Guerres


Nos ancêtres face aux conflits des guerres de la Révolution et de l'Empire, des deux guerres mondiales et d'Algérie


Pierre Neyssenjean, la campagne de 1793 en Vendée


Jacques Neyssensas, la campagne de 1794 dans les Pyrénées Occidentales

 François Leyssensa, la campagne d’Egypte en 1798


Napoléon et la Grande Armée, Jacques et Coulaud, décédés entre 1807 et 1813
 

Jean, déserteur à Toulouse, en 1814
 

Pierre Neyssensas, décédé en 1870


Paul Neyssensas décédé pendant la bataille de la Marne en 1914 et tous ceux cités


Maurice Neycensas, marin rescapé  à bord du cuirassé Dunkerque

à Mers El Kébir (Algérie) en 1940


Neyssensas Robert, Résistance Intérieure Française, déporté et interné à Mauthausen en 1943


Neycenssas Pierre, décédé en déportation en 1944


Neycenssas Jack, décédé en Algérie en 1957








Les soldats de la Révolution - La campagne de 1793



Le décret de l’Assemblée législative du 5 mai 1792 décrète la formation de deux bataillons de gardes volontaires nationaux en Dordogne.

Le 21 Janvier 1793, le gouvernement révolutionnaire exécute Louis XVI. L'Espagne et le Portugal rejoignirent la coalition anti-française en janvier 1793 et, le 1er février, la France déclare la guerre à la Grande-Bretagne et à la République Néerlandaise.

La Convention, le 24 février 1793, décrète l'état de réquisition permanente pour tous les citoyens âgés de 18 à 40 ans, célibataires ou veufs sans enfants.
Dans toutes les communes les hommes peuvent s'inscrire volontairement. Si tel n’est pas le cas les autres sont réquisitionnés. Dans ces conditions de nombreux actes de séditions sont commis, notamment à Périgueux.

Pierre Neyssenjean, 19 ans, est cultivateur à Mensignac, son père, Charles, est cultivateur. Pierre est inscrit en qualité de volontaire sur les registres, mais l’était-il vraiment ?.

Un autre Pierre Neyssenseas, 25 ans, tisserand à Leguihac est requis pour habiller les soldats. Son père est cultivateur.

Chaque commune équipe ses volontaires, le paquetage de Mensignac, par exemple, consiste en « un habit, une veste, deux culottes, trois chemises et deux cols pour l’habillement, deux paires de guêtres  et deux paires de bas, un chapeau, deux paires de souliers, un havresac de peau, pour l’équipement, pour l’armement, aucune arme mais une giberne, un tournevis et un tire-balle ». extrait de Regard sur un Village du Périgord de C. Nectoux, et Caignard. Aucun membre Neyssensas n’est présent sur les listes de jeunes hommes de Mensignac envoyés vers Anger pour la plupart, en septembre 1794.

Les « volontaires » de la Dordogne appartiennent à 11 régiments différents.

Les volontaires de la première heure ou requis de la deuxième seront appelés "volontaires" mais la différence est capitale entre les premiers bataillons des départements, composés de volontaires et ensuite les bataillons des districts, composés de jeunes gens de 18 à 25 ans, requis et contraints à marcher. L’envoi des recrues dans les provinces en rébellion, ne se fait, d’ailleurs, pas sans mal. Ainsi à Périgueux, en juin et juillet 1793, certains venant de Bergerac pour la Vendée, décident de ne plus y aller, étant donné leur grande fatigue, d’autres souhaitent aller à Bayonne mais pas en Vendée, d’où les nouvelles colportées sont alarmantes, d’autres répugnent à partir avec simplement des piques, et désirent des armes, « leur état esprit est déplorable, le moral au plus bas » disséminés dans les campagnes, les 3000 recrues qui ne sont pas encore mobilisées se montrent indisciplinées. Le Comité de Salut Public, suivi d’un ordre de l’armée des Côtes de la Rochelle décident d’envoyer immédiatement les recrues vers Niort.

La situation à la fin de l’été 1793 est critique. Au nord l'armée autrichienne menace Cambrai. Les Anglais et les Hollandais assiègent Dunkerque. A l'est les Prussiens ont pénétrés en Alsace et en Lorraine. Au sud-est les Piémontais menacent Lyon et les Anglais déjà maître de Toulon songent à prendre Marseille. Au sud-ouest les Espagnols occupent une partie du Roussillon. A l'ouest une guerre civile soulève les Vendéens contre la Convention.

Les bataillons de la Dordogne

En septembre 1793, les bataillons issus de la levée en masse et dénommés bataillons de réquisition sont prévus pour aller remplacer les troupes de garnisons et ainsi libérer les forces nécessaires pour combattre sur toutes les frontières et sur tous les fronts intérieurs (Vendée, Normandie, Toulon, Lyon, le Midi). La Dordogne est censée fournir 9 bataillons de réquisitionnaires destinés à l’Armée des Pyrénées-Occidentales.

On note dans « Recrutement de l’Armée en Périgord – pendant la période révolutionnaire » :

Le substitut du commissaire du Directoire exécutif en Dordogne « les citoyens de la ville ayant mille moyens à employer et à faire valoir avec succès, pour se décharger du poids qui les pressent » la levée pèse entièrement sur les gens de la campagne.

Les deux premiers bataillons partent pour l’armée du Nord.

Le 1er bataillon de la Dordogne est formé le 5 juillet 1792. En janvier 1793, il se trouve à Neuf-Brisach.

Le 2ème bataillon de la Dordogne est formé le 5 juillet 1792. En janvier 1793, il se trouve à Strasbourg.

Le 3ème bataillon de la Dordogne est formé le 26 septembre 1792. En janvier 1793, il se trouve à Blaye et Fort-Médoc. En février il part pour l’armée des Pyrénées Occidentales.

Le 4ème bataillon de la Dordogne dit bataillon de la République est formé le 12 octobre 1792. En janvier 1793, il se trouve à Paris. Il en part dès le 20 février pour rejoindre le Havre.

Le 4ème bis bataillon dit de l’égalité, est formé le 5 avril 1793 et part pour la Vendée.

Le 5ème bataillon de la Dordogne est formé le 1er juin 1793. Toutefois selon le journal militaire de 1793, il se trouve déjà formé et en garnison à Château-Trompette.

Le 6ème bataillon de la Dordogne est formé le 13 septembre 1793.

Le 9ème bataillon de la Dordogne est formé le 13 mars 1793.

Ces deux derniers bataillons partent pour le sud de la France.



Compagnies de volontaires de la Dordogne – la Dordogne fournit 2 compagnies supplémentaires de volontaires. Elles sont en janvier 1793 à Valence. Elles sont versées le 16 mars 1793 par le général Ligonier dans le 12ème bataillon d’Angers.

Compagnie franche de la Dordogne : une compagnie franche est formée à l’Automne 1792, se composant d’environ 200 hommes. Elle entre dans le 14ème bis bataillon de Chasseurs formé le 12 mars 1793 à Strasbourg.

Pierre Neyssenjean, 19 ans, de Mensignac, appartient au 4ème bataillon bis  ou peut-être au 5ème bataillon. En effet, organisé le 1er juin 1793 à Niort, et composé de huit compagnies provenant de Périgueux, Mussidan, Bergerac et Excideuil, sous l’autorité du commandant Pierre Lapouyade-Dupuy, le 5ème bataillon prend part à de nombreux combats en Vendée. Le bataillon entre par la suite dans la formation du 70ème demi brigade qui prend part à l’expédition d’Irlande. En 1795, la compagnie de canonniers du 5ème bataillon part en Guadeloupe.

Les derniers départs des recrues levées dans le département ont lieues en octobre 1793. Les jeunes recrutés en Dordogne, en vertu de la loi du 24 février 1793, sont incorporés dans divers bataillons ou régiments de l’armée de l’Ouest. – in « Recrutement de l’armée en Périgord pendant la période révolutionnaire » – Lt De Cardenal -1911. Concernant le district de Périgueux, sur 1069 hommes demandés, 966 partent pour la Vendée.

Habillement et équipement

Pierre Neyssenseas, 25 ans, de Leguilhac, tisserand, fait parti de la main d’œuvre requise pour habiller les soldats, de ce fait il lui est interdit de travailler pour aucun particulier. Les matières premières ne tardent pas à faire défaut, les prix augmentent sensiblement. Les besoins considérables en habillement se composent d’habits, vestes, culottes, paires de guêtres d’étoffe, chapeaux, sacs de toile, sacs de peau, chemises, paires de bas, cols noirs et cols blancs. Les administrateurs de Belvés, par exemple, se rendent à Cahors, Toulouse, Montauban en quête de matières premières, de retour vers le 11 avril 1793, la confection commence. Le département commande près de 6000 fusils à Tulle. Pour les plus moins fortunés, ils sont équipés de piques, provenant de grilles d’édifices religieux.

Le 30 mars 1793, selon le général Berruyer, les rebelles Vendéens sont dans les bois, « la guerre qu’ils font est absolument semblable à celle que nous faisaient les Corses ». Les généraux Chalbos et Boulard sont à Luçon, ville étape vers Les Sables.


Le Général Berruyer fait savoir au Général Boulard que le 9ème bataillon de la Gironde avec 446 hommes, une compagnie franche de La Réole avec 92 tirailleurs et un bataillon de la Dordogne avec 470 hommes se rendent à Luçon dès le 31 mars 1793.

La France, au début, subit de graves revers. Elle est chassée de Belgique et doit faire face à des révoltes internes dans l'ouest et le sud du pays. À la fin de l'année, la levée de nouvelles armées et une politique interne de répression féroce, avec des exécutions de masse, permet de repousser les invasions et de réprimer les révoltes. L'année se termine avec des forces françaises toujours en guerre à proximité de ses frontières.

Le 23 août 1793 la convention nationale décrète une nouvelle levée de centaines de milliers d'hommes. Il n'y aura plus de "volontaires" à partir du jour où la Convention décide la levée en masse de 300 000 hommes, ce qui va déclencher le soulèvement Vendéen.

En cette fin d'année 1793 l'effort de guerre entrepris par le gouvernement révolutionnaire porte enfin ses fruits.

Cholet - 17 octobre 1793
Défaite des Vendéens

Entre l’an III et IV les désertions sont de plus en plus nombreuses en Dordogne, certains ayant déjà largement contribués à l’effort de guerre. Malgré l’affaiblissement des demies brigades causé par un grand nombre de déserteurs, la situation militaire Française en 1795 est meilleure que les années précédentes.
Le canton de Périgueux est le seul des 9 districts à se conformer entièrement aux instructions données.


C’est ainsi que le 14 prairial an III - mardi 2 juin 1795 - sont recrutés, Sicaire Neyssensac, 19 ans, cultivateur à Mensignac, Meysensar, 25 ans, tisserand à Leguillac, et Jacques Nessensar, 20 ans, cultivateur à Saint Astier.

Michel Naissensas, le 28 fructidor An IV, (14 septembre 1796), est accusé de désertion, acquitté pour un vol de chevaux, les gendarmes le découvrent, caché chez sa mère à Saint Aquilin, afin d’échapper à la réquisition. 

Le 18 brumaire An VI - 1797 - l’administration constate son impuissance à faire exécuter la loi. La gendarmerie est mal organisée.  Elle est principalement, fin novembre, toute à Saint Astier, Bergerac ou Sarlat, où s’élèvent des troubles. Les réquisitionnaires fuient d’un canton à l’autre, se cachant dans les bois.

1799, an VII, Gabriel Leyssensar, 23, ans cultivateur à Saint Astier est réquisitionné.

« A Saint-Astier, les opérations de recrutement sont annulées comme ne s’étant pas effectuées avec l’impartialité et l’ordre que doivent toujours diriger les magistrats républicains. Les officiers de santé sont accusés de n’avoir visités les conscrits en présence des administrateurs municipaux ».

A Périgueux, fin septembre 1799, 1700 conscrits, partent pour Tours.

Les forêts du département sont en cette année 1799 peuplées de déserteurs, bandes armées et militaires réfractaires.



1794 - l’Armée des Pyrénées Occidentales



Jacques Neyssensas recruté de l’An II

 

Dans le courant du mois de juillet 2020, Madame Françoise Raluy me communique un nouveau document découvert aux archives départementales de la Dordogne quelques semaines auparavant.

Il s’agit d’extraits d’une liste de jeunes hommes de la circonscription de Périgueux recrutés en 1794 pendant la période révolutionnaire destinés à accroître les effectifs de l’armée des Pyrénées Occidentales.

Les deux feuillets, datés du 24 nivôse An II (13 janvier 1794), sont référencés Série L.



Si finalement il y a peu de batailles importantes durant l’année 1793, de nombreuses actions militaires se déroulent en 1794 dans les Pyrénées Occidentales.


Contexte historique en Dordogne

En fin d’année 1793, le 9ème bataillon de la Dordogne rejoint les Pyrénées Orientales. En avril 1794, le bataillon stationne à Foix.

Le 3ème bataillon de la Dordogne, formé le 26 septembre 1792, va servir l’armée des Pyrénées-Occidentales, division de Saint-Pé. Il est à Blaye en janvier 1793, au col d’Ispéguy, non loin de la vallée de Bastan, courant mai 1793. En avril 1794, il sert dans la division de Saint-Jean-Pied-de-Port et participe aux opérations de la vallée de Bastan et autour d’Irun.

« Les nouveaux administrateurs sont à peine installés (2 nivôses an II - 22 décembre 1793) que le général de brigade, chef de l’état-major de l’armée des Pyrénées Occidentales demande 1500 hommes, …. Que l’agent supérieur pour le recrutement des jeunes gens de 18 à 25 ans, prendra les mesures pour que le contingent soit rendu à Bayonne le 12 nivôse (1er janvier 1794).

Sous aucun cas le manque d’habillement ne pourra retarder le départ. En cas d’insuffisance de ces effets, on donnera néanmoins aux hommes le nécessaire pour les garantir des intempéries de la saison. L’agent supérieur fera partir, de préférence, « les gens oisifs et ne tenant pas à l’agriculture ».

Roux-Fazillac, représentant du peuple, est envoyé par la Convention avec des pouvoirs illimités pour surveiller la levée. Roux-Fazillac, Conventionnel, né à Excideuil le 18 juillet 1746, décédé à Nanterre le 21 février 1833. Garde du corps du roi, lieutenant-colonel en 1789, il est élu député de la Dordogne à l’Assemblée législative et à la Convention et prend place sur les bancs de la Montagne. Dans le procès du roi il vote contre l’appel au peuple pour la mort et contre le sursis.

Athée, ennemi des prêtres et adversaire farouche de la religion, dès juillet 1793, il mène activement le mouvement de déchristianisation en Dordogne

Arrivé dans le département il valide le décret de levée des 1500 hommes le 4 nivôse an II. Le district de Périgueux enverra 120 hommes pour ce premier contingent. Jean Neyssensas et la 4ème division font partie de ce contingent. 

En mai 1794, les Directoires de districts sont chargés de requérir les citoyens les moins utiles à la culture des terres et aux arts, et de ne point s’en rapporter vaguement aux certificats de maladie ou d’infirmité, que « s’empressent de mendier ceux que la lâcheté enchaine et que la fortune oblige ».

Ainsi sont formés deux autres contingents d’environ un millier d’hommes. Ces hommes sont réunis à Bergerac, d’où ils partent en deux détachements courant 1794. Chaque détachement est commandé par un lieutenant et un sergent pour 100 hommes qui choisiront « de bons sans-culottes ».

Le 11 mai 1794 il y a encore 7033 réquisitionnaires de la première levée dont l’incorporation n’a pas été faite ; ils seront versés sans délai dans les cadres de l’armée des Pyrénées Occidentales.


La situation à la frontière Espagnole

Le général de division Muller commande l'armée des Pyrénées occidentales et lance les premiers engagements à Hendaye le 5 février 1794, dans le col d'Ispéguy le 3 juin, et à Bera (Bidassoa) le 23 juin.

Les batailles en Pays-Basque et en Navarre sont dirigées depuis le quartier général situé à Bayonne.


Fin juillet, le général Muller charge le général de division Moncey de trois divisions. Moncey gagne le combat dans la vallée de Bastan et complète sa réussite en prenant Pasaia, Saint-Sébastien, Hernani et Tolosa.

Journée du 9 Thermidor An II ou 27 juillet 1794 - Barèges et vallée du Bastan

Peu de temps après la bataille d'Orbaizeta et la perte de sa fonderie d'armes, du 15 au 17 octobre 1794, Moncey lance une offensive sur un large front avec 46 000 hommes vers Pampelune, au sud, à partir de la vallée du Bastan et la région du col de Roncevaux.

Les Français capturent le magasin de mâts de la marine espagnole sur l'Irati et une seconde fonderie, à Egui.

Moncey effectue une avancée victorieuse


Quand une éclosion mortelle de maladies paralyse les opérations françaises dans les Pyrénées occidentales pendant l'hiver 1794 - 1795. En juin 1795, Moncey effectue une avancée victorieuse vers l'ouest et s'empare de Vitoria-Gasteiz et Bilbao.

Le traité de Bâle, le 22 juillet 1795, met fin à la guerre.

Quand les nouvelles de paix atteignent le front en août, Moncey a traversé l'Èbre tandis que les autres forces se préparent à investir Pampelune.


Les recrutés Périgourdins

L’extrait du rôle nous indique que les recrutés, toujours appelés « volontaires », sont enrôlés au sein de la 4ème division sous le commandement du capitaine Nicolas Maurice, du lieutenant François Frut, et des deux sergents, Jean Desmaison et Hilaire Dalesme.

 

Qui sont ces hommes ?


Nicolas Maurice
, originaire de Thionville, capitaine à compter du 25 septembre 1792, chef d’escadron le 26 janvier 1793, refuse son nouveau grade de général de Brigade le 23 aout 1793. Nicolas Maurice est traduit devant le tribunal révolutionnaire par Saint-Just le 17 nivôse An II ; condamné, il est incarcéré en la forteresse de Landau. Prit-il part finalement au commandement de la 4ème division ?

Le lieutenant Elie François Frut est né le 21 octobre 1764 à Périgueux. Au service depuis 1781, sergent au 40ème de ligne, marié en 1790 avec Jeanne Guinot, décoré de la légion d’honneur en 1813, il décède le 7 aout 1829 au fort de Lourdes à l’âge de 64 ans. Des lacunes sont relevées de carrière militaire, notamment pendant la période révolutionnaire.

Aucune information sur le sergent Jean Desmaison.

Quant au sergent Hilaire Dalesme, il nait le 10 juin 1775 à Saint-Astier. Ami de Jean Neyssensas, Hilaire est charron et témoin lors de son mariage le 28 pluviôse An 11 (1803).

Hilaire, à présent marchand bottier, se mariera le 18 septembre 1808 à Rueil Malmaison avec Catherine Suzanne Julien. Hilaire est domicilié au 251 rue Saint-Honoré, 1er arrondissement de Paris lors de son décès à l’âge de 51 ans, le 16 aout 1826.

Jacques Neyssensas est né le 3 avril 1772 à Tamarelle, commune de Saint-Astier, fils de Jacques et Guline Garreau, il est baptisé par le curé Leynier.



Le départ de Jacques à destination de la frontière Espagnole

Engagé dans le conflit en tout début d’année 1794, Jacques, 20 ans, rejoint « l’armée des Pyrénées Occidentales, le bijou de nos armées » - Robespierre.

Lors de son déploiement au printemps 1793, l’armée des Pyrénées Occidentales compte 8 000 hommes, organisée en deux divisions, elles-mêmes regroupant 15 bataillons et 18 compagnies franches.

Mi-1794, ses effectifs atteignent 66 000 hommes, avec 32 bataillons, 3 des Basses-Pyrénées, 4 des Landes, 9 du Lot et Garonne, 7 de la Gironde et 9 de la Dordogne.

Ce que l’on ne sait pas : à quel corps les hommes de la 4ème division appartiennent ?

« La pagaille, l'anarchie qui régnaient alors, faisaient que le ministre de la Guerre ne savait plus où en étaient les unités, ni leurs emplacements, ni leurs effectifs et ce d'autant plus que, réfractaires à la discipline, les volontaires changeaient fréquemment, à leur gré, d'unités.

Ces bataillons de réquisitionnaires (on ne peut vraiment plus parler de volontaires) seront loin d'avoir la même tenue au feu que les premiers et ils seront souvent plus une gêne qu'un appui pour les années qui auront à les utiliser. En outre, qui pourrait compter ceux que la terreur faisait courir au combat préférant l'incertitude de la guerre à la certitude de la guillotine ».

Ce groupe de soldats n’appartient à aucun des bataillons de volontaires issus de la levée des 300 000 hommes, mais plutôt à un bataillon de réquisitionnaires « ces frères de dernière nécessité » comme les appellent le capitaine Jacques Antoine Dejean de la 7ème compagnie.

La 4ème division, squelettique, ne semble pas avoir fait l’objet de recherche historique vue son éphémère durée. Jean fut peut-être incorporé dans un autre bataillon par la suite puisque la durée du service à l’armée était de 3 ans.


 Quelques jeunes gens de la liste du 24 nivôse an II


Arnaud Demignol, 18 ans, Paussac, tailleur de pierre,

Guillaume Descourts, 18 ans, Bourdeilles, tailleur de pierre,

Antoine Cruvelier, 21 ans, Bourdeilles, tailleur de pierre,

Pierre Privat, 18 ans, Grun, cultivateur,

Antoine Peyrat, 18 ans, Grun, cultivateur,

Antoine Lasjonias, 22 ans, Cornille, cultivateur,

Jerome Verdier, 21 ans, Le Change,

Jean Laschaud, 18 ans, Eyliac, tailleur d’habits,

Martin Sudrie, 19 ans, Blis et Born, cultivateur,

Jacques Migol, 24 ans, Milhac, cultivateur,

Jean Binet, 26 ans, Fouleix, cultivateur,

Jean Roussarie, 19 ans, la Chapelle Faucher, cultivateur,

Gerone Andrieux, 21 ans, Chancelade, cultivateur,

Jean Aupetit, 18 ans, la Chapelle Gonaguet, cultivateur,

Elie Bourgeois, 19 ans, Chancelade, cultivateur,

Jean Leynie, 19 ans, Eyliac, cultivateur,

Jean Roulaud, 19 ans, Le Change, cultivateur,

Jean Veyry, 19 ans, Bussac, cultivateur,

Pierre Larue, 24 ans, Bussac, cultivateur,

Pierre Gay, 22 ans, Bussac, cultivateur,

Pierre Barrière, 18 ans, Bussac, cultivateur,

Elie Laronze, 19 ans, Saint-Astier, cultivateur,

Jean Pecout, 18 ans, Léguillac de l’Auche, cultivateur,

Martin Bonnet, 22 ans, Chantérac, cultivateur,

Jean Sirieix, 23 ans, Saint-Astier, cultivateur,

Jean Neyssensas, 20 ans, Saint-Astier, cultivateur,

Jean Lacueille, 18 ans, Saint-Astier, cultivateur,

Pierre Jalage, 23 ans, Saint-Astier, cultivateur,

Jean Ricard, 19 ans, Bussac, cultivateur,




Jacques, 20 ans lors de son recrutement, mesure 5 pieds 2 pouces 9 lignes soit 1m 69.

