père inconnu.

Le 21 aout 1867, Jeanne est placée chez Monsieur Jean Bernard époux de Jeanne Soulier, nourrice enceinte à Mensignac. En Janvier 1868, le placement se situe à Annesse, en Décembre 1868 à Thenon, en Décembre 1876 à Puybouchey, Saint-Geyrac en juin 1878, Léguillac de l’Auche le 1er octobre 1879, chez Monsieur Maze Jean et Marguerite Chastanet son épouse domiciliés au hameau de la Croze.

Attardons-nous sur le placement le plus long d’une durée de 6 ans et 11 mois chez Jean Maze à la Croze. Jean Maze est âgé de 72 ans, qualifié de boucher cultivateur propriétaire lorsqu’il accueille Jeanne, âgée de 12 ans.

Le 30 septembre 1879, le maire Rapnouil donne un avis favorable au placement. Il écrit : « Nous soussigné Maire de la commune de Léguillac de l’Auche, certifions qu’il peut être confié un enfant de l’hospice à Marguerite Chastanet épouse de Jean Maze, propriétaire demeurant au village de la Croze ».

En 1882, l’inspecteur note de « bons soins », en 1883 un « assez bon suivi », en 1884 « assez bien soignée, bonne santé », en 1885, Jeanne, jeune servante, est « peu intelligente, surveiller ce placement ».

En 1886, « changée de place, le Sieur Maze son gardien la brutalisant et l’entretenant fort mal. A diverses reprises elle avait été l’objet de mauvais traitements de la part de ses gardiens. Il a été fort difficile à l’inspection de connaitre la vérité ».

Son placement cesse brusquement fin aout 1886 sur avis de l’inspecteur de l’hospice de Périgueux. Jeanne, 19 ans, quitte la Croze et son gardien Jean Maze, 79 ans.

Le 1er septembre 1886, Jeanne est accueillie par Jean Nouailler à Léguillac de l’Auche, puis le dernier placement se situe à Trélissac chez Jacques Boissavy.

Le 24 octobre 1888, le livret de Caisse d’Epargne est remis à Jeanne.

Jeanne Belingard se marie le 2 février 1892 à Trélissac avec Pierre Pothier. Le couple aura au moins 4 enfants connus.

Adélaide Laboutade, 22 ans, chez Guichard Antoine métayer à Linard, est lingère lors de son mariage en 1888, Adélaide ne sait signer.

Laroque Maurice André, enfant assisté de l’hospice de Bordeaux, 1 mois en 1881, est qualifié de domestique en 1901 aux Léches.

Négrier François Lucien, cultivateur, célibataire, décède en 1895 à l’âge de 23 ans.


La situation difficile des enfants assistés tout au long du 19ème siècle

Les enfants assistés sont régulièrement déplacés, ainsi sur Saint-Martin de Ribérac, un seul enfant sur les 14 recensés en 1881 est encore présent dix ans après, Praudel Pierre.

A Léguillac de l’Auche sur 13 enfants assistés, 6 en 1881 sont encore présents en 1891, 10 ans après. Il s’agit de Pommier Jean Claude Léonce, Petite Justin, Belingard Jeanne, Souletis Alexandre, Laroque Maurice André et Négrier François Lucien.

 

« Il est bien rare… que le motif qui pousse les habitants de la campagne à souscrire ces actes soit le désir de s’attacher d’une manière plus intime aux enfants ; ces actes sont demandés presque toujours dans la fausse idée de se considérer comme les maîtres absolus  de ces malheureux orphelins, de les posséder en quelque sorte à titre d’esclaves…Presque jamais, au bout de deux ou trois ans, on ne retrouve les enfants ainsi placés chez les personnes qui les ont retirés : n’ayant pas les moyens de les élever, elles les placent en qualité de domestiques ».

Léonce de Lamothe 1847

Un article paru dans le journal l’Eclair en 1894 met en lumière la situation désastreuse des enfants assistés :

« L’enfant confié au paysan dont le cœur est dur comme un rocher, ne serait pas nourri comme il faut, son origine lui serait souvent reproché. Il servirait de jouet aux autres enfants de son gardien et les filles à l’âge nubile, surtout, seraient victimes de la lubricité de son patron, de ses enfants ou des valets de ferme, leur viol paraissant chose naturelle. L’image de l’enfant hospitalisé élevé dans la tendresse par ses parents nourriciers est bien loin. Les nourriciers ne seraient-ils donc que des Thénardier ?» Extrait de : Enfants trouvés et abandonnés de la Gironde - 19ème siècle - Monique Lambert - Cahiers d’Archives - Des archives…. Des histoires.

Le conseil général de la Gironde décide en avril 1901 une augmentation du taux de salaire des nourrices dans le double but : « de retenir les enfants assistés dans le département de la Gironde où le manque de bras se fait sentir pour l’agriculture et de soustraire à la mort, en leur assurant de meilleurs soins dans les premiers jours de leur existence, le plus grand nombre d’enfants possible ». Le salaire d’une nourrice s’établit à 25 francs mensuels à compter de 1901.


La mortalité des enfants à la fin du 19ème siècle

Cas particulier sur une période réduite, l’année 1884 sur Saint-Martin de Ribérac et Léguillac de l’Auche mais qui cependant donne quelques tendances sur le sort effroyable des nourrissons.

Le nombre de décès en 1884 à Saint-Martin de Ribérac s’élève à 28 tous âges et sexes confondus. Tout comme en 1883, en 1885, 22 et 30 en 1886.

L’âge moyen des habitants décédés est de 32 ans toute population confondue, hommes, femmes et enfants.

Si l’on fait exception des enfants en bas âge (inférieur à 5 ans), l’âge moyen est de 69 ans.

Chez les moins de 5 ans, l’âge moyen des enfants décédés est de 9 mois. Sur 15 enfants en bas âge décédés, 9 enfants sont légitimes et 6 sont assistés originaires de l’hospice de Bordeaux. Sur 6 enfants de l’hospice 5 sont de sexe féminin et sur 9 enfants légitimes, 6 sont de sexe masculin dont 2 nés sans vie pour 1 fille née sans vie. Sur 15 petits enfants décédés 7 sont des filles, 8 sont des garçons.

La plupart des adultes est cultivateur et décède à un âge avancé, 4 ont plus de 68 ans.

4 hommes décèdent à un âge moyen de 63,5 ans, dont 3 cultivateurs et 1 sans profession.

9 femmes décèdent à un âge moyen de 71 ans, 4 cultivatrices et 5 sans profession.

Pour la même année :

Le nombre de décès en 1884 à Léguillac de l’Auche s’élève à 22 tous sexes confondus. En 1883, le nombre de décès s’élèvent à 12, 15 en 1885 et 10 en 1886.

L’âge moyen des décédés est de 36 ans, toute population confondue.

Si l’on retire de la statistique les enfants en bas âge, la moyenne d’âge des décédés adultes est de 65 ans, 4 ans de moins que sur Saint-Martin.

Chez les enfants de moins de 5 ans, l’âge moyen des décédés est de 10 mois, sensiblement identique à Saint Martin. Sur 11 enfants en bas âge, 6 sont légitimes, 5 sont des enfants assistés de l’hospice. (4 pour Bordeaux et 1 pour Périgueux). 3 enfants assistés sont des garçons. En ce qui concerne les enfants légitimes, 3 sont de sexe féminin, 3 de sexe masculin, et un garçon né sans vie.

Sur 11 enfants décédés avant l’âge de 5 ans, 5 sont des filles, 6 sont des garçons.

Les femmes décèdent en moyenne à l’âge de 65 ans, 1 an plus tôt que les hommes. 3 cultivatrices sont âgées de plus de 70 ans.

3 hommes décèdent à un âge moyen de 66 ans, dont 1 maçon, 1 cordonnier et 1 sans profession.

9 femmes décèdent à un âge moyen de 65 ans, dont 4 cultivatrices, 3 veuves et 2 sans profession.

Quelques similitudes entre les deux villages :

C’est donc bien la mortalité infantile qui impacte à la baisse l’âge moyen des personnes décédées.

L’âge moyen des enfants en bas âges décédés se situe entre 9 et 10 mois.

La majorité des enfants assistés décédés provient de l’hospice de Bordeaux. (1 seul pour Périgueux)

Les garçons décédés légitimes ou assistés représentent 1 point de plus que les filles sur les deux villages.

Les femmes travaillent pour certaines bien au-delà des 70 ans, peut-être sont-elles veuves mais cela n’est pas indiqué.

Enfin sur Saint-Martin de Ribérac, 14 adultes décèdent en 1884, 14 enfants décèdent. Sur Léguillac de l’Auche, 11 adultes décèdent, 11 enfants décèdent.

Quelques différences entre les deux villages :

Les adultes décèdent aux environs de 69 ans à Saint-Martin de Ribérac et 65 ans à Léguillac.

Les femmes de Saint-Martin décèdent 8 ans plus tard que les hommes, sur Léguillac il y a peu d’écart, les hommes à 66 ans, les femmes à 65 ans.