Jacques Neyssensas, âgé de 30 ans, fils de Jacques Neyssensas et Aquiline Garreau, se marie le 28 pluviôse an onze (17 février 1803) à Saint-Astier, avec Marie Gibeau, 22 ans, fille de Jean Gibeaud et Marie Mazeau. Les témoins sont Anthoine Parot, cultivateur, 40 ans, Jean Petit, cultivateur, 40 ans, Léonard Mazeau, cultivateur, 30 ans, et Hilaire Dalesme, charron, 28 ans. De l’union au moins deux enfants naissent à Saint-Astier.

Le maire De Valbrune inscrit sur le registre de Saint-Astier, le décès de Jacques, le 25 septembre 1817, âgé de 45 ans, sur la déclaration de Martin Neyssensas, cultivateur, âgé de 33 ans, cousin germain du défunt, en présence de Jacques Garreau, cultivateur, âgé de 33 ans, son voisin, demeurant tous deux à Tamarelle. Les témoins déclarent Jacques, « décédé à onze du soir, fils de Jacques vivant et de Guline Garreau, décédée, époux de Marie Gibeau, vivante, âgée de 50 ans ». Martin signe l’acte et non l’autre témoin.











1798 - La Campagne d’Égypte




Récit extrait de : « l’Historique du 75ème régiment d’Infanterie » d’A. Gérôme, édité en 1891, des lettres du mathématicien Monge à sa femme, des Mémoires de Bourrienne, Ministre d’État de Bonaparte, des « œuvres de Napoléon Bonaparte » édité en 1821, et de sites Internet retraçant la Campagne.

L’expédition d’Égypte débute en mai 1798

François « Leissensac », âgé de 28 ans, soldat au sein de la demi-brigade du 75ème, sous les ordres du Colonel Maugras, est mentionné par A. Gérôme.

Il s’agit peut-être de François Leyssensa, né le 18 octobre 1770 à Lacropte et dont la famille est présente depuis les années 1740. Tour à tour, plusieurs orthographes apparaissent, « De Lissensas » en 1744, « Excensas », en 1764, « Leyssensat » en 1767 puis « Leyssensa » en 1770.

L’enfant, baptisé par le curé Dutard, est fils de François et Jeanne Bouix, habitants la Durantie.

François, a-t-il été recruté ou s’est-il porté volontaire en s’engageant seul ?, en effet, de nombreux jeunes hommes, quelque soit leur métier, quittaient leur famille afin de soutenir l’idéologie Républicaine. Au début, les engagés ne devait pas avoir commis de crime et posséder une certaine somme d’argent.

François, participe peut-être à la campagne d’Italie en 1797. En effet, c’est une partie de l’armée d’Italie, qui se réunit à Toulon, Marseille, Gênes, Ajaccio et Civita-Vecchia, en mai 1798.

Le 7 mars 1798, Bonaparte écrit au Directoire exécutif « Pour s’emparer de Malte et de l’Égypte, il faudrait 20 à 25 000 hommes d’infanterie, et de 2 à 3 000 hommes de cavalerie sans chevaux. L’on pourrait embarquer ces troupes de la manière suivante, en France, ……. Le 75ème régiment, à Toulon sur les vaisseaux de guerre, 2000 hommes ……. ».

Le 17 mars, nouvel écrit de Bonaparte à l’adresse du Directoire « Le général Rampon partira avec, entre autre le 75ème régiment pour Lyon, s’embarquer sur le Rhône jusqu’à Avignon et se rendre, de là, par terre, à Toulon ». Peu de temps auparavant, le 9 nivôse, le 75ème avait quitté Piacenza en Italie en direction de Versoix, en passant par le Mont Cenis, Chambéry à proximité de Chambéry.

Le 20 mars, Bonaparte précise que le 75ème régiment tiendra garnison, sous le commandement du Général Gardanne, pour partie à Ollioules, La Seyne, et autres villages environnants. Le 30 mars, Bonaparte, au général Dugua, « le 75ème arrivera sous peu de jours à Avignon par le Rhône, avec pour ordre de se rendre à Toulon ».



Bonaparte écrit de Paris, le 9 avril 1798, et demande au Général Brune, «de faire partir pour Gênes, les hommes qui resteraient des demi-brigades, et entre autre, du 75ème régiment ».

Le général Bonaparte rejoint Toulon le 9 mai et va diriger les opérations. Les transports à destination de l’Égypte sont au nombre de 380, dont une grande partie réquisitionné auprès des pays limitrophes, avec 13 vaisseaux de ligne, six frégates, une corvette, 24 bâtiments légers et armés, et prés de 300 bateaux de transport. On dénombre environ 37 000 hommes en armes, 10 000 marins et 800 chevaux, avec de l’eau pour un mois et des vivres pour 2 mois. Le Journal de Damas relève que Bonaparte, passe en revue, avant leurs embarquement sur les vaisseaux de guerre, les 75ème, 32ème et 18ème régiments, en leur promettant, qu’après leurs souffrances en Italie, l’État Français leurs offrirait 6 arpents de terre d’Égypte. Les soldats, rassurés de voir Bonaparte, qui selon les bruits qui couraient, ne devait pas prendre le commandement, l’accueillent aux cris de « Vive Bonaparte, c’est notre père à tous !! ».

S’il n’est pas stationné à Gênes avec quelques soldats du 75ème, François est parmi les 1785 hommes de la division du Général Kléber qui quittent le port de Toulon, avec le gros de la flotte, le 19 mai, au bruit du canon et sous les acclamations de toute l’armée, à bord de l’un des 4 vaisseaux de ligne, le Franklin, le Spartiate, le Guerrier et l’Aquilon, (ces quatre navires sont pris quelques semaines plus tard par les Anglais lors de la bataille d’Aboukir les 1er et 2 aout 1798).
Les soldats du 75ème sont répartis de la façon suivante, 207 hommes sur le Franklin, 417 sur le Spartiate, 428 sur le Le Guerrier, et 470 sur le l’Aquilon.

Bonaparte est sur le bateau-amiral l’Orient.

François Leissensac découvre bientôt les ports de Gênes et les 73 bateaux de Louis Baraguey d’Hilliers, puis d’Ajaccio.

La flotte de Desaix, en provenance de Civitavecchia, avec 56 vaisseaux, prend la mer le 26 mai et arrive à proximité de Malte le 7 juin et rejoint le reste de la flotte de Bonaparte le 9 juin. François scrute les vigies qui annoncent trois bâtiments, puis cinq, puis douze, et davantage. Les mâts sont couverts de monde, il ne reste plus personne sur le pont.

Pendant plus de deux heures l’angoisse est présente, chaque flotte pensant que l’autre est celle de l’Amiral Nelson.

Des savants, des administrateurs, des juristes, des archéologues sont du voyage. Ils vont être en mesure d’organiser le pays et mettre en valeur ses richesses.
François participe à la prise de l’ile de Malte, le 10 juin, à 4h30 du matin, armé d’un fusil d’une centaine de cartouches, trois pierres à fusil, une baïonnette et un petit sabre courbe dénommé briquet. Avec ses camarades de bataille, ils trouvent du vin à foison et sont, pour la plupart, si bien grisés, que les habitants, après leur avoir chaleureusement livré la ville, n'osent plus sortir de leurs maisons. Bonaparte, aussitôt établi dans le palais du Grand Maître, donne un dîner, tandis que tout Malte est illuminée de lanternes Vénitiennes. Bonaparte s’occupe immédiatement d'organiser l'administration de l'île.

Le 18 juin, la flotte quitte Malte vers le pays des Mille et une Nuits, le temps est beau, la mer calme.



« A bord de « l’Orient », Bonaparte entouré de Monge, Berthollet, élève sa main vers le ciel et montre les astres, et leur dit: « Vous avez beau dire, Messieurs, qui a fait tout cela ? ». Tandis que les grands personnages en uniformes ou habits à haut collet et cheveux noués à la vieille mode causent ainsi gravement astronomie, philosophie ou conquêtes d'Alexandre, les soldats imaginent d'une façon plus matérielle le pays des merveilles, fait d’illusions les plus singulières. Tous croient, en effet, trouver en Égypte les trésors et les délices poursuivis au Mexique et au Pérou par les compagnons de Cortez et de Pizarro ».













L’armada parvient en Égypte, et accoste à Aboukir, échappant une fois de plus à l’escadre de Nelson.





Alexandrie est en vue le 30 juin, le débarquement à lieu le 1er juillet. Deux jours auparavant une escadre Anglaise de 14 vaisseaux de ligne passait au large d’Alexandrie. Sentant que l’escadre pouvait revenir à tout moment, Bonaparte demande que les vaisseaux Français mouillent au plus près de la pointe du Marabout, quelques bâtiments croisent devant le port vieux et le port neuf.



Depuis deux jours la mer est très forte, le débarquement à pourtant lieu ; la division Desaix accoste à la pointe du Marabout, en premier, près du fort. François  et la division Kléber, embarqués sur les vaisseaux, remplissent toutes les embarcations et rallient les chaloupes situées autour d’une galère prise à Malte, montée par le général en chef. L’approche du rivage est des plus délicate en raison d’un vent violent, les équipages ne parviennent à accoster sur la plage de Marabout qu’aux environs d’une heure du matin.


Le lendemain, François découvre, pour la première fois, le désert de sable de l’Égypte tant rêvée. C’est le commencement de la déception, les soldats plaisantent entre eux « Tiens, voilà les six arpents de terre promis!... Eh bien! Quoi qu'on fasse ici, il y fera chaud! ». A l’Ouest, à perte de vue s’étend le désert Libyque.


Selon Monge, « Bonaparte, 29 ans, le 1er juillet, se jette dans un canot, saute sur la plage et, roulé dans son manteau, s’y endort » pendant deux heures.


C’est à quatre lieues d’Alexandrie que Bonaparte, le 4 juillet, passe en revue les divisions réunies sur la plage, entre autre, la division Kléber composée de la 2ème demie brigade d’infanterie légère, des 25ème et 75ème régiments de bataille, soit environ un millier d’hommes. François fait parti de l’une des trois colonnes, ainsi composées qui se mettent en marche vers 2h30 du matin. A une demi-lieue d’Alexandrie, 300 cavaliers Arabes abandonnent les monticules de la ville et se dirigent vers le Caire.


François, à la pointe du jour, aperçoit la colonne de Pompée. Lorsque les troupes de Bonaparte parviennent à Alexandrie, ils découvrent une ville partiellement couvertes de ruines, seules les portes de Rosette et du Lotus accueillent encore de modestes artisans. Les caravansérails, les marchés, les mosquées et les bains sont presque totalement abandonnés.
En effet, l’essentiel de la population habite déjà ce que l’on nomme aujourd’hui la ville Turque, la presqu’ile, hors les murs d’Alexandrie, avec déjà des quartiers prospères comme Gumruk, ou Anfushi.

François et le 75ème d’Infanterie attaque la porte de la Colonne, parviennent à pénétrer à l’intérieur de la ville, et se dirige vers la colonne de Pompée, puis repousse la défense de la population d’Alexandrie en arme.

Le 75ème perd une trentaine d’hommes, lors de la prise de la Colonne et soumet la ville vers 15h00. Finalement le 75ème d’Infanterie perd une centaine d’hommes lors de la prise d’Alexandrie, 6 officiers sont blessés.
Bonaparte le 6 Messidor An VI (5 juillet) écrit : « Les noms de tous les hommes de l’armée Française qui ont été tués à la prise d’Alexandrie, seront gravés sur la colonne de Pompée, et seront enterrés au pied de la colonne ».
Blessé à la tête, le général Kléber, passe le commandement au général Dugua le 5 juillet, François quitte Alexandrie vers 17h00, pour se rendre à Rosette par Aboukir. Dugua a ordre de s’emparer du village de Rosette et de protéger l’entrée dans le port de la flottille française, qui doit suivre la route du Caire, sur la rive gauche du Nil et rejoindre l’armée à Damanhour, par Rahmanié, point de ralliement avec les autres divisions.



Après un campement à Rosette, dans la nuit du 8 au 9 juillet, François et la division Dugua quitte brusquement le village pour remonter le Nil vers Gizeh.

En passant à Rahmanié, la flottille recueille Monge et Berthollet. Monge décrit la présence, sur le Nil, de « 25 djermes portant chacun une centaine d’hommes. a route jusqu’à Gizeh semble aisée, pourtant les hommes, après quelques jours de navigation difficile, sont réduit à vivre de pastèques et d’eau en recevant de temps à autres quelques fusillades des Arabes et fellahs.

Les eaux du Nil sont extrêmement basses et plusieurs bateaux s’échouent  alors près de Chébreiss ».

Les autres divisions, Desaix, Menou, Bon et Régnier sont réunies par Bonaparte le 10 juillet à Damanhour, après une marche dans le désert, sans fin, sous un ciel brulant, sans eau, sans ombre, avec quelques rares palmiers à l’horizon, parfois les troupes légères des Mamelouks, apparaissent, et disparaissent, derrière les dunes. La marche à pied est épouvantable. Le moral de la troupe est au plus bas. Les soldats, vont rapidement attribuer aux savants, et à leurs erreurs, les désillusions subies, à tel point que les soldats disent : « Formez le carré ! Les savants et les ânes au centre! ».






La troupe du chef Mamelouk, Mourad-Bey, au  service de l’empire Ottoman, à la tête d’environ 8000 soldats, dont 500 Mamelouks, 3000 Arabes et 3500 Turcs est positionné sur les bords du Nil à Chébreiss – Chobrakhit.

Perré

La flottille Française, commandée par Perré et le général Andréossi, composée d’un chebec «  le Cerf », d’une demi-galère, de trois chaloupes canonnières et de djermes, à ordre d’attaquer à tout moment, le village de Chébreiss, aidée par l’armée d’Égypte, qui vient de traverser le désert.
Les chaloupes canonnières grées en brick, d’une longueur de 25 mètres et 5,6 mètres de larges portent 3 canons, un obusier, et transportent environ une vingtaine de marins et 130 soldats.




La flottille du Nil


Les Mamelouks s’ébranlent sans ordre et attaquent la flottille et l’armée de Bonaparte. Afin d’éviter les charges des cavaliers Mamelouks, Bonaparte dispose chaque division en carré avec six hommes en profondeur sur chaque face. Ces compagnies de grenadiers forment des pelotons flanquant ces carrés, l’artillerie Française se démasque alors et foudroie puis disperse l’armée adverse. C’est au pas de charge que l’armée enlève le village de Chébreiss. 70 soldats sont tués côté Français, environ 600, côté mamelouks.

Pendant ce combat, François et le 75ème sont embarqués sur la flottille. Les bâtiments Français font feu sur les troupes Mamelouks à cheval et à pied, côté Chebreiss. L’ennemi répond par des décharges d’artillerie et de mousqueterie, dirigée vers la flottille, qui est dans l’impossibilité d’y répondre. Le combat entre les deux flottilles s’intensifie au point qu’un instant les trois chaloupes canonnières Françaises sont prises à l’abordage, les équipages et soldats massacrés par les Mamelouks, qui brandissent, suspendues par les cheveux, sous les yeux horrifiés des autres soldats, les têtes des Français, puis les canonnières sont reprises par les soldats et matelots des autres bâtiments Français. C’est lors de l’un de ces échanges que François perd la vie. (Mémoires de Bourrienne, ministre d’État - 1829).

A l’issue du combat, plusieurs chaloupes canonnières Mamelouks sont brûlées, mais aussi cinq djermes Françaises. Le commandant Perré est atteint par un boulet. Le général Andréossi fait immédiatement débarquer tous les détachements qui se trouvent à bord des autres djermes et ordonne au général Zayonscheck de former un bataillon carré ouvert du côté du Nil, afin de protéger le reste de la flottille et les hommes restés à bord. Le combat débute à 9h00 du matin, pour se terminer finalement à 12h30.


Les troupes ainsi réunies, d’un assemblage incohérent de détachements de divers corps, dragons, hussards, chasseurs non montés etc.….. Et partagées en deux colonnes, pénètrent dans un petit village à proximité de Chébreiss, sans heurt.


Lors de la bataille de Chebreiss, on note dans l’Historique du 75ème régiment, le décès d’environ 34 soldats, et trois officiers blessés.

Le 75ème régiment d’Infanterie, part pour le Caire le 14 juillet, et participe à la bataille des Pyramides, le 20 juillet 1798.

         










François ne verra pas les minarets de la grande capitale d’Égypte, les gigantesques pyramides dorées par le soleil, là ou l’armée d’Égypte s’arrêta comme saisie d’admiration, sous le regard de Bonaparte, rayonnant d’enthousiasme.

Bonaparte, le 21 juillet 1798, devant les soldats réunis dit « Songez que, du haut de ces pyramides, quarante siècles vous contemplent ».


Le 1er et 2 aout, l’armada est presque totalement détruite par l’Amiral Nelson à Aboukir.

Le 75ème régiment part pour la Syrie quelques jours plus tard.

Bonaparte écrit au Directoire le 24 juillet 1798 « Cependant j’appris que Mourad-Bey, à la tête de son armée composée d’une grande quantité de cavalerie, ayant 8 à 10 grosses chaloupes canonnières, et plusieurs batteries sur le Nil, nous attendait au village de Chebrheiss ». Bonaparte décrit « le magnifique corps de cavalerie Mamelouks, couvert d’or et d’argent, armés des meilleures carabines et pistolet de Londres, des meilleurs sabres de l’Orient, et montés sur les meilleurs chevaux du continent ». Par la suite «  nous avons marché pendant 8 jours, privés de tout, et dans un climat les plus brûlants du monde, le 2 thermidor au matin, nous aperçûmes les pyramides ».

Le chef d’État Major de Bonaparte note :

Le 6 thermidor An VI, - 24 juillet 1798 - à l’adresse du Ministre de la Guerre, « L’armée dans la marche qu’elle a faite sur le Caire, a essuyé des chaleurs excessives et des fatigues au dessus de toute expression. Elle n’a vécu que de viande de fèves et de melons d’eau. L’eau salutaire du Nil apaisait la soif ardente, et procurait chaque jour un bain salutaire. Nous traversions des villages abandonnés de tas de blé, mais sans aucun moyen pour les faire réduite en farine. L’armée a été 17 jours sans pain.

Nous avons à regretter quelques hommes morts de fatigues, quelques autres que leur imprudence a fait assassiner par les Arabes. Quant à la bataille du 3, elle nous a couté 120 blessés et 20 hommes tués. Vive la République, salut et fraternité ».


L’uniforme et le fusil du soldat François Leyssensac

François porte un habit très long, bleu, boutons dorés, col et épaulettes, poignets rouges, bicorne de feutre noir et cocarde tricolore, pompon blanc et rouge, gilet blanc, culotte de peau blanche, guêtres de toile blanche montant au dessus du genou. Les buffleries de la giberne, du sabre et de la baïonnette se croisent sur la poitrine.

François utilise le fusil modèle 1777, modèle utilisé sous la Révolution et l’Empire, créé sous Louis XVI, il sera utilisé jusqu’en 1840. C’est un fusil à pierre, mesurant 1m50, pesant 4 kilos 800 avec baïonnette longue de 45 centimètres. La portée du fusil et d’environ 600 mètres, la bonne portée à 250 mètres. Le chargement est très lent, l’arme s’encrasse rapidement, et ne peut tirer plus de 4 balles en 3 minutes.


Le soldat de l’épopée en Égypte, simple fantassin est surnommé « lignard » ou « pousse cailloux » parce qu’il marche énormément, puis prendra l’appellation de grenadier peut-être à la fin de la campagne.

François à t-il chanté cette chanson « à boire », composée pendant la campagne d’Égypte, et répétée par les soldats de Bonaparte et Kléber sur les bords du Nil :


« ils n’avaient donc pas de bons sens,
Ces beaux messieurs du Directoire,
D’envoyer tant de braves gens,
En Egypte chercher la gloire !
Mais leur désir fut sans succés,
L’eau du Nil n’est pas le Champagne,
Pourquoi vouloir faire campagne,
Dans un pays sans cabaret sans cabaret,
Dans un pays sans cabaret ».



La pierre de Rosette : c’et là que fut découverte en 1799 la pierre granitique de Rosette, par le lieutenant Bouchard, dégagée pendant les travaux de fortifications menés afin de faire face à une éventuelle attaque britannique. En 1801, les Français capitulèrent après la bataille d’Aboukir, et la pierre de Rosette fut cédée aux britanniques, qui l’exposent au Britisj Muséum de Londres. Elle est déchiffrée en 1822 par le jeune Jean-François Champollion.














L’armée Napoléonienne


Et l’infanterie de ligne


Période 1807 - 1813

 

Les registres matricules de l’armée Napoléonienne conservent les mémoires de

 

Jacques l’Astérien

Et

Coulaud, le Léguillacois.

 

Le Service historique de la Défense (Vincennes) conserve, sous les cotes GR 1 à 49 Yc, environ 25 000 registres de contrôles des hommes de troupes couvrant une période qui va de la fin du 17ème siècle, lorsque furent institués ces contrôles, jusqu’aux lendemains de la guerre de 1870, voire jusqu’à 1909 pour certaines unités. Source extrêmement précieuse pour la généalogie, l’histoire militaire et l’histoire sociale, ces registres recensent, par unité, tous les soldats et bas officiers ayant servi durant une période do

nnée.

 

Jacques l’Astérien

 

Découvrons tout d’abord le parcours militaire de Jacques Neyssensas.




Jacques est baptisé par le curé Boyssat de Saint-Astier le 20 avril 1788, des parents, Jacques, voiturier et Anne Delubriac, habitants le hameau de Tamarelle.

Jacques, sans emploi, conscrit de l’an 1808, possède un visage ovale, un front « couvert », les yeux roux, le nez aquilin, une bouche moyenne, un menton pointu, des cheveux et des sourcils bruns ; de stature moyenne il mesure 1 mètre 67.

Il est engagé sous le matricule 6835 à 19 ans au sein de la 3ème légion de réserve de l’Intérieur et obtient le grade de fusilier le 30 juillet 1807. Le 1er janvier 1809, à l’âge de 21 ans, il est incorporé au 122ème régiment d’infanterie de ligne, 2ème bataillon, 4ème compagnie.


Les légions de réserve de l’Intérieur


Par décret du 20 mars 1807, Napoléon crée les Légions de réserve de l'Intérieur et fait appel, avec un an d’avance, à la classe de 1808. Jacques appartient aux milliers d’hommes d’unités toutes dépourvues d’esprit de corps et d’instruction, incorporés dans ces formations temporaires.

Les légions sont utilisées comme garnisons sur la côte atlantique, dans l’éventualité de débarquements britanniques.

Mais bientôt Napoléon souhaite conquérir l’Espagne avec une armée de 110 000 hommes dont seulement 34 000 viennent de l’armée « régulière ». Tous les autres sont des conscrits ou des alliés.

Le 3 novembre 1807, Jacques, avec la 3ème et 4ème compagnies composées de 4600 hommes sous les ordres du général Dupont, passe à Bordeaux.

La grande armée parviendra peu à peu en Espagne en cette fin d’année 1807 et tout au long de l’année 1808….

Jacques est un survivant des champs de bataille, survivant parmi des milliers d’hommes qui n’avaient pas plus d’un an sous les armes.

Juillet 1808 - La bataille de Bailén, est le point culminant du soulèvement de l'Andalousie contre l'envahisseur français. C'est une victoire décisive des Espagnols et le premier échec important des armées Napoléoniennes.


Le 122ème régiment d’infanterie de ligne

Le décret du 1er janvier 1809 institua à Versailles, les 121ème et 122ème régiments d’infanterie de ligne formés par les 2ème, 3ème, 4ème   et 5ème   légion de réserve.

28 jours après son incorporation au sein du 122ème, Jacques est blessé lors de la bataille de la Corogne en Galice et de la prise du port d’El Ferrol et hospitalisé le 29 janvier 1809.

La bataille de La Corogne est l'une des batailles de la guerre d'indépendance Espagnole qui opposa 16000 Britanniques, sous le commandement de Sir John Moore aux 16000 Français du maréchal Jean-de-Dieu Soult.

Après 5 mois d’hospitalisation Jacques décède à l’hôpital le 30 juin 1809.

"Le fait qu'il soit signalé comme "Rayé" dans le registre matricule le 30 juin 1809 ne signifie pas qu'il soit décédé ce 30 juin. Ce mot signifie simplement que ce soldat ne fait plus partie de l'effectif: soit parce qu'il est effectivement décédé; soit parce qu'il a été congédié ou démobilisé, soit parce qu'étant sans nouvelles de lui (prisonnier, disparu...) il a été décidé de le "rayer" souvent plusieurs mois après. D'ailleurs un certain nombre de soldats de ce régiment sont portés comme lui  "rayé" à la même date du 30 juin. Ce que l'on peut dire c'est que Jacques est entré dans un hôpital peu de temps après la bataille de La Corogne,  le 29 janvier, et qu'il y est sans doute décédé sans que le registre en  mentionne la date et le lieu. Il est clair que dans ces conditions il était difficile de rédiger un extrait mortuaire !" Lionel Dumarche - 19/11/2021

Le 122ème sera dissout en 1814, à Rouen.




Coulaud, le Léguillacois


Un deuxième membre des familles Neyssensas est recruté en 1812 au sein de l’armée Napoléonienne.

Il s’agit de Coulaud Naissensas, né à Léguillac de l’Auche le 9 janvier 1791, baptisé par le curé Theulier.

Les parents de Coulaud, Sicaire Naissensas et Marie Rousseau sont métayers au hameau des Granges.

La métairie des Granges appartint tout d’abord aux Linard en 1647, Jean Rondet en 1765, puis après 1776, par mariage, la métairie passe aux Dumaine, à Léonard Dumaine plus exactement, l’un des acteurs de la Révolution à Léguillac.

Coulaud grandit dans la maison des colons et ses dépendances, grange, fournil, étable, jardin, terres labourables, près, vignes et bois. La famille Beyney, vers 1871, sera à son tour métayer du Sieur Dumaine. (ref : Françoise Raluy)

Coulaud est qualifié de laboureur, lors de son recrutement en 1811, et travaille les terres de la métairie des Granges avec son père.


Fixons l’aspect général de Coulaud, conscrit de l’an 11, il mesure 1 mètre 61. Evoquons son visage : ovale, le front rond, les yeux gris, un nez moyen, une bouche moyenne, un menton fourchu, des cheveux et des sourcils châtains, et possédant une cicatrice entre les sourcils.


En mars 1812, Napoléon augmente sa puissance militaire et lève le premier ban de la garde nationale. Chaque département doit fournir tout ou partie d’une cohorte. La 62
ème cohorte du premier ban de la Garde Nationale se forme le 13 mars 1812.


Coulaud est incorporé le lendemain du décès son père, le 18 avril 1812, à la 62ème cohorte comme bien d’autres Périgourdins et Corréziens.

Les hommes recrutés sont des conscrits des classes 1812 et précédentes qui n’ont pas été incorporés dans l’armée active.

La destination de ces cohortes, de leurs gardes nationaux, n’est point affaire de « figuration sur les places des villages » mais bien tenir garnison en des lieux définis, hormis hors des frontières du pays.

Les gardes nationaux constituent une troupe aguerrie équipée d’uniforme identique à ceux de l’infanterie de ligne.

Peu de temps après la défaite Russe, l’Empereur décide de reconstituer la Grande Armée et, en janvier 1813, fait appel aux cohortes de la garde nationale en les transformant en 22 régiments d’infanterie de ligne. Ainsi se forme le 141ème régiment d'infanterie de ligne à Paris le 14 février 1813 avec, entre autres, la 62ème cohorte. C’est à cette date que Coulaud intègre le 141ème. La 62ème cohorte appartient à la 20ème division.

Réf : Mémoire des Hommes - SHD/GR 21 YC 932 - Registres matricules des sous-officiers et hommes de troupe de l'infanterie de ligne (1802-1815)




La campagne d'Allemagne en 1813

La campagne d'Allemagne débute immédiatement après la campagne de Russie de 1812 et précède la campagne de France de 1814. L’année 1813 constitue un véritable tournant de la guerre. Les États Allemands soumis par Napoléon, devant ses premières défaites, se retournent contre lui l'un après l'autre et se joignent à la Sixième Coalition autour de la Russie. Après la bataille de Leipzig, l'armée française vaincue doit se replier vers la France.

Bataille de Lutzen,

La bataille a lieu le 2 mai 1813. Le général Russe Wittgenstein attaque une colonne avancée de Napoléon près de Lützen, afin de reprendre la ville de Leipzig. Après une journée de combats intenses, les forces prussiennes et russes battent en retraite. L’absence de cavalerie empêche les Français de les poursuivre.


Bataille de Bautzen,

La bataille de Bautzen des 20 et 21 mai 1813, contre les troupes Russo-prussiennes commandées par Wittgenstein, est une victoire Française. Malgré les effectifs très supérieurs de l’armée Française et les mauvaises décisions de l’adversaire, Napoléon ne remporte qu’une victoire incomplète.


Bataille de Leipzig

Connue sous l’appellation de « bataille des Nations », est une des plus importantes batailles livrées au cours des guerres napoléoniennes entre les 16 et 19 octobre 1813.

Elle oppose une Armée en partie reconstituée aux forces Russe, mais aussi de la Prusse, de l'Autriche et de la Suède qui ont rejoint la Sixième Coalition contre Napoléon. Vaincue, la Grande Armée doit de nouveau battre en retraite, et réussit à traverser l'Allemagne et regagner le territoire français.



C’est le 18 octobre, à Mockau, front nord, que Coulaud est blessé.


La situation ce 18 octobre

Le général Blücher et le prince Bernadotte sont disposés au nord, les généraux Barclay De Tolly, et Bennigsen ainsi que le prince de Hesse-Hombourg au sud, et le feld-maréchal Autrichien Gyulay à l'ouest.

Le combat s'engage vers 6 h du matin. Vers 9 h, à Mockau, une brigade de cavalerie Saxonne, commandée par le colonel Lindenau, change de camp et se rallie aux Russes. Un peu plus tard dans la journée, une brigade de cavalerie Wurtembergeoise, commandée par Karl von Normann-Ehrenfels, passe du côté Russes, tandis que le gros de l'armée Saxonne continue le combat contre les Autrichiens.

La 9ème brigade Prussienne occupe le village abandonné de Wachau, tandis que les Autrichiens avec les Hongrois du général Bianchi repoussent les Français.

De tous côtés les alliés lancent l'assaut. En un peu plus de neuf heures de combat, les deux camps subissent de grosses pertes, les troupes Françaises empêchent la percée mais sont lentement repoussées vers Leipzig.

Le soir du 18 octobre, la bataille est perdue pour les Français : 320 000 soldats coalisés convergent autour de 170 000 Français pratiquement à court de munitions ; l'avant-garde de Blücher entre dans les faubourgs de Leipzig. Napoléon décide de retirer la majorité de ses troupes pendant la nuit en leur faisant traverser la rivière Elster. Le total des pertes est incertain. Prenant une évaluation de 140 000 au total, la coalition aurait perdu 90 000 hommes, Napoléon 60 000 soldats.



Parmi les disparus se trouve le maréchal Poniatowski, neveu du dernier roi de Pologne, Stanislas II, qui avait reçu la veille le bâton de maréchal, et les généraux Aubry, Camus de Richemont, Rochambeau et Couloumy.

La retraite de Napoléon permet de sauver l’armée. Il doit encore affronter les Austro-Bavarois qui tentent de lui couper la route à la bataille de Hanau les 30 et 31 octobre 1813, mais ne l'empêchent pas de se replier jusqu'au Rhin.

Les Alliés, épuisés, ne peuvent poursuivre les Français et ne peuvent transformer la bataille en victoire décisive. Napoléon perd les pays qu'il contrôlait en Allemagne, précieux réservoir d'hommes et de chevaux, et abandonne dans les places fortes de Dantzig, Glogau, Stettin, Dresde, Hambourg, un peu plus de 100 000 hommes et deux maréchaux de grande valeur, Davout, sûrement son meilleur maréchal en activité, et Gouvion-Saint-Cyr, qui lui manqueront pour la campagne de 1814.

Les églises de Liepzig sont transformées en hôpitaux de fortune, c’est peut-être l’un des lieux qui accueille Coulaud jusqu’au 20 octobre 1813.

on peut imaginer  qu'il a été blessé et s'est retrouvé dans un "hôpital", lequel a été laissé à l'arrière lors de la retraite des Français quelques jours plus tard. Sans nouvelles de lui le régiment l'a "rayé" le 20 décembre. On peut comparer cette mention aux "sorts indéterminés" que l'on trouve pour cette période de 1813 dans les registres. Lionel Dumarche - 19/11/2021

En 1813, quelques 22 000 blessés de l’armée Napoléonienne sont hospitalisés sur les lieux mêmes des combats, dans les hôpitaux de Lützen, Bautzen, et Leipzig. Le typhus fait à nouveau des ravages parmi les restes de la Grande Armée qui arrivent à Mayence en octobre 1813. Sur 5 000 malades hospitalisés dans les hôpitaux de cette ville, près de la moitié est emportée par la maladie.

Jacques et Coulaud sont blessés lors de deux batailles perdues par Napoléon, l’une en Espagne, l’autre en Allemagne et décèderont à proximité des champs de bataille.

 

 

 

Jean Nayssensas conscrit de l’an 1815,

Résistant à la conscription et déserteur

 

Le site Geneanet met en ligne le 12 avril 2023 les fiches des conscrits du 76ème régiment d’infanterie de ligne de l'armée Napoléonienne enregistrés du 7 juillet 1813 au 1er aout 1814 pour les matricules 9601 à 11118 sous la référence HD/GR 21 YC 613 page 232.

 


Nayssensas Jean porte le matricule 10972, fils de Jean et Jeanne Pichon. Jean est né en mars 1795 à Mensignac, canton de Grignols, département de la Dordogne. Le curriculum vitæ de Jean est développé en fin d’article à partir des éléments en notre possession.

Ses caractéristiques physiques : Jean mesure 1 m 62, son visage est plein, son front couvert, les yeux gris, le nez moyen, sa bouche est moyenne, son menton rond, ses cheveux et ses sourcils sont châtains. Jean ne présentent aucune marque particulière.

Jean, conscrit de l’an 1815, arrive au corps du 76ème régiment d’infanterie de ligne le 21 février 1814 puis il est affecté au 1er bataillon, 2ème compagnie, après son passage devant le conseil de révision.

Jean entame alors son voyage vers son unité d’affectation en contingent, escorté par des officiers et des gendarmes. Entre Mensignac et son régiment d’affectation, Jean parcourt un long, un très long voyage. Jean n’est ni enrôlé volontaire ni remplaçant d’un conscrit mais compris sur la liste de désignation du canton de Grignols sous le numéro 115. Son dernier domicile est Mensignac.

 


Jean déserte le 19 mai 1814, soit à peine 3 mois après son incorporation

 

La conscription

La conscription de 1815 concerne les jeunes hommes âgés de 20 ans nés en 1795. Elle est décidée en octobre 1813 puis retardée jusqu’en janvier 1814.

Pour mémoire, du 1er septembre 1812 au 20 novembre 1813, 1 527 000 hommes sont appelés.

 

Le 27 septembre 1813, l'Empereur signe un sénatus-consulte mettant en activité 280 000 conscrits : 160 000 de la classe 1815, 120 000 des classes antérieures de 1808 à 1814. En septembre 1813, à la veille de la reprise des hostilités, des régiments entiers sont exclusivement composés de conscrits réfractaires.

La conscription est improvisée dans le désordre et le chaos liés à l’invasion.

Depuis 1805 les préfets et les sous-préfets avaient la haute main sur la répartition du contingent.

En 1814 devant des « circonstances impérieuses » dont dépend « le salut de la France » les listes nominatives des conscrits nés en 1795 sont établies par les maires, sans tirage au sort, entre le 26 janvier et le 5 février. Jean Nayssensas est un jeune conscrit surnommé « Marie-Louise » baptisé ainsi parce que le décret qui l’a convoqué est signé par l'Impératrice Marie-Louise.

 

Les Maries Louises

En 1814, pendant la campagne de France, l’infériorité numérique de la Grande Armée la place dans une situation très difficile après les résultats cumulés des désastres de Russie en 1812, des pertes de la campagne d’Allemagne et de la stratégie Napoléonienne en 1813.


 

Combien de ces Maries-Louises ont réellement combattu après leur incorporation, à quelle date ont-ils participé aux opérations ? Après leur arrivée dans les dépôts, soit environ 25000 conscrits, un peu plus de 20000 sont versé dans la Garde impériale.

Les conscrits de 1815 servent en grande partie à compenser les pertes. Les premiers Maries Louises ne partent au feu qu’à partir de mi-février et surtout en mars. Leur préparation militaire est rudimentaire, deux semaines tout au plus, trois ou plus rarement quatre semaines. Jean, avec sa redingote grise et son bonnet de forme féminine, est soumis alors à la rude épreuve des marches de la campagne d’hiver, dans des combats où il se comporte honorablement peut-être même brillamment. Si son moral semble parfois fluctuant, on ne connaît pas chez les conscrits qui l’entourent de tentatives d’automutilation comme celles qui se sont produites après la bataille de Bautzen en 1813.

Les combattants de 1814, conscrits de 1815, n’apparaissent pas ou très peu dans les représentations guerrières et pourtant, comme Jean, ils sont jetés sur le champ de bataille à peine formés. Toujours est-il que les jeunes soldats sont très mal accueillis dans les dépôts, particulièrement à Courbevoie où passent 50 000 conscrits.

 

 

Situation du 76ème régiment de ligne entre janvier et mai 1814

 

Le Maréchal Soult raconte :

« Les pluies abondantes qui tombent en décembre 1813 et en janvier 1814 ont transformé la Nive, les gaves et 1'Adour en torrents impétueux impossibles à franchir. Les débordements de ces cours d'eau inondent la plaine et mettent sous l'eau les chemins de traverse. Début janvier j’en profite pour remettre de l'ordre dans mes unités et achève l'instruction poussées des nouvelles recrues. Le 16 janvier, le 1er bataillon du 76ème fait toujours partie de la 1ère brigade (Fririon) de la 1ère Division Foy. 

 


 

Notre quartier général est à Bidache. Les soldats du 76ème cantonnent alors à Hastingues, sur les hauteurs de la rive droite du gave d'Oloron. Je fais disposer trois canons dans le cimetière pour défendre la plaine en contrebas et freiner l'avancée des troupes espagnoles et anglaises. Six cents soldats de l'armée napoléonienne et leurs chevaux vivent ainsi pendant huit mois dans la commune, logés et nourris par l'habitant. Le village en ressort durablement appauvri.

L’effectif du 76ème s’élève à 746 hommes dont 17 Officiers présents, 2 détachés à Bayonne, 2 à l'hôpital et 534 soldats présents, 7 détachés à Bayonne et 184 à l'hôpital.

En février, le froid augmente et de fortes gelées permettent aux alliés de passer les gaves sur la glace. Le 14 février, les Anglais attaquent notre aile gauche et craignant d'être contourné je me replie derrière le gave d'Oloron. Le bataillon franchit le cours d'eau à Sordes, le 16 février.

Les Alliés parvenus devant Sordes dès le 18 forment dans un premier temps le projet de franchir l'Adour au-dessus de Bayonne, puis en abandonnent l’idée et se portent de nouveau contre la gauche des Français. Ceux-ci abandonnent le gave d'Oléron et se portent sur Orthez derrière le gave de Pau, position moins étendue et plus aisée à défendre ».

 


 Jean arrive à Orthez et incorpore le 76ème régiment le 21 février

 

« Le 26 février, toute notre armée se trouve unie autour d'Orthez dont les hauteurs présentent sur un front de trois kilomètres une succession de rideaux d'un accès assez difficile.

 

 Bataille d’Orthez - 27 février 1814

 

Le 27 au matin, Wellington tente une attaque et nous la repoussons vivement à la baïonnette.

Wellington renouvelle l'attaque et parvient à nous mettre en déroute. Nous nous replions sur Saint-Sever.

Soult dit : « J'ai été attaqué aujourd'hui sur les hauteurs en arrière d'Orthez par toute l'armée ennemie. Les troupes se sont battues avec une grande valeur. Le village de Saint-Boès a été pris et repris 5 fois ; mais j'ai dû céder au nombre et retirer l'armée sur Sault de Navailles, d'où elle continue sa manœuvre vers Saint-Sever. Je ne vois pas de position où je puisse m'arrêter, ainsi je m'avancerai suivant les circonstances, afin de retarder autant que possible d'être obligé de passer la Garonne. Je ne connais pas encore le détail de pertes : l'acharnement a été tel qu'elles doivent être considérables. L'ennemi a aussi beaucoup perdu. Un officier anglais prisonnier m'a dit que plusieurs de leurs régiments étaient anéantis ». 5000 soldats décèdent lors de la bataille.

Le 1er mars l’armée d’Espagne est réunie sur l'Adour. Voici l'effectif du bataillon du 76ème :

678 - Officiers : 18 présents, 2 détachés à Toulouse, 3 à l’hôpital ; soldats : 473 présents, 12 détachés à Toulouse, 170 à l'hôpital. Nous avons perdu devant Orthez et perdu 61 hommes tués ou blessés.

Le 10 mars 1814, le 76ème est au centre d'Erlon. Le 12 mars, je concentre mes Divisions à Maubourguet et me porte en avant vers Aire dans l'intention d'attaquer l'ennemi que je suppose affaibli par l'envoi de ses forces sur Bordeaux. La forte position des Anglais et la nouvelle de l'évacuation de Bordeaux me pousse à me retirer le 16, avant le jour, sur Lembeye et, de là, sur Toulouse.

Notre marche à travers la plaine sablonneuse de Gers est très pénible pour mes troupes. Nous arrivons à Tarbes le 29 mars. L'arrière garde de l'armée française est attaquée vers midi, au moment où elle évacue la ville. Après une courte canonnade, elle se retire en bon ordre sur deux colonnes qui marchent toute la nuit. Elles sont guidées dans leur marche par des feux qu'on a allumés sur des hauteurs comme des points de direction.

Jean est sur le front ……

De là, je me dirige sur Toulouse par Saint-Gaudens et la Garonne. Voici notre situation au 1er avril 1814.

Pendant cette longue route d'Orthez à Toulouse, nos bataillons sont impressionnés par le mauvais vouloir des autorités, et l'hostilité des habitants. Lassées du régime impérial, les populations du Midi pressentent la chute de Napoléon et appellent de leurs vœux, avec le retour des Bourbons, la paix à tout prix. Les soldats indignés de ce manque de patriotisme se livrent au pillage et à tous les excès ».

« Je fais élever autour de la ville une ligne de retranchements qui en font en quelques jours une position formidable dans laquelle, avec 33000 hommes, nous allons livrer le 10 avril 1814 aux 60 000 hommes de Wellington une bataille acharnée où la victoire reste indécise. Le bataillon du 76ème, occupe la tête de pont construite en avant du pont des Minime et garde ce passage de concert avec le bataillon du 31ème Léger établi dans le couvent. L’effectif du 1er bataillon n'est plus à cette époque que de 465 présents.