On note plus d’enfants légitimes décédés que d’enfants assistés à Saint Martin, le nombre est à peu près identique pour Léguillac.

Sur Saint-Martin de Ribérac, sur 6 enfants assistés, 5 sont des filles, sur Léguillac, sur 5 enfants assistés décédés, 3 sont des garçons.


 En 1809, époque de la « boîte » de l’hospice de Périgueux

Les enfants le plus souvent sont exposés à la boîte, de nuit et de préférence entre minuit et une heure du matin.

Parfois la personne qui dépose l’enfant joint, collé ou agrafé, un billet, un signe distinctif, appelé « marque », une image pieuse par exemple découpée dans du papier, autant d’indices qui permettront peut-être un jour de retrouver la trace de l’enfant.





Le 4 décembre 1806, un enfant à qui l’on donne le prénom de Marc décède le 3 janvier 1807 chez sa nourrice Marie Sadré, veuve de Gabriel Lagrange, à Cornille.



Pierre portant le numéro 589, né en octobre 1806 est confié au couple Pierre Rebière et Armiot Barbeau.

Le commentaire émane d’un notable confiant le « malheureux » enfant Pierre aux soins des Dames de l’hospice. « Peut-être l’époque ne sera pas éloignée, on saura reconnaître tout ce que l’on aura fait pour lui ».



1809 - La famille Villepontou à Tabouri, commune de Léguillac entretient la petite Toinette pour un salaire de 6 francs mensuel.






« Le treize avril 1809 à minuit a été trouvé à la boite une fille vêtue d’un mauvais bourrasou et un serre-bras de coton à petits carreaux et une mauvaise chemise et un bonnet d’indienne brun garni d’une espèce de dentelle bleue, elle a de plus un paquet qui contient quatre mauvais draps, trois mauvaises chemises et deux mauvaises coiffes de coton à carreaux bleus, dont un garni d’un piquot blanc et un mauvais serre-bras et un mauvais bourrasou de cadis, elle a pour marque un morceau de papier où il y a écrit dessus, « a été baptisée, le dix-huit » et a été baptisée à l’hospice sous le nom de sophie. Elle est morte le 16 aout 1810 ».



« Le 13 avril 1809 à huit heures du soir il a été trouvé à la boîte de l’hospice un enfant male nouveau-né vêtu d’un bourrasou demi-usé, un serrebras d’indienne à fleur demi-usé, une bourrette en draps gris garni d’une dentelle noire, et a été baptisé sous le nom de Léonard, mort le 18 avril 1809 ».


Le petit trousseau d’un enfant trouvé au 19ème siècle




Bourrassou : pièce d’étoffe très épaisse, généralement carrée, de laine ou de coton, dont on enveloppe le bébé au maillot par-dessus les couches.

Serre-bras d’Indienne : cotonnade imprimée appelée Indienne.

Bourrette : qualité de fils obtenue avec de la bourre de soie.


80 ans plus tard………

Quelques commentaires des inspecteurs de l’hospice de Périgueux, extraits du registre de tutelle entre 1890 et 1897.

Favard Marie née le 7 octobre 1875 « Inspection du 19 octobre 1890 : très bien placée, sait lire, écrire, et compter. Inspection du 12 septembre 1892 : santé bonne, n’est pas intelligente, le gardien se plaint de son entêtement et prétend qu’il lui arrive parfois d’uriner au lit ». Marie  est âgée de 17 ans.

Chevalier Jean né le 29 novembre 1876 « Inspection du 15 octobre 1889 : enfant petit, bien placé, sait lire et écrire, fera sa 1ère communion en mai 1890, pour cette raison ne rien verser pour 1890. Inspection du 26 avril 1891 : bien placé, bon petit garçon, intelligent, sait un peu lire et écrire. Inspection du 21 mai 1896 : conduit l’omnibus qui fait le service de la gare de Neuvic. Le 30 mai 1897 : été reconnu bien pour le Conseil de révision ». Jean est âgé de 21 ans.

Lalet Adèle née le 26 octobre 1876, mariée le 20 février 1897 : « Inspection du 8 septembre 1889 : bien placée, charmante petite. 1er septembre 1894 : grande et belle fille, sait lire, écrire et compter. On est satisfait de ses services. Mariée le 20 février 1897 avec le fils de son gardien ». (Époux Jacques Mandeix à Champagnac de Belair). Adèle est âgé de 21 ans.

Barthelemy Marie née le 14 aout 1876 : « Inspection du 6 septembre 1889, complétement infirme, sait lire et écrire, bien placée. En 1890, bien placée d’après Monsieur le Maire. En 1891, fréquente toujours l’école. En 1894, sait coudre et tricoter. En 1895, continue d’aller à l’école, pense obtenir son certificat d’études ». Marie est âgée de 19 ans.

Vitrac Marie, est née le 18 juin 1876 à Jumilhac le Grand de Jean Vitrac décédé le 5 février 1876 et d’Anne Château décédée le 4 janvier 1877. Marie à présent orpheline est placée pour la première fois le 23 janvier 1878.

« Cette fille est une mauvaise tête qui ne peut rester dans aucune place. En 1892, santé bonne, toujours paresseuse. Le 30 mai 1893, l’Inspecteur note : illettrée, santé bonne, parait décider à travailler. Le 26 mai 1895, prétend avoir trop de travail, ses maîtres sont assez satisfaits d’elle. Le 11 septembre 1896, toujours les mêmes constatations, ne restera pas à cette place, projet de mariage et s’en défaire ». Marie sera placée 37 fois en 9 années dont chez les Valbrune de Saint -Astier du 18 avril 1896 au 6 mai 1896.

Marie se marie le 26 février 1897 avec Eugène Mazière de Saint- Apre à l’âge de 21 ans.

Vigier Marie née le 16 juin 1876, mariée le 6 juillet 1895. « Inspection du 16 mai 1891, santé bonne, illettrée, ses précédents gardiens avaient à se plaindre de son bavardage. En 1895, forte fille, sait coudre et tricoter. Est guérie de sa pneumonie ». Marie est âgée de 19 ans en 1895.

Bayle Marguerite née le 9 octobre 1876, « Inspection en 1892, paraît intelligente, santé et conduite bonnes, illettrée. Le 19 février 1896, entre à la maternité où elle accouche d’un enfant décédé le 28 février, le 25 juillet santé bonne, illettrée, se conduit bien jusqu’à présent ». Marguerite est âgée de 20 ans en 1896.

Delugin Marie, née le 21 janvier 1877, « Inspection du 26 octobre 1890, bien placée, illettrée, santé bonne. Inspection du 29 avril 1895, grande fille mais frêle et peu robuste. Parait avoir un vrai culte pour son père adoptif qu’elle ne veut plus quitter, ce dernier et déjà un vieillard sans enfant, lui a fait donation de son avoir par testament passé devant Maitre…. Notaire à Cubjac. Cette pupille travaille en ce moment à l’usine de bijouterie de Cubjac où elle gagne 0.50 franc par jour qu’elle promet de verser en majeure partie à la Caisse d’Epargne. A perdu sa patente ». Marie travaille à l’usine à l’âge de 18 ans.

Viremouneix Jean né le 9 avril 1877, « Inspection du 22 février 1886, gentil petit, ne va pas à l’école, faire verser en 1886 s’il n’a pas fréquenté l’école. En 1893, s’est bien remis de sa fièvre typhoïde, voudrait revenir chez son 1er gardien, en 1894, embarras gastrique, en 1895, santé bonne, sait labourer et faucher, ira le 18 mai 1897 chez son frère à Château l’Evêque où il gagnera 180 francs ». Jean rejoint son frère à l’âge de 20 ans. Se mariera le 21 avril 1906 avec Catherine Reparat à Saint-Paul la Roche.

Domert Jean, né le 17 aout 1877, « Rentré à l’hospice le 13 aout 1891, sa sœur ayant disparue, inspection du 30 avril 1893, bien placé, pas très fort pour son âge, on est assez satisfait de son service. En 1895, était absent, 1896, était aux champs, en 1898, grand et fort pour son âge, sait faucher et labourer. A tiré le numéro 289 pour le service auxiliaire ». Se marie le 11 mai 1899 à Annesse et Beaulieu avec Marie Comte. Jean est âgé de 22 ans lors de son mariage.

Granger Achille né le 8 octobre 1877, « Inspection du 29 mai 1889, bien placé, ne fréquente pas l’école, en 1891, petit pour son âge, 1898, s’est un peu développé, est satisfait de ses maîtres, a tiré le numéro 188, ajourné ». Achille est âgé de 21 ans lors de son ajournement.

Bouthineau Grégoire né le 7 mars 1878, « Inspection du 12 octobre 1890, bien placé, mauvais sujet, les gardiens ne veulent plus le garder s’il ne se corrige pas. En 1891, conduite meilleure. En 1892, santé bonne, sait lire et un peu écrire, paresseux et maraudeur. S’est évadé de son dernier placement. Le 20 mars 1893, rencontré par l’inspecteur dans les rues de Périgueux, a été remis entre les mains de la Police qui le recherchait à cause de plusieurs vols commis au préjudice de ses gardiens. En avril 1893, condamné à être interné dans une maison de correction jusqu’à sa majorité ».