Jean vient de participer à la bataille de Toulouse et vraisemblablement déserte quelques jours, quelques semaines après …. Et ne sera inscrit déserteur sur sa fiche que le 19 mai 1814.

 

Attaquée vigoureusement dès 7 heures du matin par les Anglais du Général Picton, la Division Darricau soutient les efforts de l'ennemi dans cette position jusqu'à 4 heures du soir. C'est le dernier acte de l'invasion. Le lendemain, la retraite est ordonnée pour onze heures du soir. Les troupes, munies de quatre jours de vivres, prennent en bon ordre la direction de Montpellier, pour se joindre aux 14000 hommes de Suchet. Le Corps d'Erlon forme l'arrière garde.

  Le 12 avril, l'Armée française s'établit à Villefranche ; le 13 avril, elle prend position à Castelnaudary, puis se retire sur Avignon. Le bataillon du 76ème vient tout juste d'arriver à Castelnaudary le 13 avril, quand j’apprends l'abdication de Fontainebleau signée depuis le 4 avril. Un armistice est conclu le 19 et les hostilités cessent dans le midi de la France ».

Réf - Soldats de la Grande Armée - article et site de Mr Berjaud.

 

La plus inutile des batailles, près de 7000 morts et blessés en quelques heures à Toulouse, Napoléon avait abdiqué quelques jours auparavant …… le 10 avril 1814

 


 

Les évènements se précipitent

Le 2 avril 1814, le gouvernement provisoire déclare Napoléon Bonaparte déchu du trône. En 1814, l’effondrement du régime enraye rapidement le fonctionnement de la conscription,

Le 4 avril, les conscrits, les bataillons de nouvelle levée et les hommes des levées en masse sont libérés. Les conscrits de la classe 1815 sont autorisés à rentrer chez eux. Ceux de cette même classe qui n'ont pas rejoint resteront dans leurs foyers.

 

Le poids de la conscription en fonction des classes sociales, la désertion

C'est naturellement le monde rural qui paye le plus lourd tribut à la conscription.

 


 

Pourquoi Jean déserte le 19 mai 1814 ?

 

Les réfractaires désertent avant leur affectation, par attachement au pays natal, la peur de la mort ou des blessures, les déserteurs comme Jean quitte le champ de bataille « en cours de route ».

Géographiquement le phénomène le plus important de l'insoumission et de la désertion se situe dans le sud-ouest qui oppose une franche résistance à la conscription.

La fiche de Jean ne mentionne pas de jugement ou condamnation à une peine de travaux publics, voire une amende.

 

Bulletin de la Société historique et archéologique du Périgord - 1er janvier 1920

Un témoignage de l’esprit public dans la Dordogne en mars 1814.

« Le pays saturé de gloire mais saigné aux quatre veines ne voulait plus que la paix et il la voulait à tout prix. L’Empire avait fait ce miracle que l’étranger apparaissait presque comme un libérateur.

Dans le Lot la gendarmerie et les lettres de plusieurs citoyens me prouvent que la situation de ce département devient de jour en jour plus inquiétante. Il faudrait bien peu de choses pour y exciter un soulèvement général et nous n’avons aucune force à y envoyer. L’organisation de la Garde nationale est suspendue…. Le pays est à son comble de voir qu’on exige toujours de nouveaux sacrifices sans espoir d’obtenir la paix. La garde nationale de la Dordogne est organisée mais bien peu se présentent pour partir et nous n’avons aucun moyen de contraindre les refusants. Les conscrits ne partent pas, les désertions se multiplient, le recouvrement des contributions se ralentit, une résistance générale s’oppose à la perception des droits, les employés insultés et menacés n’osent plus se montrer dans les communes, les garnisaires se refusent au service, bientôt on ne pourra plus payer la solde des troupes.

Si l’ennemi se présente en Dordogne on ne pourra opposer que 4 à 500 hommes ».

 

Le curriculum vitæ de Jean Neyssensas

Jean est né le deux du mois de Ventôse an III (20 février 1795) à 8 heures du matin à Mensignac, hameau des Combaraux, des époux Jean Neyssensas, cultivateur et Jeanne Pisou, en réalité Pichon, en présence des témoins François Thomas et Mathieu Berger, cultivateurs. L’acte est enregistré par l’officier public Vedrenne.


 

Le mariage de Jean et Jeanne

La raison d’un prénom différent

 

Depuis le 23 aout 1794 :

 « Aucun citoyen ne pourra porter de nom ni de prénom autres que ceux exprimés dans son acte de naissance » or le jour de son mariage, le 22 janvier 1816, le maire Jacques Dubesset ne reporte pas sur l’acte le prénom Jean mais celui de Jérôme. 

Est-ce une erreur liée au niveau d’alphabétisation du maire, de sa disponibilité et de l’attention qu’il porta au document de référence, sans parler de la compréhension de ce qu’il lut sur le document précédent, tout cela est peu probable, en effet le prénom Jean est parfaitement lisible sur l’acte de naissance. On peut évoquer plutôt une absence de vérification de l’acte de naissance, le maire fit confiance à son oreille pour transcrire le nom que lui annonça le futur époux. 

Dans ce cas Jean / Jérôme a peut-être craint que l’officier d’état civil ne fasse un lien avec Jean Neyssensas, déserteur du 19 mai 1814, quelques mois auparavant …… si ce n’est que l’officier d’état civil signant les actes tout au long de l’année 1814 et, ayant potentiellement connaissance de la désertion de Jean, était l’adjoint Simon et non pas le maire Dubesset dont la signature est extrêmement rare cette année-là.

Jean / Jérôme, « mineur de 20 ans », habite le hameau de Lambertie à Mensignac, avec ses parents. Il épouse Jeanne Bunlet, fille majeure de Jean Bunlet et Marguerite Roubenot, habitants le hameau de la Chazardie à Mensignac, née le 20 mars 1792.

Les témoins sont le Sieur Jean Alexis Deschamps, âgé de 39 ans, propriétaire habitant le château de Mesplier situé à une demi - lieue au nord de Château - l'Evêque, Mesplier est une demeure greffée au 18ème siècle sous une partie du 16ème. - Shap-1874

 


Autres témoins, Mery Lacoste âgé de 32 ans, cultivateur, Pierre Patissou, sonneur de cloche, habitants du bourg et Jean Pichard, 54 ans, cultivateur aux Planches.

 

En 1836, année du premier recensement de population à Mensignac, Jérôme retrouve son vrai prénom. Jean est âgé de 41 ans, Jeanne, 45 ans, Jeanne, 16 ans, Jean, 13 ans, Jeanne 8 ans, Marie Neyssensas, 38 ans, tante de Jean, et Jean Neyssensas, 72 ans, veuf et aïeul, tous colons.

 

Jean assiste aux obsèques de son père Jean dit Coutou, âgé de 91 ans, le 2 juin 1844, veuf de Jeanne Pichon. Coutou habitait le hameau de Lavaux à Mensignac. Les témoins sont Jean Simon dit Naillou, charpentier, 60 ans de la Jourdonnie, gendre du décédé et Jean Vedrenne, dit Lalit, cultivateur, 68 ans habitant Lavaux.

Jean Neyssensas, cultivateur, décède le 28 novembre 1867 à 4 heures du matin au hameau des Vignes à Mensignac, âgé de 72 ans fils de « parents dont on ignore le nom ».

Les témoins se nomment Jean Simon, 51 ans, et Sicaire Jugie, 52 ans, cultivateurs habitants des Vignes.

 


 




La guerre du second Empire


Élection de la garde nationale mobilisée de Saint Astier


Napoléon III
Léon Bloy
Lors de l'entrée en guerre de la France contre la Prusse en juillet 1870, la Garde nationale fut d'abord faiblement mobilisée. Après la défaite de Sedan et la capture de l'empereur Napoléon III, le 4 septembre 1870, la IIIème république et le gouvernement de la défense nationale, sont mis en place.

Pierre Neyssensas, fils de Pierre et Anne Feytaud, propriétaires, nait au Pigat, à Saint Astier, le 16 juillet 1849.
Après 20 années passées dans le hameau, Pierre est mobilisé dans la garde nationale mobile, pour cinq années, écarté sans doute par le tirage au sort de l’armée active, peut-être par exemption ou remplacement.



Il quitte Périgueux en compagnie de Léon Bloy, né le 11 juillet 1846 à Notre-Dame-de-Sanilhac, romancier et essayiste français. Léon Bloy deviendra Caporal, puis Sergent dans le « Corps Cathelineau », corps dont nous allons découvrir la campagne militaire et les engagements dans la région d’Orléans.




Les oubliés de 1870

Le 1er septembre 1870 les jeunes hommes devant faire partie du 1er bataillon se réunissent à Bergerac. Le même jour, arrivent à Périgueux les hommes du 2ème et du 3ème bataillon.

Le 3ème bataillon (Commandant Marty) est constitué par une partie des jeunes du Nontronnais et ceux de l'arrondissement de Périgueux, dont Pierre Neyssensas.


Aurelle de Paladines

Le 22ème Régiment des Mobiles de la Dordogne, 1ère brigade, 2ème division, 16ème corps, intègre la 1ère armée de la Loire, et se dirige vers Tours par voie ferrée le 27 septembre 1870. Une colonne de 2000 gardes mobiles de la Dordogne défile dans les rues de Tours vers 9h00 du matin et parvient boulevard Heurteloup, accueilli par un discours officiel de l’homme politique Glais Bizoin.

Le 30 septembre, le 16ème corps part pour Château Lavallière, les hommes se déplacent à pied. C’est une rude étape dans la chaleur torride de ce mois de septembre, heureusement la troupe est composée de jeunes campagnards habitués à la marche. Les soldats logent chez l’habitant à Neuillé Pont Pierre.

Le 12 octobre, les soldats «  passent à l’habillement » et troquent leurs blouses et pantalons de treillis en mauvaise toile, qui ne protègent ni du froid ni de la pluie, pour une vareuse de molleton noir, avec pattes d’épaules à liseré rouge, pantalon à bande rouge et képi noir avec bandeau rouge. Le 13 octobre la 1ère armée de la Loire est constituée des 15ème et 16ème corps sous les ordres du général d’Aurelle de Paladines, du 4 au 13 octobre, puis du général Pourcet du 17 au 29 octobre 1870.

Le 15 octobre, retour à Tours et départ le lendemain pour Vouvray, Amboise et Blois.
Entre temps, le 3ème bataillon, peu de temps après le départ de Périgueux, après une période d’instruction, est détaché du corps principal pour faire partie du corps francs des volontaires de Cathelineau, 1ère division, 21ème corps, regroupés, entre autres, avec les Volontaires de la Vendée.



Récit des derniers jours de Pierre Neyssensas  engagé avec le « Corps Cathelineau »

Inspiré des écrits du commandant Cathelineau
Henri Cathelineau organise son corps, début octobre 1870, composé de 1700 à 2000 hommes avec, en sus, cantonné au château d’Amboise, le 3ème bataillon des mobiles de la Dordogne, Commandant Marty.

Ernest Gay

Arrivé à Amboise, le lieutenant Ernest Guay, né à Excideuil le 27 avril 1847, participe à la distribution des nouveaux fusils « Chassepot », moderne pour l’époque, et d’une portée très supérieure à l’époque.« Dans ces vastes plaines, les balles des Chassepots pénètrent partout atteignant les hommes à des distances énormes, et sans qu’on puisse se rendre compte d’où elles viennent, tandis que l’artillerie Française ne cause presque aucun dégât». Plus de 80% des pertes infligées aux troupes adverses en 1870-71 ont été imputées, après la guerre, aux effets de ce fusil.

Le Général Pourcet, contrairement à sa première décision, décide d’envoyer le corps Cathelineau aux avant-postes sur la rive gauche de la Loire, en vue d’une progression vers Orléans.
Cathelineau dit « J'avais revu mes bons amis de la Dordogne, qui nous attendaient avec impatience, et que le changement d'ordre de départ avait déjà émus par la crainte qu'ils avaient de nous voir séparés ».

Le corps est armé, équipé et prêt à partir pour Blois. Pierre et le 3ème bataillon se dirigent naturellement vers Chambord, puis changement de direction pour Saint Dié, l'ennemi venant d'attaquer Saint-Laurent-des-Eaux. Les hommes ont marché vite, et atteignent Saint-Laurent-des-Eaux; d’où l'ennemi s'est retiré. Le lendemain, de bonne heure, ma colonne se met en marche pour occuper les positions en avant de Saint-Laurent-des-Eaux. Cathelineau fait la connaissance du Capitaine Caillard de la garde nationale de Saint-Laurent-des-Eaux, qui se met à son entière disposition pour donner tous les renseignements sur le pays, sur les habitudes et les manœuvres des Prussiens dans ces parages.



endant ce temps le petit corps Cathelineau forme des faisceaux des deux côtés de la route d'Orléans à Blois par la rive gauche ; Pierre et les jeunes volontaires font leur apprentissage de l'organisation des feux, de la pose des marmites. Ils prennent position en avant de. Saint-Laurent, dans un petit bois qu'on appelle le coupe-gorge de Moque-Baril ; il est tard quand Pierre arrive, et avec ses compagnons prend le campement occupé précédemment par les troupes qui gardaient la position.

D’après les renseignements transmis, l'ennemi peut se présenter de trois côtés : en avant, par la route d'Orléans au village de Lailly, qui a été incendié quelques jours avant l’ arrivée du corps, sur notre gauche, par Beaugency.


Il pleut à torrents depuis midi, Pierre est fort peu disposé au sommeil, cependant il se couche sur une botte de paille, à l'abri de quelques branches ; bientôt les feux s'éteignirent, et le silence se fait. Un poste est placé près de la grande route qui traverse le camp, à 500 mètres en avant; confié à des volontaires. Pierre est peut-être parmi ceux là et n’a encore jamais vu l'ennemi.

Il est peut être neuf heures du matin, lorsque, du camp, sont entendus des coups de fusil. Les hommes ont déjeuné. Le poste du moulin s'est replié, selon les ordres qu'il avait reçus, et une forte ligne de tirailleurs est établie sur la lisière du bois regardant le village de Lailly. Les gardes sont doublées vers Beaugency et la Ferté, et la compagnie reste près de Saint-Laurent, rapprochée du centre des Quatre-Chemins. A peine ces différents mouvements sont exécutés, que Pierre voit déboucher, en avant des cavaliers prussiens, établis en vedettes, formant une ligne à peu près parallèle à celle du front Français.

C’est entre les 11 et 15 octobre que Pierre est blessé, peut-être le 19, en effet, les escarmouches sont incessantes, une nouvelle embuscade dressée par le 3ème bataillon, ce jour là, blesse trois cavaliers ennemis. Les choses sérieuses commencent à Moque-Baril, les Bavarois sont à nouveau arrêtés, les jours suivants, par un feu nourri qui tue plusieurs cavaliers et chevaux.
Un décret nomme au grade de Chevalier de la Légion d’Honneur le capitaine Caillard de Saint-Laurent, et des volontaires de la Vendée, de la Dordogne, qui ont défendu avec ténacité le carrefour de Moque-Baril contre des forces très supérieures. Extrait du moniteur Belge de 1870.

Le 28 octobre 1870, tout allait pour le mieux. Moque-Baril est occupé par les chasseurs. La Loire coule paisiblement à gauche de la route d'Orléans. Les pluies qui  tombent abondamment grossissent le fleuve, le corps Cathelineau n’a donc rien à craindre de ce côté ; tous les ponts étant coupés devant eux. Une série de bois considérable forme une vaste forêt, à la droite du corps, qui commence aux  bords du Loiret, s'étend dans la Sologne pour redescendre jusqu'en face de Blois et de l'autre côté de Chambord.

Le 28, vers trois heures, le corps Cathelineau marche dans les bois parallèlement à la grande route et échelonnés par compagnie, de manière à pouvoir prendre les Prussiens en flanc et en queue s'ils se présentent à Moque-Baril, en passant par Lailly pour marcher sur Saint-Laurent. Des ordres les plus sévères sont donnés de ne commencer le mouvement qu'après avoir entendu le feu des chasseurs qui doivent servir de signal.

Cathelineau s’avance jusqu'à la hauteur de Lailly avec ses Vendéens ; le commandant Marty occupe le centre avec 1700 hommes, espacés par compagnie sur une ligne de 2 à 3 kilomètres. Le lendemain, 29, après avoir envoyé des postes en avant des positions vers la grand-route d'Orléans, Cathelineau fait un petit mouvement en avant, de manière à pouvoir arriver facilement jusqu'à Orléans dans la même journée; le cortps n'en étant plus qu'à 23 kilomètres. Le corps est localisé près d’une ferme, un moulin et une petite jeune taille coupée l'année précédente, qui offre tous les avantages d'un véritable campement.

Le 30, le corps prend un jour de repos, jour du décès de Pierre à Saint Laurent des Eaux.



Pierre, âgé de 21 ans, décède à trois heures du soir, à Saint Laurent des Eaux, (aujourd’hui Saint Laurent Nouan), à « l’ambulance de l’instituteur ».



L’instituteur, François Célestin Boulains, 38 ans, et Cyprien Boulains, journalier, déclarent le décès de Pierre, célibataire, fils de Pierre Neyssensas et de (mère non indiquée). François et Cyprien Boulains, sont mentionnés témoins et amis de Pierre.

« L’ambulance de l’instituteur », vraisemblablement une partie de l’école des garçons convertie en infirmerie, héberge Pierre, blessé, fin octobre 1870, est sous l’autorité de la Garde Mobile de Saint Laurent.

Les chirurgiens du 16ème corps sont localisés à l’ambulance militaire de l’école de fille d’Ouzouer le marché, à 30 km de Saint Laurent, et ne parviennent pas au village, tant la route est encombré de convois de blessés, de vivres, de munitions, de files de hussards, chasseurs, lanciers et dragons. La nourriture à l’ambulance de l’instituteur se résume à de la soupe et du bœuf. Les sœurs subissent des remontrances des officiers lorsqu’elles offrent de trop grosses parts de nourriture aux blessés. L’ambulance occupe une grande salle de l'école, les bancs et les tables formant un amoncellement savamment disposé pour masquer les placards du fond de salle.

Déroulements des opérations du 16ème corps en octobre 1870.

Extrait de la lettre du 18 octobre 1870 du général Pourcet au général d'Aurelle à Blois


 « J'ai à Blois, en ce moment, 7000 hommes d'infanterie, et en avant de Blois, entre Saint-Laurent-des-Eaux et la Ferté Saint-Aignan, sur la rive gauche. Malheureusement, beaucoup de ces troupes n'ont point tout ce qui leur est nécessaire, et j'ai rendu compte au ministre de tous leurs besoins, sans qu'aucune satisfaction n’ait pu m'être donnée. Il leur manque notamment des équipages régimentaires, des ambulances, et surtout, ce qui est beaucoup plus grave, je n'ai absolument aucune réserve de cartouches d'infanterie, soit pour chassepots, soit pour fusils à percussion, et on ne répond même pas à mes demandes réitérées à cet égard ».


L’ordre est donné d'attaquer Orléans par l'amont et la rive droite, dans les heures qui viennent. Les forces du 16ème corps sont concentrées entre Plessis-l'Échelle, Roches, Concriers, Séris et la Madeleine.

Ordre du général d’Aurelle et emplacements de l'armée de la Loire le 29 octobre 1870

Grand quartier général de Blois

Demain, 30 du courant, les troupes de l'armée de la Loire se mettront en marche dès le matin, pour aller prendre les positions suivantes : la 1ère division du 16ème corps (général Chanzy), entre Saint-Léonard et Viévy-le-Rayé, ayant de forts avant-postes à Autainville, la Colombe, le Jaunet et Écoman, la 2ème division du 16e corps (général Barry), entre Maves et Pontijoux, la réserve d'artillerie du 16e corps à Pontijoux.


Cathelineau

Après la prise d’Orléans par les Bavarois en novembre 1870, la riposte s’organise côté Français.

Le 6 novembre matin l’Armée de la Loire commence son offensive. Le 9 novembre, le 16e corps (Chanzy) se heurte à une forte résistance, la 1ère division (Jauréguiberry) attaque Epieds. La 2ème division (Barry) attaque Coulmiers.


  « Cependant, le soir de ce jour, 9 novembre 1870, vers six heures, la ville d'Orléans était tout émue du bruit du canon. On ne savait rien, et mille récits contradictoires portaient tour à tour l'espoir ou la terreur dans nos âmes. La nuit venue depuis longtemps et la neige qui tombait épaisse n'empêchaient pas les habitants de se presser aux portes de la ville. Les volontaires de Cathelineau venaient annoncer la grande victoire et la délivrance d'Orléans. Avec les Vendéens marchait un bataillon de mobiles de la Dordogne. Ces braves enfants, couverts de neige et de pluie, traversèrent les rues au milieu d'une population en délire. Les femmes versaient des larmes, les hommes se mêlaient aux soldats, les fenêtres s'illuminaient, chacun offrait ce qu'il possédait, même des fleurs » Extrait du Livre d’or de la Jeunesse Française – 1880.

Un autre Neyssensas : Sicaire

Le 1er  novembre 1870 Sicaire Neycensas élu caporal, quitte Saint Astier le 12 décembre 1870 avec le 22ème régiment de mobiles, sous l’autorité, quelques jours plus tard, du général de brigade Barry et du lieutenant-colonel de Chadois.

Le commandant Bugeau part de Périgueux le 27 décembre avec un 4ème bataillon de 700 hommes et arrive au Mans le 29 décembre 1870. De là il rejoint Château du Loir et retrouve le reste du régiment jusqu’au 9 janvier 1871. Début janvier, il fait très froid et une neige abondante couvre le sol, mais le soleil brille  Le 11 janvier Sicaire participe à la bataille du Mans, le 22ème s’empare d’une bonne position occupée par les Prussiens et s’y installe pour toutes la journée et la nuit suivante. Malgré les efforts de l'ennemi et une attaque de nuit, le régiment tient bon. Ce n'est pas le cas des autres unités, notamment à la Tuilerie, défendue par des mobiles de la Côte d'Or équipés de vieux fusils à piston. Au cours du conseil de guerre tenu au Mans dans la nuit, la question de l'arrière garde est posée à l'amiral Jauréguiberry pour savoir quelle unité aura l'honneur redoutable de couvrir la retraite des troupes françaises.