Il est alors logé par Arnaud Champarnaud, lieu-dit Maison Neuve à Léguillac de Cercles. « Le 1er février 1896, deux jeunes évadés, Pierre Maysman et Grégoire Boutineau s’étant échappés de la colonie agricole de Jommelières de Javerlhac ont été arrêtés par la brigade de Mareuil » in journal La France de Bordeaux et Sud-Ouest - 1896.

Grégoire est âgé de 15 ans lors de son internement et 18 ans lorsqu’il est arrêté par les gendarmes de Mareuil.

Roche Adrienne, née le 29 avril 1878, « Inspection du 8 juillet 1887, bien placée, bonne petite, fréquente l’école, en 1891, santé médiocre, sait lire, écrire et compter, en 1895, grande et belle fille, bien placée, sait un peu lire et écrire, en 1897 a été malade, a été soigné et s’est bien remise, sait coudre et tricoter, en juillet 1898, était dans les champs, va très bien m’a-t-on assuré, en décembre 1898, pas encore rencontré, sa gardienne m’a assuré qu’elle allait très bien, cette dernière est également satisfaite ».

Adrienne est âgée de 20 ans, l’inspecteur ne l’a pas rencontré durant l’année 1898 malgré un 2ème passage en fin d’année.

Pinaud Louis, né le 1er novembre 1878, « Inspection du 10 septembre 1896, fort garçon intelligent, sais lire et peu écrire, l’augmenter au prochain contrat de 20 à 25 francs. Son gardien doit l’apprendre à labourer. Le 20 décembre 1897, santé bonne, commence à savoir labourer, bon sujet, bon placement. Le 8 décembre 1898, garçon sérieux été intelligent, fera un bon soldat ». Louis est âgé de 20 ans lors du dernier passage de l’inspecteur en 1898.

Dussol Ludovic né le 5 aout 1878, « Inspection du 20 mars 1890, bien placé, sait lire et écrire, en 1891, même notes, insolent, en 1894, se plaint de n’être pas très bien entretenu, à vérifier avec soin le compte produit par le gardien ». Ludovic est âgé de 16 ans lorsqu’il se plaint de son gardien.

Auzard René, né le 29 novembre 1878, « Inspection du 21 mai 1891, santé et conduite bonnes - illétré et trapu. Ne rien faire verser en 1892, le pupille ayant perdu une pièce de 20 francs qu’il avait prise à son gardien. Jean Borie, gardien aux Massonnaux à Agonac a conduit l’enfant auprès du Maire. Selon le Maire d’Agonac, « le pupille Auzard a reconnu avoir pris une pièce de 20 francs dans la poche de son gardien et l’avoir ensuite perdue. Le pupille m’a paru sensible aux diverses réprimandes et recommandations que je lui ai faites ». Incorporé au 21ème d’artillerie à Angoulême. René est âgé de 14 ans lorsqu’il rencontre le Maire d’Agonac après le vol d’une pièce de 20 francs.


Conclusion

« Heureusement quelques-uns de ces enfants assistés ont survécu et ayant grandi, vont faire souche à Léguillac.

Bernard Hubert, enfant de l’hospice de Périgueux, résidant toujours chez sa nourrice à Pépinie épouse Anne Varaillon, servante au bourg, en 1855. Au même village, Jacques Garraud, cultivateur à Pépinie, fut le père nourricier de Théodore Borel, qui épouse en 1862 Marie Marcille, elle-même de l’hospice de Périgueux.

Jean dit Venou né en 1803 de père et de mère inconnus, fut le premier de la lignée des Venou de Puychaud ». Françoise Raluy - Léguillac de l’Auche - 2016

Puychaud pour mémoire fut la demeure du notaire Charles Rondet et de son épouse Annette Meyssensas, fille de Mathieu d’Armagnac en 1630. 


Annexe

 


Davaland, aujourd’hui encore, « l’arbre de mai », vieille tradition occitane, est planté dans le village. En occitanie, afin de célébrer l’arrivée du printemps, les jeunes gens coupaient et transportaient « l’arbre du mai » l’ enrubannaient et le plantaient sur la petite place à Davaland.

Moment de grande importance pour les habitants du hameau, symbole de jeunesse et de fécondité, « l’arbre de mai » est un souvenir antique du culte de la Déesse Nature, Maïa, célébrée chez les romains.

Encore de nos jours, « l’arbre de mai » célèbre l’élection d’un nouvel élu local (couleurs du drapeau) ou l’achèvement de la charpente d’une maison.







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