L'amiral qui avait vu le 22ème à l'œuvre dans la journée dit: « Il faut trouver l'emplacement de la Dordogne. Avec de Chadois, ce régiment résistera, s'il le faut, jusqu'au dernier homme.» Les hommes n'ont à peu près rien mangé et encore moins dormi depuis plusieurs jours, aussi tombent-ils littéralement de fatigue et dorment-ils en marchant. Se tenant par le bras par groupe de dix ou douze, ils vont d'un mouvement automatique, titubant comme des hommes ivres. Beaucoup tombent dans les fossés, essayant de se reposer un instant, le sommeil les terrasse, le froid les prend et les fait succomber.
Le 16 janvier, arrivé à Laval, l'amiral reconnaissant le colonel de Chadois, l'aborde et lui dit : « C'est là le régiment de la Dordogne ? Renouvelez lui, colonel, tous mes remerciements. Il a sauvé hier mon artillerie.»

Ce qui reste des armées françaises tente de résister et parvient à faire reculer l'ennemi, notamment sur la Loire. Mais, très affaiblies, elles doivent battre en retraite sur tous les fronts. Face à la déroute, le gouvernement de la Défense nationale, demande l'armistice. Un armistice est signé le 28 janvier 1871, dix jours après la proclamation à Versailles, de Guillaume comme empereur Allemand. La stratégie de Bismarck est une réussite.

Elle coûte à la France 139 000 morts (au combat ou de maladie), 143 000 blessés et 320 000 malades. Ces chiffres comprennent aussi les civils touchés par les bombardements, la famine et les tragédies telle celle du camp de Conlie.

Sicaire, quitte la Beauce par voie ferrée et rejoint le village de Saint Astier en 1871.

Extraits « Les Mobiles de la Dordogne » d’Emile GERAUD



La 1ère Guerre Mondiale



Le 28 juin 1914, à Sarajevo, un jeune nationaliste serbe originaire de Bosnie, Gavrilo Princip, assassine le couple héritier du trône austro-hongrois, le prince François-Ferdinand d'Autriche et son épouse la duchesse de Hohenberg. L'Autriche-Hongrie réagit à l'attentat en formulant un ultimatum à l'encontre du royaume de Serbie, en accord avec son allié allemand. L'une des exigences austro-hongroises étant jugée inacceptable par les Serbes, l'Autriche-Hongrie déclare la guerre à la Serbie. Ce qui aurait pu n'être qu'une guerre balkanique de plus, dégénère en guerre mondiale par le jeu des alliances entre les grandes puissances européennes qui sont à la tête d'empires s'étendant sur plusieurs continents.

 

Les familles Neyssensas compteront 9 conscrits tués au front durant le conflit.


Chaque conscrit se voyait attribuer un numéro de matricule, correspondant au numéro de la page du registre tenu par l’armée dans lequel toute sa carrière militaire était inscrite : c’est à partir de ces documents de suivi individuel extrêmement riches déposés aux Archives de la Dordogne que les parcours des membres de no familles sont établis.

Pour chacun des décès ou prisonnier au front, un résumé des évènements du jour est présenté en caractère italique. Quelques fiches extraites du site de la Croix-Rouge complètent le récit de 4 années de conflit. Verdun, la Marne, l'Argonne, ou le chemin des Dames, mais aussi Salonique en Grèce, autant de noms qui résonnent du bruit des canonnades de la Première Guerre mondiale.

Astériens au temps de la guerre de 14-18


Le début de la guerre et la bataille de la Marne se déroule du 6 au 12 septembre 1914. Au cours de cette première bataille décisive, les troupes franco-anglaises réussissent à arrêter puis repousser les Allemands. L’ère de la « guerre des tranchées » est ouverte.


Saint-Astier


1914 : Paul Neyssensas, cultivateur, 1 m 69, degré d’instruction 2, sait lire et écrire. Paul nait à Jevah, commune de Saint-Astier, le 3 septembre 1893, fils de Joseph et de Marguerite Verninas. Paul est affecté au 108ème régiment d’infanterie de Bergerac sous le matricule 707 en qualité de Sergent. Paul décède le 8 septembre 1914 à Vitry le François lors de la bataille de la Marne, à l’âge de 21 ans. Paul est cité à l’ordre du régiment. « Gradé, brave et courageux, mort pour la France à son poste de combat ». Il obtient la Croix de Guerre, étoile de bronze, et sera inscrit au tableau spécial de la médaille militaire le 26 avril 1921.


           

Le drapeau du 108ème de retour du front - Paul en haut sur la photo au centre



Le 108ème à Bergerac


Extrait de l’historique du 108ème paru en 1919

 

« Le 6 août, cinquième jour de la mobilisation, le 108ème régiment d’infanterie, prêt à entrer en campagne, quitte sa garnison de Bergerac, petite ville pleine de soleil, de lumière et de gaieté, où la vie est facile, où il fait bon vivre, patrie de Cyrano, patrie de la bravoure ardente et gaie, turbulente mais sûre. Les fils seront dignes des pères : ils vont le montrer….. ».


La bataille de la Marne - dimanche 6 septembre à 9 heures




 « Au moment où s’engage une bataille dont dépend le salut du Pays, il importe de rappeler à tous que le moment n’est plus de regarder en arrière ; tous les efforts doivent être employés à attaquer et à refouler l’ennemi. Une troupe qui ne peut plus avancer devra, coûte que coûte, garder le terrain conquis et se faire tuer sur place plutôt que de reculer ; dans les circonstances actuelles, aucune défaillance ne peut être tolérée ». Signé Joffre


Paul, le mardi 8 septembre 1914

 « A 5h40, le 8 septembre, le 108ème est violemment attaqué sur tout son front. Il tient toujours dans Courdemanges, néanmoins ordre est donné au 126ème R.I. de se porter vers la cote 130. A 6h15, le Colonel Commandant la 47ème Brigade fait savoir, du Château de Beaucamp, que le 108ème est fortement engagé. La situation sur le front est sérieuse. L’artillerie ennemie en particulier tire avec une violence extrême. A 7h40, un aviateur est envoyé en reconnaissance pour situer exactement les positions des batteries allemandes. La cote 130 (Sud-ouest de Courdemanges) n’a pu être enlevé et le 108ème, dans Courdemanges est obligé de céder ».

Journal de campagne du 108ème le 8 septembre 1914

Courdemanges 1914 et Cimetière de Saint-Astier – 1990

Le 108ème régiment perd, entre le 6 et le 11 septembre 1914, 52 officiers et 2220 hommes.

Paul dit Jean Neyssensas porte la mention « tué à l’ennemi » par acte de décès établi par jugement du tribunal de Périgueux le 21 juin 1918 - Décès retranscrit à l’état civil de Saint-Astier le 12 juillet 1918.


Témoignage familial

Reine Bressolles - Taix, née en 1908, fille de Lucie Neycensas - souvenirs des familles Neyssensas de Jevah - Saint Astier vers 1914.

« En ce qui concerne les Neycensas, mon plus vieux souvenir est ma grand-mère née Catherine Simon mais appelée généralement « Philippine », son linge était marqué d’un F.

Je me la rappelle qu’immobile et sans parole dans son fauteuil de châtaignier près de la porte d’entrée de la maison de Jevah, détruite pour élargir la route. Elle était soignée par le grand-père Joseph Neycensas qui lui survécu 12 ou 13 ans.


Je le retrouvai aux vacances, d’abord à Jevah, puis à Saint-Astier avec mon oncle, Henri Neycensas et sa famille. Il est mort en 1926. D’un naturel sérieux, il nous paraissait sévère à nous, les enfants, sa grande menace était, si nous n’étions pas sages, de nous mettre avec la bourrique, brave bête qui ne nous aurait fait aucun mal. Son frère, ou demi-frère, que nous appelions « l’oncle Martial » habitait Jevah, avec sa famille, « tante Martial » et ses deux filles.

Il y avait aussi cinq fils, tous mobilisés car c’était la guerre de 1914-1918, l’un deux, Paul n’en n’est pas revenu.

Robert, Suzanne, mon frère, Michel Bressolles, étions accueillis à bras ouverts dans leur maison pendant ces étés de guerre. C’était ce que l’on appelle une famille au grand cœur. Ma cousine Inès était pour moi une grande sœur et j’avais droit à quelques confidences ».

Mon dernier séjour à Jevah date de l’été 1919 ».



La cour de ferme de Joseph Neyssensas, terrain de jeux des enfants vers 1905.




Le 8 septembre 1914, quelques heures après le décès de Paul, un autre Neyssensas, Astérien de naissance décède sur le front de la Marne.


1914 : Neyssenssas Jean nait le 10 aout 1891 à Saint-Astier, cultivateur, 1 m 57, degré d’instruction 2, sait lire et écrire. Jean est fils de Sicaire et Madeleine Petit. Jean est Caporal au 108ème régiment d’infanterie sous le matricule 389. Comme Paul, précédemment cité, Jean, 23 ans, décède le 8 septembre 1914 à Chavanges dans l’Aube à 3 heures du soir, de blessures de guerre dans l’ambulance numéro 7 du corps ColonialJean décède d’une « péritonite consécutive à une plaie de la région lombaire ». Jean obtient la médaille militaire le 13 janvier 1921. « Sous-officier brave et courageux. Grièvement blessé en montant à la contre-attaque des positions ennemies. Mort des suites de ses blessures le 8 septembre 1914 ». Retranscrit sur le registre de Saint-Astier le 1er janvier 1915.


Communication à la famille - Croix rouge


Le contenu de la fiche de la Croix rouge est incompatible avec le lieu de décès déclaré sur la fiche matricule, en effet 250 km sépare Chavanges et Orgéo en Belgique.

En garnison à Bergerac au moment de la mobilisation d'août 1914, rattaché à la 47ème brigade d'infanterie de la 24ème D.I., le régiment reste à la 24ème D.I. jusqu'en novembre 1918 et sera notamment engagé sur le front italien. Jean est mentionné sur le monument aux morts de Saint-Astier.


Le retour du corps de Jean en 1922

Le site de l’Association des Anciens Militaires de Saint-Capraise de Lalinde détient la liste des corps rapatriés entre 1921 et 1926 pour le département de la Dordogne.

Le corps de Jean, noté Paul sur le site, est rapatrié le 28 décembre 1922 par train, arrivé en gare de Périgueux avant de repartir pour Saint- Astier, la commune de destination du corps. Le convoi est le n°45. Jean dit Paul Neyssensas porte le n° 39. Le corps a été demandé par Monsieur Neyssansas Sicaire résidant au Pigat à Saint-Astier. Sicaire est fils du couple Jean et Jeanne Duranthon de Davaland : Saint-Astier.

La famille du Pigat, endeuillée, demande le rapatriement du corps de Jean dans le caveau familial à Saint-Astier, après la parution de la loi du 31 juillet 1920. Jean n’est pas resté seul sur le champ de bataille comme des milliers d’autres mais enseveli provisoirement dans un cimetière militaire dans la Meuse en zone de combat. 240 000 soldats sont rapatriés à partir de l’été 1922.

« En outre les conditions si particulières du combat ont en effet multiplié dans tous les camps le nombre des disparus et de ceux dont les corps n’étaient pas identifiables le chiffre représente dans le cas Français près un cadavre sur deux. Leurs proches ne purent alors jamais disposer d’une tombe pour se recueillir, d’une sépulture pour commencer leur deuil, à l’exception des ossuaires comme celui de Douaumont et surtout de la tombe de l’Inconnu qui prit dès lors en France, en Angleterre, en Italie, son véritable sens.

La souffrance extrême des agonies au front ajoute une composante particulière, la douleur des proches. Les familles devinent fort bien cette souffrance comme elles devinent ce que furent la solitude animale et angoissante des agonisants. Dès lors on comprend l’insistance des familles, dans leurs courriers adressés aux camarades ou aux supérieurs hiérarchiques, de connaitre les derniers moments, quelles ont été les circonstances exactes de la mort, Quelles blessures, Quelles souffrances.

On veut savoir aussi si celui que l’on pleure était seul pour mourir, s’il a pu être enseveli, et, dans ce cas le lieu de sa sépulture. Il s’agit ainsi de tenter de combler la lacune terrible de l’absence de tout accompagnement des mourants. La blessure, l’agonie la mort, cette lacune qui porte sur quelques heures, sur quelques jours le plus souvent, mais qui semble avoir torturé les survivants et leur a rendu le deuil si difficile et parfois impossible.

On mesure mieux ainsi l’épreuve de ceux qui ne retrouvèrent jamais de corps à enterrer. Pour eux il n’y eut jamais un avant et un après, un avant et un après la visite sur la tombe du champ de bataille, un avant et un après le retour du corps, un avant et un après la réinhumation.

Décidément la spécificité des deuils induits par le conflit de 1914-1918 revêt une importance capitale pour la compréhension des conséquences de la mort de masse au sein des sociétés européennes ». Extrait de « Corps perdus, corps retrouvés ». Par Audouin-Rouzeau.

 

1915 : Neyssensas Alfred, nait à Saint-Astier le 22 février 1892, fils de Guillaume et Madeleine Peyrouny, cultivateur. Son degré d’instruction est de 2, soldat de 2ème classe au 108ème, Alfred porte le matricule 79. Blessé au bras gauche par éclat d’obus le 28 septembre 1914 à Suippes près de Reims, Alfred puis passe au 412ème régiment d’infanterie le 1er mars 1915. Alfred décède lors de la 3ème bataille d’Artois, le 25 septembre 1915, devant Thélus au combat de Roclincourt dans le Pas de Calais, lieu-dit Noyelette, à l’âge de 23 ans.

Le 412ème régiment d'infanterie est un régiment d'infanterie de l'Armée de terre française constitué en 1915 avec des blessés guéris et des éléments provenant des dépôts de la 12ème région militaire (Limoges) avec entre autres un 2ème bataillon composé notamment du 108ème. Cependant sur la fiche du site « mémoire des hommes » Alfred est mentionné appartenant au 63ème régiment d’infanterie, effectivement présent à Thélus.


La journée du 25 septembre 1915 en quelques mots……

En Artois, après un mois très agréable de repos à Rubempré, le 63ème se rend, par camions automobiles, dans la région de l'ouest d'Arras. Le 1er août, il s'installe dans le secteur de Roclincourt, à cheval sur la route d'Arras à Lille. Il va l'occuper pendant huit mois. Il y méritera le renom de régiment « tenace et résolu » qui lui sera reconnu officiellement à la fin de la guerre.

Les trois bataillons accolés tiennent un front de 1200 mètres : la ligne avancée est distante de 20 à 200 mètres de l'ennemi ; on se touche presque par endroits. En avant, le chaos de craie et de boue retournée où est retranché l'ennemi va buter contre la crête de Thélus, qui barre la route du bassin de Lens. Le secteur est, par excellence, le secteur des mines. Une lutte sévère se poursuit entre sapeurs français et allemands. Huit fois en six semaines, les Allemands font sauter la mine et tentent de détruire notre première ligne. Le régiment a la chance de s'en tirer sans accidents graves. Il peut ainsi achever d'importants travaux, pousser en avant une vingtaine de sapes et les relier par une parallèle de départ. C'est la préparation de la grande offensive.

Un rôle important est réservé au 63ème. Il attaquera en tête de la brigade, ses trois bataillons accolés, échelonnés en quatre vagues de six pelotons chacune. L'objectif premier est la tranchée du Paradis, dont la conquête permettra l'attaque ultérieure de la crête 132 et des bois de Farbus. L'attaque devra avoir « le caractère d'une ruée ».

Le travail de notre artillerie dure huit jours : il est formidable. Le 25 septembre, à midi 25, toutes les vagues s'élancent dans un ordre parfait.

A l'aile gauche (1er bataillon), les deux premières gagnent la ligne ennemie (tranchée des Punaises), devant laquelle tombe le commandant Bonnal. Elles repartent, enlèvent la deuxième (tranchée des Cafards), la dépassent et ne s'arrêtent que devant d'infranchissables réseaux demeurés invisibles. Les deux autres vagues nettoient les positions conquises et font des barrages.

Mais, aussitôt, de tous les boyaux adjacents, les Allemands débouchent en masse et contre-attaquent à la grenade. Nos hommes, leurs munitions épuisées, résistent avec une énergie prodigieuse pendant deux heures. Tous les officiers sont frappés. Au centre, même lutte ardente. Le bataillon de droite est tombé sur un réseau à peine entamé. Le commandant Baston est tué en tête de ses hommes. Quelques fractions franchissent néanmoins la première ligne et se battent jusqu'à épuisement. Deux fois dans l'après-midi, on essaye de reprendre l'offensive.

Tous les efforts se brisent contre une barrière de feux opposée par des forces supérieures et sans cesse alimentées. Dans cette très dure journée, le régiment a perdu 2 chefs de bataillon, 8 commandants de compagnie, 31 chefs de section, un millier d'hommes. Mais il a fait subir aux Allemands de grosses pertes. L'ennemi avait accumulé sur ce point, jugé sensible, la plus grande partie de ses forces engagées dans la région d'Arras, ce qui a permis de remporter, sur ce même front d'Artois, des succès marqués. La journée a été très glorieuse. Il faudrait un long chapitre pour conter les actes de bravoure accomplis le 25 septembre ». Historique du 63ème




Montrem

1917 : Neyssensas Henri nait le 28 septembre 1896 à Montrem, fils d’Elie et de Germaine Fargeot, cultivateur, 1 m 57. Son degré d’instruction est de 0, ne sait ni lire ni écrire, Alfred est soldat de 2ème classe, 1er régiment d’infanterie, et porte le matricule 65.

Henri est au combat lors de la bataille du Chemin des Dames, aussi appelée seconde bataille de l'Aisne ou « offensive Nivelle ».




Le chemin des Dames doit son nom à Adélaïde et Victoire, filles du roi Louis XV et donc Dames de France. Elles empruntaient ce chemin de plaisance, qui a été empierré pour rendre visite à leur gouvernante et dame d’honneur, Mme François de Châlus, au château de la Bove à Bouconville-Vauclair.

« A la tête de l’armée françaises depuis le début de la guerre, le général Joffre est remplacé le 13 décembre 1916 par le général Nivelle (originaire de Tulle) alors qu’après l’échec des offensives d’Artois et de Champagne en 1915 et dans la Somme en 1916, il a préparé le plan d’une nouvelle offensive entre Soissons et Reims pour le début de l’année 1917.

Le 16 avril 1917, en pleine nuit, dans le froid et même la neige, Nivelle engage un million d'hommes, des milliers de canons et les tout premiers chars de combat.

Réveillées à 3h30, les premières vagues s’élancent à 6h00 du matin à l’assaut du plateau du Chemin des Dames, elles se heurtent à des barbelés souvent intacts et elles sont fauchées par le feu des mitrailleuses allemandes.

L’offensive est un désastre. Le 20 avril, le général Nivelle arrête les opérations. 134000 hommes, dont 30 000 tués pour la semaine du 16 au 25 avril, sont tués, blessés ou disparus pour un gain de terrain dérisoire. Le général Nivelle, généralissime et commandant en chef des armées françaises pendant la Première Guerre mondiale en 1916 et 1917 est relevé de ses fonctions en mai 1917, en raison des controverses encore vives aujourd'hui autour de ses options stratégiques, particulièrement meurtrières notamment au Chemin des Dames. Innocenté, il sera nommé, en décembre 1917, à la tête du 19ème corps d'armée en Afrique du Nord, et entra au Conseil supérieur de la guerre en 1919.

Pétain prend la place de Nivelle à la tête du grand quartier général français, le 15 mai 1917, au moment où éclatent les premières mutineries, signe de désespoir et de découragement dans une partie des troupes françaises.



S’il ne mourait pas sur le champ de bataille, le poilu mourait à l’hôpital de Prouilly dans la Marne, faute de soins.

Les blessés trop atteints étaient laissés de côté. On n’opérait que pour des interventions qui ne devaient pas dépasser les 30 mn. On laissa sans soin des milliers de blessés, parfois sans pansement en côtoyant les morts…. Du 16 au 21, Prouilly reçoit près de 12000 blessés dont 7 000 le 17 avril, le 17 avril à 15 h, Prouilly est encombré de 5700 blessés en attente ».

Henri meurt à l’âge de 21 ans, le 25 avril 1917 à 18 h 00 de blessures de guerre à l’hôpital de Prouilly, lieu où se déroule un véritable drame sanitaire. Inhumé dans un premier temps dans le cimetière de l’hôpital, fosse 282, Henri est inhumé, à nouveau, dans la nécropole nationale de la Maison bleue à Cormicy dans la Marne - Tombe n° 5257. Le 12 juillet 1917, le père du défunt perçoit un « secours » de 150 francs. 

(mi-1917 entre la ferme Hurtebise et Craonne)

Henri est mentionné sur les monuments aux morts de Montrem et Saint-Astier

Du 20 mai à fin juin : le front sera secoué par des mutineries qui affectent plus de 150 unités. Ces refus d'obéissance concerneront des troupes au repos que l'on veut renvoyer à l'assaut.

Saint-Astier

1918 Neyssensas Emile-Georges, nait à Saint-Astier le 19 janvier 1890, fils de Jean et d’Anne Doche, cultivateur, domicilié au Perier, célibataire. Exempté pour goître en 1911, finalement appelé au combat le 22 mai 1917, marsouin, soldat de 2ème classe au 37ème régiment d’infanterie coloniale basé à Bordeaux.

« Les Poilus d’Orient », ceux que Clemenceau appelait avec mépris « les jardiniers de Salonique » leur reprochant longtemps leur inaction. (Images entre autres véhiculées par la présence de plants de salades cultivés en périphérie de Salonique par les poilus dans le but d’éloigner le scorbut, mais aussi par les cartes postales de l’époque où le poilu déambule dans les rues en agréable compagnie).

Emile, matricule 1523, décède le 15 novembre 1918 à 14 h 00, à l’âge de 28 ans, à l’hôpital temporaire numéro 8 de Salonique victime d’une broncho-pneumonie. Le cimetière militaire Français de Zeitenlick à Thessalonique (Salonique), en Grèce, rassemble les corps de 8309 soldats morts pour la France sur le front d'Orient, lors de la Première Guerre mondiale.

« Sur les quelques 400 000 soldats qui ont combattu durant la Première Guerre mondiale dans les Balkans, dont 70 000 ne sont pas revenus, près de 290 000 sont ainsi tombés malades.

Face aux forces de la Triple Alliance, les poilus ne doivent pas seulement lutter armes à la main, mais aussi essayer de survivre dans des conditions extrêmement difficiles et propices aux épidémies. La présence de marais, la malaria, les moustiques, la dysenterie et le typhus provoquent une hécatombe dans les rangs des soldats. A la chaleur accablante des étés succèdent les hivers glacials …. Entre 1916 et 1918, la moitié des soldats français, dont Emile, se trouve dans des tranchées sur de hautes collines ou dans des montagnes à environ 1 000 mètres d’altitude, d’où la difficulté pour les blessés d’être acheminés vers les hôpitaux. Finalement l’histoire retiendra Verdun ou le Chemin des Dames, et oubliera les autres fronts ».


Emile est inhumé dans le cimetière militaire de Zeitenlik - Tombe 7676


Saint-Léon sur l’Isle

 

Une fratrie décimée au combat

 

Une tragédie humaine emblématique de la tuerie que fut la Grande Guerre

Retraçons, tout d’abord, le parcours de vie des parents de Jean, Roger et Jean décédés au front, nés à Saint-Léon sur l’Isle entre 1883 et 1892 à l’aide des registres paroissiaux et des recensements.

Le père, Martin Neyssensas, dit « Duranthon » est né à Davaland le 21 janvier 1854. Martin, cultivateur, se marie avec Catherine Gouzou à Saint-Astier le 18 avril 1882. Le couple a 9 enfants nés entre 1883 et 1896, lieux-dits Puypinssou et La Valade à Saint-Léon sur l’Isle.

Martin et ses 7 frères et sœurs sont enfants de Jean Neycensas (1814-1889) et Jeanne Duranthon (1820-1881). Le couple Jean et Jeanne s’est installé à Davaland entre 1841 et 1846. Voir recensement de 1846 à Saint-Astier.

Martin est petit-fils de François et Marguerite Simonet, arrière-petit-fils de Martin et Anne Doche, tous descendants de Charles et Tamarelle Marguerite du hameau de Tamarelle à Saint-Astier depuis 1677 et bien avant, de Guirou, du hameau de la Font-Chauvet à Léguillac de l’Auche.

Quatre enfants naissent dans le hameau de Puypinssou 


Le couple quitte Saint-Astier et s’installe dès 1883 dans le hameau et rejoint ainsi son cousin Sicaire, fils de François et Marie Duranthon, époux d’Anne Poumeyrol, habitants à Puypinssou peu de temps avant la naissance de leur premier enfant Sicaire-François-Gaston nait le 2 septembre 1882 (décès le 2 avril 1961). Le couple s’est marié à Tocane Saint-Apre le 14 février 1875 et aura 10 enfants.

L’habitation de Martin à Puypinssou appartient à la tante de Catherine Gouzou, Catherine Sirouze qui la possède de ses pères et mères, Sicaire Sirouze et Marguerite Peyrouny et ce depuis au moins 1836. Le patronyme Sirouze apparait pour la 1ère fois en 1737 à Montrem et signifie « lieu pierreux », dérivé Cirouze, Chirouze - nom d’une commune de Corrèze.

En 1861, Catherine, mariée avec Pierre Reymondie, travaillent leurs terres accompagnées d’un enfant de l’hospice de Périgueux âgé de 12 ans, Etienne Dubreuil. Le couple cohabite avec Sicaire Sirouze, veuf de Laronze Anne, âgé de 65 ans. En 1866, Sicaire est décédé, Etienne, 17 ans, est toujours présent avec le couple.

En 1881, peu de temps avant son mariage Catherine Gouzou, vit toujours avec Catherine Sirouze veuve Reymondie. Puypinssou est composé de 7 maisons, 7 ménages et 30 individus.

En 1886, Puypinssou est habité par 42 personnes. Le hameau se compose de 8 maisons et 8 ménages. Martin et son épouse vivent au côté de Catherine Sirouze, 56 ans, et leurs trois enfants. Le cousin de Martin, Sicaire, son épouse Anne Poumeyrol, élèvent à présent 4 enfants.

Le premier enfant de Martin et Catherine Gouzou, Jean, nait le 6 mars 1883. Sicaire dit « Roger » nait le 27 aout 1884 et décède le 14 juillet 1890 à l’âge de 6 ans. Jean nait le 18 mars 1886. Marie-Angèle nait le 17 juin 1888 à Puypinssou et décède à la Valade le 12 novembre 1890 à l’âge de 2 ans.

La famille s’agrandit, Martin et sa famille quittent Puypinssou début 1890 pour la Valade à un peu moins d’un kilomètre de là. Catherine Sirouze conserve son habitation à Puypinssou et vit à présent seule.


En 1886, 
la Valade est composée de 6 maisons, 6 ménages et 37 individus Lavaud - Reymondie - Fonmarty - Reymondie - Reymondie - Dupuy.

Le cinquième enfant du couple, Marie, nait le 20 avril 1890.


En 1891, le recensement de Saint-Léon sur l’Isle indique à la Valade la présence de Martin, 38 ans et Catherine, 27 ans, propriétaires, Joseph-Jean âgé de 7 ans (1883), Jean 5 ans (1886), Marie 11 mois (1890) et Catherine Sirouze âgée de 67 ans, tante. Marie-Jean Alleminge, 16 ans, de l’hospice de Périgueux, cultivatrice, seconde le couple pour les travaux du quotidien. La Valade est composée de 5 maisons et 33 personnes. Les familles citées sont les Lavaud, Raymonde, Mazière, Reymondie et Neycensas.

Un sixième enfant, Roger nait le 22 janvier 1892. Jean nait le 1er février 1894 et décède le 11 octobre 1894 à l’âge de 9 mois. La dernière enfant, Marie nait le 4 avril 1896, 7 mois après le décès de son père Martin. Sa mère Catherine Gouzou est alors âgée de 32 ans.

Martin décède le 17 septembre 1895 à l’âge de 41 ans après un été exceptionnellement chaud et sec. La pandémie de 1889-1890 dite grippe « russe » est la première dont on peut démontrer la dissémination sur l’ensemble du globe. L’un de ses caractères les plus marqués tient aux récurrences de l’infection, lesquelles, jusqu’en 1895, occasionnent une mortalité supérieure à celle causée par la pandémie initiale. Martin a-t-il été victime de l’épidémie ?

Catherine Gouzou décède le 19 avril 1896 des suites de l’accouchement, 15 jours après la naissance de Marie et 7 mois après le décès de son mari.

En ce temps-là, la moyenne de vie est de 38 ans et 8 mois pour les hommes et 40 ans et 5 mois pour les femmes. Catherine Gouzou fait partie de la tranche de mortalité maternelle la plus élevée entre 30 et 34 ans soit 13% des décès maternels.

En 1901, après la disparition du couple Martin et Catherine, le 2ème recensement indique à nouveau la présence de Catherine Sirouze âgée de 73 ans, à présent en charge des enfants orphelins de Martin et Catherine, Joseph, 18 ans (1883) en réalité nommé Jean à l’état civil, cultivateur, André, 15 ans (1886) en réalité Jean à l’état civil, cultivateur, Noélie, 10 ans (1890) en réalité Marie à l’état civil et Rosa, 4 ans (1896) en réalité Marie à l’état civil. Roger 9 ans n’est pas mentionné sur le recensement.

Le 24 mars 1907, Catherine décède à son domicile à l’âge de 78 ans, à la Valade. Joseph Neyssensas, 24 ans, et Louis Mazière, 52 ans, cultivateurs à la Valade sont témoins.

Durant 11 ans Catherine s’occupa des enfants des défunts Martin et Catherine


En 1901, le cousin de Martin, Sicaire dit Grégoire, 54 ans et Anne Poumeyrol, 46 ans, habitent toujours Puypinssou avec François-Gaston, 18 ans, Hélène, 15 ans, tous cultivateurs.

En 1911, seul le couple Jean, futur poilu, et Marie Javerzac habite encore le lieu-dit la Valade.

Marie, la dernière fille de Martin et Catherine, épouse Blaise Peytoureau le 24 avril 1919 à Saint-Léon sur l’Isle.

Les enfants de Sicaire et Anne Poumeyrol se marient après 1899 : Anne-Marie à Saint-Astier en 1900 avec Jean Mazière, Sicaire-François-Gaston en 1907 à Saint-Astier avec Emilie Marie Neyssensas, en 1911, le couple a deux enfants, Augusta et Julien et Hélène-Joséphine en 1907 à Saint-Léon sur l’Isle avec Antoine Millaret.


Disparition au front de la fratrie


1914 : Jean Neyssenssas nait à Saint-Léon sur l’Isle le 6 mars 1883, cultivateur, fils de Martin et Catherine Gouzou. Jean est époux de Marie Javerzac. Ils se marient le 8 juin 1808 à Grignols.  Le couple habite encore, en 1911, à Saint-Léon sur l’Isle, le lieu-dit la Valade - recensement de population de 1911. A la Valade, 5 familles se côtoient, les Reymondie, Maze, Lavaud, Mazière et Neyssensas. Les autres Neyssensas ont quitté Saint-Léon sur l’Isle.

La fiche de recrutement décrit Jean ainsi : taille 1 m 51, cheveux et sourcils, bruns, les yeux gris bleu, le front couvert, nez et bouche moyenne, menton rond et visage ovale, degré d’instruction 3, sous le matricule 88. Arrivé au 50ème régiment d’infanterie en 1904, Jean est dispensé en tant que « ainé d’orphelins ».

Peu de temps avant le début de la guerre un enfant nommé Camille nait le 23 septembre 1912. Camille se mariera avec Lucienne Lespinasse le 16 avril 1936.



À la déclaration de guerre, le 50ème est caserné à Périgueux commandé par le colonel Valette. Il fait partie de la 47ème brigade, de la 24ème division d'infanterie subordonnée au 12ème corps d'armée. Il s'articule alors en 3 bataillons comportant chacun 4 compagnies numérotées de 1 à 12 et comprend 3 sections de mitrailleuses. Le recensement des effectifs fait état de 3391 hommes répartis en 55 officiers, 220 sous-officiers et 3116 caporaux et soldats. En outre, l'unité comprend 179 chevaux et mulets.

Appelé à la mobilisation générale le 1er aout 1914, Jean, 31 ans, soldat, disparait au front le 19 septembre 1914 à Auberive dans la Marne. Par jugement déclaratif à Périgueux du 13 juin 1920 et à la demande de la famille Neyssensas, le décès est fixé en date du 19 septembre 1914.

« Le 1er août 1914, vers 17 heures, à la caserne Bugeaud de Périgueux, se produit un mouvement insolite. Sans avoir été appelés par aucune sonnerie, officiers et hommes de troupe accourent de tous les côtés vers le chef de bataillon Blondont qui descend du bureau du Colonel, un papier à la main. Quelques instants avant, un planton du Colonel est venu à la salle de service, avec un air plus grave que d’habitude ; aussitôt le chef de bataillon de service est monté vers le bureau. Tout le monde s’attend à la grande nouvelle. Le commandant s’arrête près du pédiluve. On fait cercle. Il dit « Attendez un peu, du calme, tout à l’heure je vous permettrai un cri, un seul. » Il lit l’ordre de mobilisation générale. Puis il ajoute : « Et maintenant, Vive la France ! » Et la foule des soldats répète, en un cri immense, joyeux et enthousiaste : « Vive la France ! ».

Le régiment est depuis le 13 septembre devant Auberive, dans les tranchées. Aubérive, nom sinistre dans l’histoire du 50ème. Du 19 au 30 septembre, le régiment attaquera quatre fois, toujours avec la même ardeur, la même abnégation. Mais il se heurtera à des positions organisées, munies de mitrailleuses, défendues par des feux croisés d’artillerie, ayant d’excellentes vues sur toute la zone qui les précède. Sûr de son feu, l’allemand restera d’abord silencieux devant la progression. Mais quand cette progression lui paraîtra devenir dangereuse, alors il déclenchera ses rafales de mitrailleuses et de 77 qui cloueront l’attaque sur place. Ainsi le 19, le 20, le 24, le 30 septembre.

L’auberge de l’Espérance à Auberive

Que peut faire Jean Neyssenssas, que peuvent faire les hommes les mieux trempés, obligés de marcher à découvert, sur un véritable glacis, contre une position ainsi organisée et défendue ? Si encore notre artillerie pouvait nous soutenir efficacement ! Mais les artilleurs n’ont plus d’obus ! On attaque cependant parce que c’est l’ordre et que le commandement sait, lui, tout le résultat important de ces attaques d’apparence infructueuse.

Il s’y est maintenu malgré le tir violent et précis de l’artillerie allemande. Chaque jour, il a progressé, fortifiant le soir le terrain conquis. Jamais un pouce de terrain n’a été abandonné.

Le régiment a arrêté net le 26 septembre les attaques de l’ennemi. Le 30 septembre, il s’est porté, par un magnifique effort jusqu’à la lisière Aubérive ; il n’a été arrêté que par les réseaux de fil de fer et par le tir de mitrailleuses et d’artillerie d’une intensité inouïe. Malgré les pertes éprouvées et bien que tous les officiers du 1erbataillon fussent tués ou blessés et que la plupart des gradés fussent hors de combat, les survivants se sont maintenus inébranlablement jusqu’à la nuit. Les actes d’héroïsme individuels ont été nombreux dans le régiment. Beaucoup restent inconnus ».

Jean est cité de manière posthume le 18 mai 1922, « brave soldat, s’est fait remarquer par son dévouement et son courage. A été tué le 19 septembre 1914 à Auberive en se portant vaillamment à l’attaque de ce village » - Jean obtient la Croix de guerre avec étoile d’argent.


1914 : Jean Neyssensas nait le 18 mai 1886 à Puypinssou, commune de Saint-Léon sur l’Isle, cultivateur, fils de feu Martin et Catherine Gouzou. Jean est l’époux de Marthe Héritier depuis le 8 février 1912, habitants Manzac sur Vern. Le couple a un enfant, Roger, né le 16 avril 1913, marié à Ménesplet le 29 mai 1937, décédé le 30 décembre 1954 (?) à Manzac.

Arrivé au corps suite à la mobilisation générale du 3 aout 1914, Jean est soldat de 2ème classe au 108ème régiment d’infanterie et porte le matricule 677. Jean mesure 1 m 54 avec un degré d’instruction de 3 avec une instruction primaire plus développée.

Jean est « tué à l’ennemi » le 28 aout 1914 à Moislains dans la Somme à l’âge de 28 ans. (Source Allemande du 9 octobre 1915). Après jugement du 4 mars 1922 à Périgueux, l’acte est retranscrit sur l’état civil de Manzac le 12 avril 1922.


« Le 28 août 1914, une terrible bataille décime les troupes du 307ème et 308ème d’Angoulême commandées par le colonel Gary.  Le 308ème régiment d'infanterie est constitué en 1914 avec les bataillons de réserve du 108ème régiment d'infanterie. Envoyé « à marche forcée » au nord de la Picardie, le 308ème a pour mission de retarder l’avancée allemande sur Paris et d’éviter l’encerclement d’un corps expéditionnaire anglais fort de 74000 hommes. Piégés sur une plaine bordée de bois, en pantalon rouge garance, Jean au côté des réservistes tombe en plein champ, le matin du 28 août, tous « tirés comme des lapins ».

A 7 h 30, la tête de la colonne atteint la ferme du Gouvernement, installée entre les bois de Saint-Pierre Vaast et celui de Vaux. Vers 8 heures, les dragons viennent buter sur les avant-postes ennemis. Des deux côtés, on échange des coups de fusil. 


Les combattants tirent au jugé tant le brouillard est dense. Vers 9 heures, les patrouilles détachées du 307ème reçoivent l’ordre d’avancer vers les lisières du village. Là, les éclaireurs se trouvent confrontés à des cavaliers allemands contre lesquels ils doivent croiser la baïonnette. Les fantassins allemands ouvrent le feu et un déluge d’obus s’abat sur les deux compagnies qui se rabattent sur le bois de Vaux. Deux compagnies du 308ème arrivent à la rescousse, mais voyant les soldats ennemis fondre sur elles pour les encercler, elles se replient sur le chemin de la Croix où les attendent les rescapés du 307ème.

Avec la dissipation du brouillard, l’ennemi s’aperçoit qu’il n’a en face qu’un petit nombre d’adversaires. L’artillerie vient alors prendre position au lieu-dit Valigout et des mitrailleuses campent sur le chemin de la Croix pour un tir croisé. En quelques instants c’est l’hécatombe. Les blessés et les morts gisent au fond du chemin. À midi la cavalerie allemande charge et sabre les derniers combattants sur la plaine dominant Moislains. La bataille a duré quatre heures. Jean était mobilisé depuis seulement 1 mois ».


1915 : Roger Neyssensas nait le 21 janvier 1892 à Saint-Léon sur l’Isle, fils de Martin et Catherine Gouzou. Roger est domestique à la Jaure chez Monsieur Siméon Hivert.

Soldat au 126ème régiment d’infanterie à compter du 8 octobre 1913, matricule 80, 1 m 53, degré d’instruction 2, Roger est « tué à l’ennemi », disparu le 25 septembre 1915 à l’âge de 23 ans à Neuville Saint-Vaast dans le Pas de Calais lors de la bataille d’Artois. Transcrit sur le registre d’état civil de Saint-Léon le 23 juillet 1920, d’après un jugement rendu par le tribunal de Périgueux le 19 juin 1920 à la demande de la famille Neyssensas.



« Les premiers « placards » de mobilisation sont à peine affichés à Brive que déjà à la porte de la caserne, s'est formé un attroupement nombreux. Le 126ème quitte Brive le 8 août 1914. Son voyage vers la frontière, par Limoges, Troyes, Saint-Dizier est une longue marche triomphale.

Pendant la deuxième quinzaine de juin et le mois de juillet 1915, le 126ème au cantonnement dans la région d’Amiens, à Naours, se réorganise et s'entraîne. Il est enlevé en camion automobile le 19 juillet et transporté dans la région de Frévent. Le 1er août, il relève le 50ème régiment d'infanterie dans les tranchées au sud de Neuville-Saint-Waast.



C'est dans cette zone que le régiment de Roger Neyssensas attaque le 25 septembre, après avoir au cours de ses périodes d'occupation, préparé la parallèle de départ, créé des places d'armes, ouvert de nombreux boyaux, creusé des abris.



Dans la nuit du 24 au 25 septembre, après un repos de huit jours, le 126ème va prendre les emplacements fixés par le plan d'engagement. Les mouvements préparatoires s'effectuent dans de bonnes conditions et à 12 heures 25, les deux bataillons de tête s'élancent sur les tranchées adverses. Le bataillon Fautrat marche droit sur son objectif ; les compagnies Gracies (1ère) et Rivaud (4ème), enlèvent, à la baïonnette, dans un héroïque assaut, les tranchées fortement défendues du Moulin, puis du Losange, et poussent résolument vers les Tilleuls. Elles atteignent la grand-route d'Arras à 12 heures 45, où elles s'arrêtent épuisées.

Les éléments avancés du 2ème bataillon, privés de leurs officiers, tous tués ou blessés, sans liaison à gauche avec les troupes du 3ème corps, se replient également dans la tranchée du Vert-Halo. Toutes les tentatives pour gagner la tranchée des Cinq-Saules, sont paralysées par le feu d'un centre de résistance ennemi qui n'a pas été enlevé, en raison des attaques divergentes du 2ème bataillon. Roger a atteint le groupe de maisons « des Tilleuls » et sa compagnie est arrêtée par une contre-attaque ennemie. 





Nos pertes sont lourdes. 9 lieutenants-colonels, sous-lieutenants et capitaines, sont décédés, deux cent soixante-dix-huit hommes, dont Roger, sont également tombés au cours de l'action. Dix officiers, cinq cent dix hommes ont été blessés. De nombreux cadavres d'ennemis, restés dans les tranchées conquises témoignent de la violence de la lutte. Il n'est pas possible de raconter ici tous les traits d'héroïsme accomplis dans cette dure journée ; combien, d'ailleurs, resteront ignorés faute de témoins ... ». Historique du 126ème

Roger est cité sur une plaque commémorative à Ablain-Saint-Nazaire - Mentionné sur le monument aux morts de Brive - place d’arme de la caserne Laporte.


Mensignac

1918 : Célestin Albert Neycenssas nait le 17 mars 1897 à Mensignac, cultivateur célibataire, fils de Jean et Anne Martrenchard tous résidants à Barsac, canton de Podensac en Gironde. Matricule au recrutement : 1937 - Bordeaux (Gironde) - Incorporé et arrivé au corps le 8 janvier 1816, 2ème classe au 107ème régiment d’infanterie, 1 m 61, degré d’instruction 2.

Le 107ème est en garnison à Angoulême lors de la mobilisation d'août 1914, rattaché à la 46ème brigade d'infanterie de la 23ème D.I. - Le régiment reste à la 23ème D.I. jusqu'en novembre 1918 et sera notamment engagé sur le front italien.

Célestin part au front le 24 octobre 1916 et, est nommé tambour le 10 aout 1917.

Célestin, 21 ans, est mort au champ d’honneur, « tué à l’ennemi » le 27 octobre 1918 au combat sur le Piave, à Valdobbiadene en Italie. « Soldat brave et dévoué tombé glorieusement en se portant à l’assaut des positions ennemies ».

« Les premières troupes françaises arrivent en Italie le 31 octobre 1917 et se déploient progressivement entre Mantoue et Vérone ; puis, un peu plus à l'est de Montello, sur la ligne Monfenera - Monte Tomba - Pederobba.



Fin avril, deux divisions françaises (les 23ème et 24ème DI) restent sur le front Italien, formant le 12ème corps d'armée, commandé par le général Jean-César Graziani et désormais dénommé Forces françaises en Italie (FFI).

Ces troupes participent activement à la « Bataille de la Piave » sur le plateau d'Asiago, du 15 au 22 juin 1918. Le 24 octobre, le généralissime Italien Diaz lance une offensive générale. Ses sept armées attaquèrent sur un front qui allait d'Asiago à la mer. Au centre de ce front se trouvait le 12ème Corps français avec les FFI du général Graziani.

Dans la nuit du 26 au 27 octobre, les Français forcèrent la traversée de la Piave au Molinetto di Pederobba. Le 107ème bataillon traverse le fleuve et fait face à des unités ennemies accrochées aux falaises de San-Vito. Le 28 octobre, les Français, appuyés par les unités italiennes, agrandissent leur enclave et prennent possession des monts Perto et Piaunnar. L'avancée a culminé le 29 octobre avec la victoire italienne à Vittorio Veneto, au cours de laquelle des milliers de soldats Autrichiens ont été capturés ».

Célestin est inhumé en Gironde à Barsac

Moyenne d’âge des décédés : 24 ans



Prisonniers en Allemagne

Les familles Neyssensas compteront 8 prisonniers tout au long de la première guerre mondiale.

Lorsque les opérations commencent sur le front Ouest, en août 1914, le sort des prisonniers de guerre est réglé depuis le 18 octobre 1907, par la convention de La Haye signée par 44 pays et définissant la responsabilité des États vis à vis de leurs prisonniers en ce qui concerne le mode d'internement, la discipline, le travail, la solde, le courrier, les rapatriements...

Les armées allemandes envahissant la France, la Belgique et le Luxembourg lors des batailles des frontières, de nombreux soldats français, souvent blessés, sont capturés au cours des combats en rase campagne ou lors de la reddition des places fortes. Le sort exact réservé à ces captifs par l'ennemi est ignoré en France durant les premiers mois de la guerre. Il est peu à peu connu grâce aux lettres échappées à la censure ou aux témoignages des premiers évadés. Aucun règlement militaire allemand ne fixe vraiment le sort des prisonniers : autant de camps, autant de régimes particuliers. Le traitement des hommes de troupe est sévère, celui des officiers plus adoucis. En 1915, les plus durs se trouvent à Lechfeld, Minden, Niederzwehren : pas de chauffage, pas de lit, peu de soins sanitaires, peu de nourriture. (Chemin de Mémoire) 



Les autorités allemandes sont confrontées rapidement à un afflux inattendu de prisonniers. En septembre 1914, 125 050 soldats français sont prisonniers. Dès l’année 1915, les autorités allemandes mettent en place un système de camps, près de trois-cents, en recourant à la dénutrition, aux punitions et au harcèlement psychologique, alliant enfermement et exploitation méthodique des prisonniers. Les prisonniers dorment dans des hangars ou sous des tentes, et creusent des trous à même le sol pour se protéger du froid. Les constructions, forts par exemple, humides, réquisitionnés pour servir de lieu de détention occasionnent de nombreuses maladies pulmonaires. Des camps sont établis aussi bien dans les campagnes qu’à proximité des villes, ce qui eut des conséquences lorsque des épidémies de choléra ou de typhus menacèrent de s’étendre à la population civile.


Léguillac de l’Auche - Saint-Astier

 Adrien Neyssensas nait le 18 mars 1884 à Léguillac de l’Auche, résidant à Saint-Aquilin, carrier-mineur, fils de Jean et Anne Beyney, domiciliés à Neuvic. Incorporé au 50ème régiment d’infanterie en 1906 sous le matricule 23, taille 1 m 61, degré d’instruction 3. Passé à l’état-major de l’Ecole supérieure de guerre comme soldat ordonnance 1er novembre 1907. Après la mobilisation générale Adrien arrive au corps le 3 aout 1914. Adrien disparait sur le front le 28 aout 1914 à Mesnil. Adrien est finalement en captivité dans le camp de Sennelager à compter du 28 aout 1914 puis rapatrié le 22 décembre 1918.



Adrien se marie le 7 février 1924 à Saint-Astier avec Raymondie Reynelle et décède le 6 novembre 1955 au Roudier à Saint-Astier à l'âge de 71 ans.


Camp de Sennelager




« En 1915 on parvient au camp par trains : 40 hommes par wagon. Au début du camp nombre de prisonniers logent dans des tentes. Les Belges, Français, Britanniques, Russes, sont rapidement groupés par nationalité. (Les Belges et les Français semblent avoir été rassemblés). Le camp s’agrandit : Senne I, Senne II, puis le camp de Staumühle situé au nord de Sennelager, dans l'enceinte du champ de manœuvre. Les prisonniers n'échappent à la famine que grâce aux colis envoyés par leurs familles. La plupart d'entre eux travaillent en Kommandos à l'extérieur du camp. La majorité des prisonniers français rentrent chez eux en novembre 1918. Certains toutefois ne quittèrent le camp qu'en janvier 1919 ».

 

Montrem

Adrien Neyssensas nait à Saint-Aquilin le 8 avril 1893, chaufournier à Saint-Astier, fils d’Elie et Germaine Fargeot, résidant à Montrem.



Adrien est incorporé au 108ème de Bergerac le 26 novembre 1913 en qualité de soldat de 2ème classe, classé dans le service auxiliaire pour acuité visuelle diminuée à l’œil gauche. Adrien porte le numéro matricule 706, sa taille est d’1 m 60 et porte une cicatrice au menton, degré d’instruction 0.

Montrem le 9 septembre 1926


Maintenu sous les drapeaux le 1er aout 1914, Adrien arrive au front le 14 février 1915, et ce, jusqu’au 8 mars 1916. Adrien, 22 ans, à présent soldat au 153ème régiment d’infanterie, est fait prisonnier de guerre à compter du 9 mars 1916, et ce, jusqu’au au 31 janvier 1919. Interné à Duelmen en Allemagne, Adrien est rapatrié et arrive au dépôt des Isolés de Limoges le 1er février 1919. Sa blessure contractée lors de sa captivité, fracture de l’humérus gauche est bien consolidée le 28 septembre 1922, persiste un léger emphysème sans bronchite, état général bon. Adrien obtient un certificat de bonne conduite à la fin du conflit. A son retour en Dordogne, Adrien habite à Saint-Astier dès le 28 aout 1919, puis Montrem le 1er janvier 1920.

Adrien est inhumé à Montrem le 9 septembre 1926. (Informations fiche matriculaire militaire).


Camp de Duelmen

Camp de prisonniers situé en Westphalie, proche de la frontière Hollandaise, qui vraisemblablement servait de centre de ravitaillement à d’autres camps de prisonniers, mais aussi de camp de triage pour prisonniers qui étaient par la suite dirigés soit vers d'autres camps, soit dans différents commandos.


« Environ 10 000 personnes y ont été détenues. Il y a eu 5 296 Français, 2595 Britanniques, 1135 Russes, 505 Belges, 237 Italiens, 178 Portugais, 10 Roumains, 9 Serbes, 6 prisonniers civils et deux officiers. Il y aurait eu également, à certains moments, des prisonniers Américains et Canadiens. 

Le camp comptait trois blocs de baraques et un hôpital (Lazaret). Le bloc 1 était occupé par les Français et les Belges, le 2 par les Anglais et le 3 par les Russes et autres ressortissants des pays de l'Est. Le bloc 1 comprenait 22 baraques dont 18 étaient destinées au logis de 2 094 prisonniers. Ils avaient à leur disposition 10 baraques pour se laver, une buanderie, une cantine et un atelier. Plusieurs détenus assuraient le service religieux mais le curé Fiedler de Dulmen disait la messe dans le camp allemand et visitait les détenus malades au Lazaret.

Il y avait une baraque qui servait de théâtre et disposait de 600 places. Il y avait des concerts organisés par les Russes.


Après un certain temps les prisonniers furent formés pour travailler dans les fermes ou les usines, compte tenu des pertes de travailleurs allemands enrôlés. Les prisonniers travaillaient 10 heures par jour pour un salaire de 0,32 Mark.

La poste fut organisée par le Cicr et par la Croix Rouge Néerlandaise. Les colis étaient ouverts en présence des prisonniers et tout objet permettant une évasion était confisqué (carte, compas, tournevis etc….) ».



Saint-Astier

Pierre Neyssensas nait le 23 juillet 1879 à Saint-Astier, cultivateur, fils de Sicaire et Marie Bunlet domiciliés à Saint-Astier. Pierre est époux de Marie Bouchillou, mariés le 1er juillet 1902 à Chantérac.

Matricule 1190, 1 m 62, Pierre est inscrit Service Auxiliaire suite à une pointe de hernie à gauche et mobilisé seulement le 20 janvier 1915. Pierre part au front le 1er septembre 1915 au 27 mai 1918. 


Pierre, 39 ans, est fait prisonnier le 28 mai 1918 lors de la seconde bataille de la Marne. Ce même jour, le 1er bataillon du 156ème régiment d'infanterie combat à Brenelle contre les troupes allemandes du 10ème Corps d'Armée. Submergé par le nombre et le manque de munitions, le bataillon se replie, vers 7 h du matin après une chaude résistance, vers Ciry-Salsogne et le moulin de Quincampoix.

Pierre est interné au camp de Cassel, puis transféré à Friedrichsfeld le 26 septembre 1918. Pierre est rapatrié le 16 décembre 1918, passe au 50ème régiment d’infanterie le 17 janvier 1919. Le 26 février Pierre est de retour en Dordogne, à Chantérac plus exactement.

Camp de Cassel – Niederzwehren



Situé dans la région de Hesse-Nassau, à proximité de Hanovre, le camp de Cassel peut détenir environ 19 000 prisonniers, ceux-ci y subissent, en 1915, deux épidémies de typhus. En mars 1917 on dénombre 9 153 militaires français détenus à l'intérieur du camp. Outre les prisonniers militaires, on compte aussi quelques prisonniers civils. Le camp se compose de plusieurs petits camps dont Niederzwehren. Il y a deux pénitenciers situés à Fulda et Cassel-Wehlheiden, 2 500 commandos sont rattachés à Cassel, 276 fermes, 148 fabriques et 14 mines (charbon, manganèse, argile, sels de potasse).


Camp de Friedrichsfeld

« Réveil à 5 h, départ pour le chantier à 6 h, repos de 8 h à 8 h 30. Pause à 12 h-13 h 30, 4 h-4 h 30 pause. Travail jusqu'à 6 h », le travail consistant à charger des pierres dans des wagons ou du poussier de charbon dans des bennes.



Saint-Astier

André Neyssensas nait le 2 janvier 1896 à Saint-Astier, carrier, fils de Joseph, cultivateur, et Marguerite Verninas, couturière, domiciliés à Saint-Astier. André est le 2ème fils du couple à partir au front. Le frère d’André, Paul, est décédé le 8 septembre 1914 à Vitry le François dans la Marne. Lors de son recrutement, André porte le matricule 64, sa taille est d’1 m 69, son degré d’instruction est de 2.

André est incorporé le 10 avril 1915, soldat de 2ème classe. André part sur le front le 2 décembre 1915, soit un peu plus d’un an après le décès de son frère. André passe au 106ème régiment d’infanterie le 16 avril 1916 et quitte le front après sa blessure le 24 juin 1916, à la batterie de Damloup dans la Meuse, lors de la bataille de Verdun, par éclat d’obus côté droit de la tête. La batterie de Damloup se situe à proximité du fort de Vaux. La batterie est constituée de 3 traverses édifiée en 1881. Elle peut être armée de 6 canons de 95 mais sert plutôt d'abri de combat.


André repart à nouveau pour le front le 28 juillet 1916, devient soldat de 1ère classe le 5 janvier 1918 puis caporal le 11 mars 1918 juste avant sa captivité le 31 mars 1918 à l’âge de 22 ans. André reste en captivité jusqu’au 10 janvier 1919, sans que la fiche, hélas, ne mentionne son lieu de détention.

André disparait lors de la bataille d’Amiens et la prise de Montdidier, le 30 mars 1918 à Mesnil Saint-Georges dans la Somme.



« Le 30 mars, dès l'aube, un violent bombardement de mines et d'artillerie précède une nouvelle attaque allemande. Devant Mesnil, le 106ème de ligne brise quatre attaques du 7ème Grenadiers allemand dans la matinée, mais dans l'après-midi, vers 17 heures, après que la gauche française a fléchi sous un bombardement effroyable. Les Allemands abordent le village par le nord. Les Français le défendent maison par maison et ne l'abandonnent an feu que vers 18h30 pour s'établir à 200 ou 300 mètres en arrière. Sur la droite, les 19ème et 154èmerégiments allemands s'emparent du Monchel et d'Ayencourt et ne peuvent en déboucher sons les feux du 132ème de ligne qui leur interdit les abords sud-ouest de Mesnil et les approches de Royancourt ».

André est rapatrié et arrive au dépôt des isolés de Limoges le 16 janvier 1919. Envoyé en congé illimité de démobilisation le 20 septembre 1919.

André, cultivateur, habite Jevah - Saint-Astier, lorsqu’il se marie le 29 avril 1920 à Saint-Astier, avec Élise Eclancher, cultivatrice, habitante de Jevah. Leur premier enfant, Robert nait le 24 janvier 1921, marié avec Anne-Marie Leconte.



Antonne

Neycensas Alphonse Henri, nait à Antonne le 2 aout 1887, cultivateur, fils de Germain et Marie David. Matricule 439, taille 1 m 75, degré d’instruction générale 2, appartenant au 154ème régiment d’infanterie à compter du 8 mai 1916, Alphonse disparait le 29 mai 1916 à Cumières lors de la bataille de Verdun à l’âge de 29 ans.

« Le 29 mai, un violent bombardement d’obus de tous calibres et principalement du 210, s’abat depuis le Mort-Homme jusqu’au village de Cumières. Les tranchées et boyaux considérablement endommagés par les tirs des jours précédents sont complètement nivelés. Plusieurs attaques d’infanterie allemandes sont repoussées. Vers 18 heures, une violente série d’attaques, menées par des troupes fraiches, depuis le Mort-Homme, le ravin de Chattancourt, le ravin des Caurettes et le nord-est de Cumières, combinée à une attaque de front à partir du bois des Corbeaux a raison des unités françaises de 1ère ligne dont les effectifs sont considérablement réduits. Le combat dure toute la nuit.

Le 30 mai, à 10 heures, après deux jours de bombardements continus, l’infanterie allemande attaque sur tout le front. Les troupes françaises, refoulées par des forces supérieures, sont obligées de se replier vers Chattancourt ».

Alphonse est détenu prisonnier à Stuggart. Victime d’un accident de travail lors de sa captivité le 22 septembre 1917, avec « voussure de la colonne vertébrale », Alphonse est dirigé, après avril 1918, vers Montana, étape vers sa libération.

La Convention de Genève du 6 juillet 1906 stipule que les belligérants peuvent échanger et rapatrier des blessés et des malades ou les remettre à des pays neutres pour les interner jusqu'à la fin des hostilités. Conformément à cette convention, les deux camps se mettent d'accord en 1915 pour un échange des grands blessés ou malades, mais il n'en est pas de même pour ceux qui sont moins gravement atteints, comme Alphonse. Les accords de Berne du 26 avril 1918 règlent enfin la question du transfert des prisonniers les moins atteints. Alphonse est interné en Suisse, dans la station climatique de Montana, afin d’y être soigné.

Alphonse arrive en gare de Sierre près de Montana et se dirige vers

vers le funiculaire puis parvient au sanatorium de Montana

L’Express du Midi du 8 aout 1918

Alphonse est rapatrié le 7 décembre 1918 et passe au 50ème régiment d’infanterie le 11 janvier 1919.

Alphonse, sans profession, domicilié aux Garennes à Antonne, se marie avec Jeanne Etienne, sans profession, domiciliée à l’Arsault à Trélissac, le 21 décembre 1920, à Trélissac. Le couple habite l’Arsault en 1921. (Recensement 1921).


Mensignac

Laurent Neycenssas nait le 11 février 1884 à Mensignac, cultivateur, fils de Laurent et Anne Ducher, matricule 691, taille 1 m 67, affecté au 50ème régiment d’infanterie le 3 aout 1914, passé au 153ème régiment d’infanterie le 2 juin 1915.

Laurent disparait le 7 avril 1916 à Haucourt dans la Meuse lors de la bataille de Verdun à l’âge de 32 ans.

Le 153ème à Haucourt « Combat de la cote 304 :  le 31 mars, la division, après un court repos dans la région de Saint-Dizier, près de Bar-le-Duc, reçoit l'ordre de tenir le secteur de la rive gauche de la Meuse, entre Malancourt et Béthincourt. On s'attend à une nouvelle ruée allemande.

Le 5 avril, le 153ème se met en roule pour relever le 69ème régiment d'infanterie vers Haucourt et l'ouvrage de Palavas. A Esnes, il apprend que l'ennemi a attaqué, s'est emparé d'Haucourt et de Palavas, et que 7 officiers du régiment partis en reconnaissance, ont disparu. Après une pénible contre-attaque, le régiment relève le 69ème aux ouvrages de Peyron et de Vassincourt. A peine est-il installé qu'une forte attaque se déclenche le 7, à 17 heures. Elle est arrêtée. Une demi-heure après, elle recommence, et grâce à un effroyable bombardement, elle prend pied dans Vassincourt et Peyron. Puis, après deux jours de bombardement, les Allemands tentent d'en déboucher et de prendre le bois Camard. Ils ne peuvent avancer. Une nouvelle tentative échoue, et une troisième également est enrayée le 10 avril. Lorsque, le 13, le 153ème est relevé, il tient le bois Camard et laisse la cote 301 intacte au 2ème bataillon de chasseurs à pied.

La terre de Verdun devenait un champ de mort effroyable, où les deux Armées s'écrasaient sur place. Et il devait en être ainsi huit mois encore ».

Laurent est prisonnier à Darmstadt à compter du 24 mai 1916




Laurent au camp de Darmstadt le 24 mai 1916 - archives de la Croix Rouge


Présence de Laurent au camp de Darmstadt le 12 aout 1916


Présence de Laurent au camp de Darmstadt le 7 février 1917

Rapatrié le 8 décembre 1918 en France, le 22 mars 1919, Laurent est de retour à Mensignac.

 

Léguillac de l’Auche

Pierre Neycenssas nait le 1er février 1885 à Léguillac de l’Auche, manœuvre, fils de Jean et Anne Doche, tous domiciliés à Saint-Astier. Pierre se marie 6 décembre 1910 à Montrem avec Marie Beau.

Pierre porte le matricule 715, sa taille est d’1 m 57, son degré d’instruction de 2, rappelé à l’activité le 1er aout 1914 au 108ème régiment d’infanterie et arrivé au corps le 3 aout 1914. Pierre est fait prisonnier le 4 octobre 1914 à l’âge de 29 ans et dirigé vers le camp de Senne I en Allemagne.




Les trois camps de Senne pour prisonniers de guerre sont situés en Westphalie, au Sud-est de Münster (Senne I ou Sennelager, Senne II et Senne III).





Pierre, sur la fiche de la Croix Rouge, appartient au 308ème, en réalité le 308ème régiment d'infanterie est constitué en 1914 avec les bataillons de réserve du 108ème régiment d'infanterie. Le 24 mai 1916 Pierre est présent sur les listes du camp de Senne I.



Pierre est rapatrié le 8 octobre 1918, après 4 années passé en captivité, puis affecté au 50ème régiment d’infanterie le 8 décembre 1918 et envoyé en congé illimité de démobilisation le 12 mars 1919.

 

Razac sur l’Isle

André Neycensas nait le 27 octobre 1898 à Razac sur l’Isle, cultivateur, fils de Guillaume et Marie Castaing, domiciliés à Saint-Astier. André, soldat de 2ème classe, porte le matricule 553, taille 1 m 59, degré d’instruction 2, lorsqu’il incorpore le 73ème régiment d’infanterie le 3 mai 1917. André est au front à compter du 3 janvier 1918, passe au 127ème régiment d’infanterie le 14 mai 1918 puis disparait au front à Port-Fontenoy lors de la 3ème bataille de l’Aisne à l’âge de 20 ans.



L’offensive allemande du 24 mai 1918 - la bataille de l’Aisne

« C'est alors que l'ennemi décide une fois de plus d'en finir par une ruée colossale. Il franchit l'Aisne, atteint la Marne, attaque sur l'Oise et bientôt cherche à atteindre Paris.

Le 127ème est embarqué en camions - Cba et transporté dans la Région de Berny-Rivière, Horse, Roche, et Fontenoy.



Le 29 mai, l’état-major français quitte les grottes de Tartiers. Alors que le fanion du général commandant la 151ème division flotte encore sur le château de Fontenoy, un bataillon du 127ème entre dans le village le 30 mai à 10 heures du matin par un temps radieux. Mais, devant l’ampleur de l’offensive allemande le général évacua à la hâte son PC vers 6 heures du soir.

Le lendemain, sur ordre du quartier général, la population civile doit partir. Après avoir enlevé Tartiers, les Allemands entrent dans Fontenoy vers 18 heures et se battent avec les soldats du 127èmequi se repliait vers Roche ». La rupture du Chemin des Dames est engagée…

Les Allemands, en 3 jours, font 35000 prisonniers, parmi eux André qui est dirigé vers le camp de prisonniers de Soissons, le 31 mai 1918 - fiche matriculaire. Dans les jours qui suivent, les longues colonnes de prisonniers français marcheront vers Marle puis Hirson, d’où des trains vinrent les chercher pour les conduire dans des camps de prisonniers en Allemagne ». André resta-t-il à Soissons ou fut-il acheminé vers un camp en Allemagne comme celui de Lamsdorf en Haute Silésie ?

André sera libéré le 6 décembre 1918 et dirigé vers le dépôt des isolés de Limoges.

Après 1920, André est classé dans l’affectation spéciale comme homme d’équipe à la Compagnie d’Orléans. Les 17 mai 1921 et 25 aout 1927, André est domicilié à Juvisy. Entre temps, André se marie à Saint-Astier avec Maria Colinet le 17 juin 1922. Après le décès de Maria en 1931, à l’âge de 29 ans, André se remarie avec Noémie Maillard, décédée en 1955 à l’âge de 53 ans.



André décède le 2 mai 1972 à Blain en Loire Atlantique à l’âge de 73 ans et sera inhumé à la Souterraine dans la Creuse.            

                                                                          

Prisonniers au front en 1914-1918

Moyenne d’âge des prisonniers : 28 ans



Fernand Neyssensas,

Frère de Paul décédé en 1914



Fernand est affecté au 21ème Régiment de Chasseur en octobre 1912, chasseur de 1ère classe le 11 novembre 1913, Sapeur le 18 novembre 1913 puis détaché à la Compagnie du Paris - Orléans en qualité d’homme d’équipe à la Gare de Périgueux. Fernand participe à la 1ère guerre mondiale du 2 aout 1914 au 16 aout 1919. Fernand est cité à l’ordre du régiment 401 du 4 février 1919. « Excellent cavalier, a fait toute la campagne et a rempli avec bravoure et dévouement toutes les missions qui lui ont été confiées. Croix de guerre avec étoile de Bronze ». Carte du combattant numéro 3410. Fernand habite successivement Périgueux en 1919, Bergerac le Buisson en 1928 et Poitiers, hameau Belair en 1933. (Fiche matriculaire)


Les grades cités sur les fiches matriculaires


Les Neyssensas décorés





La 2ème Guerre Mondiale


Déportés à Mauthausen

Neyssensas Robert nait le 24 janvier 1921 à Saint Astier. Garçon de café, il est déporté dans le cadre de l’opération « Meerschaum ». Au départ de Compiègne, six convois quittent la France entre les 24 janvier et à fin juin 1943. Robert, 22ans, est détenu au camp de Royallieu, qu’il quitte le 20 avril 1943, vers l’inconnu. Le camp composé de personnes arrêtées par mesure de répression : résistants, politiques, raflés, otages, et parfois droit commun, quelle que soit leur nationalité.

« Prétextant des tentatives d’évasion, on oblige, en cours de route, les hommes du wagon à se dévêtir totalement et on les met dans un autre wagon. Beaucoup meurt en route, d’autres deviennent fous …… ».

Les convois sont organisés, sur ordre d’Himmler, en décembre 1942, pour « raison de guerre » ; en réalité, la conjoncture sur le front russe, les bombardements des sites de production nécessitant leur enfouissement, génèrent un besoin croissant de main d’œuvre.

Environ 35000 hommes vont être transportés et c’est 4000 hommes qui quittent Compiègne en une dizaine de jours vers Mauthausen et Sachsenhausen au printemps 1943. La grande majorité des convois des premiers mois de 1943, est composée de main d’œuvre de circonstance ; c’est la tentative de quitter le territoire, essentiellement à partir de 1943, et l’instauration du service du travail obligatoire, qui est à l’origine de la moitié des arrestations, tous concernés par les lois vichystes des 4 septembre 1942 et 16 février 1943.

Les détenus, au nombre de 997, parviennent à Mauthausen le 22 avril 1943. A l’arrivée au camp, ils sont soumis à la procédure d’accueil des nouveaux détenus et aux premières vexations. « Le dressage de l’être humain par la brute commence ». Les détenus se retrouvent sur la place d’appel, dénombrés, dévêtus, debout, ils restent pendant plusieurs heures sur la place. Puis ils sont conduits à la désinfection, entièrement rasés, et reçoivent leur costume de bagnard. Conduits en quarantaine, ils sont soumis à une période de « dressage » et d’initiation à la vie concentrationnaire.

Le numéro matricule de Robert est le 28375. Ce sera son unique identité pendant l’incarcération.

Robert est affecté à Wiener le 19 juin 1943, à Schlier-Redl Zipf le 30 octobre 1943, Ebensee, le 04 mars 1944, au Camp central le 30 mai 1944, puis Linz III le 31 aout 1944, libéré le 5 mai 1945, il quitte le camp de Linz III, pour un rapatriement sur Mulhouse le 24 mai 1945. C’est le début de l’atroce travail de la carrière, le revier sans soin où l’on bat les malades.

Robert Neyssensas est mentionné dans le livre mémorial des déportés de France arrêtés par mesure de répression et dans certains cas par mesure de persécution. Volume 4 de Michel Reynaud – Fondation pour la mémoire de la déportation – 2004.


En 1947, Robert Neyssensas est mentionné dans le bulletin des déportés politiques de Mauthausen, en traitement depuis 2 années dans un sanatorium du Puy de Dôme.

« Avec ces trois camarades, Gesland et Le Galleu, ils souffrent terriblement d’être immobilisé sur leur lit de douleur, loin de la vie active et de leurs camarades, Nous lançons, une nouvelle fois, un appel plus particulier à ceux qui ont vécu avec eux les moments difficiles de Mauthausen ou de ses kommandos afin qu’ils leur apportent le soutien moral et l’amitié qui n’a jamais fait défaut à aucun de nous là-bas. Ces camarades nous ont écrits, ils sont affreusement seuls !.Rendez-leur visite aussi souvent que possible puisque vous connaissez vous-même les bienfaits que représente la présence d’un camarade de combat près de celui qui a été blessé dans la lutte menée en commun ».


Le 20 avril 1943, 7 périgordins quittent Royallieu en compagnie de Robert, le plus jeune d’entre eux.


Fernand Barbut de Brantôme, 33 ans, Vincent Chasseing, de Bergerac, 47 ans, Gabriel Cornu d’Issigeac, 51 ans, Henri Debat de Terrasson, 42 ans, Charles Delerm de Nontron, 39 ans, André et Henri Lacoste de Chantérac, 32 ans.

Sur les 997 déportés, tous de sexe masculin, ont dénombre 4 Polonais, 1 Belge, 1 Anglais, 394 décédent dans les différents camps, 7 s’évaderont, 27 sont portés disparus, et 517 rentrent de déportation.

Le 18 juin 2015 est inauguré à Saint-Léon sur l'Isle un mémorial dédié aux 81 déportés des 22 communes de la vallée de l'Isle.


La Communauté de Communes Isle-Vern-Salembre et les Amis de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation de la Dordogne (AFMD), portent la réalisation du projet en partenariat avec le Souvenir français.

La stèle, fabriquée par l'entreprise locale Martenchard et installée en bordure de l'Isle, porte sur de lourdes plaques noires les noms des quatre-vingt-un déportés gravés en lettres d'or. Ils étaient communistes, résistants, juifs ou simples citoyens et ont connu l'enfer des camps. Certains en sont revenus, la plupart ont été condamnés par l'enfer concentrationnaire. Tous étaient originaires d' Annesse-et-Beaulieu, Beauronne, Chantérac, Coursac, Douzillac, Grignols, Jaure, La Chapelle-Gonaguet, Léguillac-de-l'Auche, Manzac-sur-Vern, Mensignac, Montrem, Neuvic, Razac-sur-l'Isle, Saint-Aquilin, Saint-Astier, Saint-Germain-du-Salembre, Saint-Jean-d'Ataux, Saint-Léon-sur-l'Isle, Saint-Séverin-d'Estissac, Sourzac, Vallereuil.

Parmi ces déportés, dix-huit étaient nés à Saint-Astier.



 http://www.monument-mauthausen.org/accueil.html

Neycenssas Pierre, nait le 11 novembre 1920 à Cours-de-Monségur - Gironde, meurt en déportation le 17 octobre 1944 à Melk (Autriche). Melk est localisé à environ 100 km de Lintz en Autriche. Le camp, environ 8000 prisonnier, fournit la main-d’œuvre pour la réalisation de plusieurs tunnels dans les collines composées de sable et de quartz.

Prisonniers : Informations fournies par l’autorité Allemande - Paris le 2 janvier 1941

Neycensas André - St Léon sur l’Isle 2ème Cl. 63ème Rt.

Neycensas Laurent - St Sulpice de Faleyrens 2ème C. 7.7 Ri.

Neyssensac Gaston, né le 1/11/1908 à St Laurent sur Manoire – 2ème cl - 22 Sim.








Les « oubliés » de Mers El Kébir - Oran (Algérie)


3 juillet 1940



Témoignage à bord du cuirassé Dunkerque

1939 - 1940

Par Maurice Neycensas






 Récit des évènements du 3 juillet 1940 par Maurice Neycensas, marin, second-maître canonnier à bord du cuirassé Dunkerque.


2° Extraits des conférences sur le drame de Mers El Kébir, présentées entre 2019 et 2020, par Monsieur Martial Lehir, ancien de la Royale, auteur avec Hervé Grall, historien et géographe de "La mémoire de Mers El Kébir de 1940 à nos jours".

 

3° Annexes - anecdote - extraits du journal de bord, au plus près des évènements, tenu quotidiennement à bord du Dunkerque par Maurice Neycensas - la presse d’époque - les décès à bord du Dunkerque.




Pierre Maurice Neycensas naît à Saint-Astier le 25 janvier 1917, fils d’Henri et de Germaine Royer.

Après quelque mois en qualité de stagiaire élève-maître à l’école de Saint-Médard de Mussidan, en octobre 1936, Maurice Neycensas est nommé instituteur stagiaire à l’école de Mussidan le 4 janvier 1937.


école de Mussidan - 1937

Le 1er septembre 1937, Maurice Neycensas devance l’appel. Il est incorporé « matelot sans spécialité de 2ème classe » au 5ème dépôt des équipages de la flotte à Toulon sous le matricule 528 - R - 37 en attente d’embarquement.




Etat des Services


Du 1er septembre 1937 au 4 octobre 1937 - présent au 5ème dépôt de Toulon

Du 5 octobre 1937 au 1er avril 1938 - cuirassé Paris - école de canonnage

Du 1er avril 1938 au 1er octobre 1938 - croiseur Foch

1er octobre 1938 au 12 juin 1939 - croiseur Tourville

19 juin 1939 au 29 juin 1940 - cuirassé Courbet

30 juin 1940 au 17 juillet 1940 - cuirassé Dunkerque


Le 1er avril 1938, Maurice Neycensas est promu « quartier-maître canonnier » à bord du cuirassé Paris, puis « second-maître canonnier » ou pointeur d’artillerie, le 1er avril 1939. (Annexe : le métier de canonnier).

Cuirassé Paris


Brevet Supérieur de Canonnier

Le 2 avril 1938, c’est à bord du croiseur Foch que

Maurice Neycensas perfectionne son apprentissage,


Croiseur Foch

Puis, du 1er octobre 1938 au 11 juin, sur le croiseur Tourville,


Croiseur Tourville

« Mardi 13 juin 1939, parti en permission Vendredi soir. En arrivant à Saint-Astier, je trouve un télégramme de rappeler. Permission brisée, désirs naissants refoulés, Laurent, les parents. Mais retour dimanche – lundi 19 je débarque au dépôt et c’est le Courbet et la promesse d’un assez joli voyage, Oran, Casablanca, Quiberon, cette perspective détruit une partie de mes regrets, revoir l’Afrique …. La Bretagne accueillante… » Extrait journal de bord sur le Courbet.

Le 19 juin affectation sur le cuirassé Courbet jusqu’au 29 juin 1939.

Cuirassé Courbet


Dernière affectation sur le cuirassé Dunkerque le 30 aout 1939.

Cuirassé Dunkerque

La durée du service militaire, dans les années 40, est de 2 années. Maurice Neycensas devait terminer son service militaire le 31 aout 1939 lorsque la mobilisation générale est décrétée, nous sommes le 1er septembre 1939.

Mobilisation générale du 1er septembre 1939

Maurice Neycensas est maintenu à bord du Dunkerque. Le cuirassé se destine à contrer les cuirassés de poche allemands, jusqu’au 3 juillet 1940, où il sera gravement endommagé par la flotte anglaise à Mers-el-Kébir en Algérie.

Nota : Mers El Kébir (département d'Oran) est un port depuis l'époque romaine. En 1937 le projet d'y implanter une base navale se dessine. Les travaux de construction débutent en 1937 et continuent jusqu'en 1945.

En 1939 la rade de Mers-El-Kébir est définitivement mise à la disposition exclusive de la Marine de guerre.

Après des réparations provisoires le Dunkerque rejoint Toulon par ses propres moyens et se saborde lors du coup de force allemand du 27 novembre 1942.

Le 16 juillet 1940 Maurice Neycensas est « renvoyé dans ses foyers » rue George Clemenceau à Saint-Astier.


Le cuirassé Dunkerque et la Force de Raid




Le cuirassé Dunkerque est lancé à Brest le 2 octobre 1935. D’une longueur de 215 mètres, d’une largeur de 31 mètres, il porte un équipage de 1 365 hommes et 66 officiers.

Cuirassé Dunkerque à Brest

Le cuirassé Dunkerque appartient, de septembre 1939 à avril 1940, à la Force de Raid qui opère dans l'océan Atlantique contre la marine de guerre allemande (Kriegsmarine). La Force de Raid est une unité navale française créée le 3 septembre 1939, basée à Brest jusqu’en 1940. Elle regroupait certains des plus modernes « capital-ship » de son époque, et était, depuis le début de la Seconde Guerre mondiale, sous le commandement du vice-amiral d'escadre Marcel Gensoul.

La Force de Raid a été dissoute après la bataille de Mers el-Kébir.

La zone de responsabilité de la Force de Raid était la zone à l'est de la ligne Ouessant-Açores et Cap-Vert. Début avril, elle passe en Méditerranée, en raison de la menace de guerre avec l'Italie, revient très vite à Brest au moment de l'attaque allemande en Norvège, et retourne fin avril en Méditerranée.




Escadre en mer

L'attaque britannique contre les navires de ligne de la Force de Raid basés à Mers el-Kébir, marque la fin de la Force de Raid en tant qu'unité opérationnelle de la Marine nationale française.


1er extrait des conférences présentées par Martial Lehir entre 2019 et 2020

Introduction

Les 1297 morts ou disparus de Mers el Kébir, les 350 blessés, les centaines de veuves et orphelins représentent une proportion infime au regard des millions de victimes du nazisme ou de celles des bombardements des villes anglaises, mais les morts d’Oran furent causées non par des ennemis mais par des compagnons d’armes, des alliés de la veille.


Mers El Kébir

Les 3 et 6 juillet 1940, la Royal Navy tua plus de marins que la Kriegsmarine durant toute de la guerre.

L’attaque de la flotte française hante encore les mémoires. La blessure dans le cœur des rescapés et des proches des marins disparus ne s’est jamais refermée. Assimilés à des vaincus, Vae-Victis, ils ont été traités comme les complices d’une défaite honteuse. Leur silence, interprété comme de la pudeur, n’était en fait que le résultat d’un véritable ostracisme à leur égard, et ce encore de nos jours. Il faisait revivre en eux les effets du terrible traumatisme qu’ils avaient subi pendant ce drame impensable.

Le sujet est resté longtemps un véritable tabou dénoncé en son temps par l’amiral Gensoul lorsqu’il rapporta, lors de sa déposition devant la commission Sablé, en mai 1946 : « Le souvenir de ces morts dérange tout le monde parce que l’événement échappe à la logique. Il est à part des tragédies de la guerre. Personne n’a intérêt à ce qu’on en parle de trop ».

Pourquoi les médias, vecteurs essentiels de l’information, susceptibles de toucher un large public, ne couvrirent pas l’évènement. Ce silence n’est pas anodin et a été volontairement entretenu entre 1945 et 1970, date de la mort du général de Gaulle. Un seul débat le 4 décembre 1979, aux Dossiers de l’écran se limitant à un affrontement franco-français.





Récit des événements de Mers El Kébir

Par Maurice Neycensas - 1992

« Le 30 juin 1939 suivant j’embarquai sur le « Dunkerque ».


Journal à bord du Dunkerque

Le vingt-deux octobre, ordre d’appareiller dans l’après-midi. J’écris en hâte à mes parents. C’est dimanche, une mini escadre formée du « Dunkerque », de deux croiseurs légers et de trois contre-torpilleurs, prend la mer à quatorze heures ».

 Communication

1) Le Dunkerque, avec escorte, appareille pour rejoindre et protéger un important convoi.

2) Un cuirassé de poche est signalé dans l’Atlantique.

3) Ennemis possibles : Deutschland et sous-marins.

4) Au retour discrétion absolue.

A environ deux mille kilomètres de nos côtes, après un parcours sans alerte notable, nous rejoignons un convoi de vingt-cinq cargos escortés de trois croiseurs anglais et de trois contre-torpilleurs, le tout représentant une force imposante. Nous sillonnons l’océan, tout autour du convoi, à vingt nœuds. Nos contre-torpilleurs, vrais lévriers, chassent les sous-marins qui ont vite compris et s’éloignent. Deux pétroliers anglais, signalés, sont vite pris en charge et amenés au sein du convoi. Retour sans encombre.


Escadre en mer

Un mois après, jour pour jour, ravitaillement complet. Ordre d’appareillage à dix-neuf heures trente, accompagné de deux croiseurs légers - « Montcalm » et « Georges Leygues » - et deux de nos plus rapides contre-torpilleurs – « Volta » et « Mogador ».

Proclamation : Nous sommes chargés, de concert avec la Home Fleet, de traquer le paquebot « Bremen » et le cuirassé « Deutschland » (toujours lui). La Marine est divisée en groupes d’exploration. Le cuirassé « Hood » est sous nos ordres. Ennemis : sous-marins et bateaux de surface.

Nous faisons route vers le nord. Le vingt-sept Novembre, nous sommes au nord de l’Irlande. Nous essuyons, dans ces mers inconnues pour nous, la tempête la plus terrible qu’ait connue le « Dunkerque ». C’est ce qu’ont dit les plus anciens. On dirait que l’horizon est à portée de main tellement le ciel de plomb est bas. L’océan démonté, sous un vent comme pris de démence, soulève des montagnes d’eau, creusant des abîmes de quinze mètres de profondeur où disparaît le « Hood », pourtant le plus gros des navires de guerre. 


Photo du Dunkerque prise du Hood

De mémoire de marin, c’était l’ouragan le plus dangereux jamais vu. Les croiseurs et les contre-torpilleurs étaient secoués comme fétus de paille et tout le monde tremblait pour son sort. C’était un spectacle d’une grandeur indescriptible et sans nul doute le plus effrayant qui soit pour ma jeune expérience de marin. Vous ne pouvez pas imaginer l’impression produite par une gîte de soixante degrés, lorsqu’on se trouve à quarante mètres de hauteur, dans la tour du Dunkerque. C’est tout simplement angoissant.

Quand il fallait prendre les repas, c’était tout autre chose. Plus de vent, mais des craquements prolongés et sinistres, le heurt brutal des vagues énormes brisant sur la coque, et une autre inquiétude nous prenait : on ne songeait plus au « Deutschland », mais à la capacité de résistance de notre maison d’acier soumise à des pressions colossales. La preuve, c’est qu’un secteur du premier pont s’est affaissé et il a fallu placer trois épontilles de soutien, l’infirmerie a été défoncée. Vraiment, personne n’était tranquille devant un tel déchaînement des éléments. J’ai beau chercher un mot qui puisse exprimer cette violence extrême, je n’en trouve pas ; je suis donc impuissant à vous faire partager les émotions qui naissaient de la colère du ciel et des eaux en furie.

A midi, notre bordée se rendait au mess pour un réconfort physique et peut-être moral. Les tables de roulis étaient mises et vous auriez ri si la situation n’avait pas été si préoccupante. Il arrivait que notre navire, après avoir plongé dans un abîme béant, se cabre en épousant la vague montante et certains plats, même calés, fuyaient à notre approche ; on les récupérait de justesse. Pas facile de se restaurer, pas facile non plus de boire dans de telles conditions, mais il le fallait absolument pour tenir le coup. Nous ressentions tous une immense fatigue.

Photo prise du cuirassé Dunkerque - mention au dos souvenir 1940

L’escadre n’avançait plus qu’à quatre ou cinq nœuds et le froid s’accentuait d’heure en heure. Le 28 nous dépassions la latitude des Shetland et retardions nos montres d’une heure. A 61 degrés de latitude Nord, nous abordions la limite des glaces flottantes, pays légendaire aux mers chargées de mystère, aux tempêtes effrayantes et longues, aux brumes opaques, régions inhumaines où se jouaient le sort des bateaux et des vies humaines, lieux au silence lourd et insupportable, aux flots perfides, qui alimentaient les légendes et, pourquoi pas, la poésie des récits de Pierre Loti. Ici, la nature entière vous paraît hostile et pour corser cette impression, il ne fait jamais jour. Les matins ressemblent aux crépuscules et vous noient dans leur grisaille lugubre.

Et notre tragique équipée s’est poursuivie sans résultat. Même lorsque les grandes houles ont remplacé la tempête, le pessimisme ne nous a pas quittés. Cinq heures de veille avec le casque sur les oreilles pour cinq heures de repos (si l’on peut dire). Et chaque jour monter là-haut sans transition, par un froid sibérien. Un peu de vertige, mal à la tête, grande lassitude et il faut redescendre sous les gifles du vent. J’avais quand même le courage de résister au sommeil et j’écrivais un mot sur mon journal, un mot pour mes parents sans nouvelles : « Je vous parle pourtant chaque jour et jamais ma pensée ne vous quitte ». J’ajoutais un peu plus loin : « Pour la première fois, depuis plus d’une semaine, j’ai assisté à un semblant d’aurore, à une naissance de jour sans gloire, sans éclat, le pauvre soleil n’arrivant pas à percer les brumes de la nuit », et cette note : « Plus de beurre, mais des patates et des conserves ». Le premier Décembre, sur le chemin du retour, lui aussi, sans gloire, le « Hood » nous quitta pour rejoindre l’Angleterre. Ainsi, tout au long de ce qu’on a appelé la bataille de l’Atlantique, nos deux marines ont toujours agi de concert et une grande fraternité d’armes s’était créée, aussi bien chez les officiers que chez les marins.

Communication : La mission du « Dunkerque » est terminée. « Deutschland » repoussé vers le Nord-Est. Retour à Brest.


Port de Brest - tournage du film Remorques en 1939

Le temps s’améliora progressivement et la douceur revint à mesure que nous nous rapprochions de nos côtes. Nous étions las, si las et nos jambes en flanelle qui réclamaient un grand moment de repos ! Pourtant, lorsque nous eûmes longé l’île d’Ouessant et que nous contournâmes la pointe Saint-Mathieu, un sourire béat éclaira tous les visages : Brest et la France nous accueillaient de nouveau. Le Dunkerque fut ramené à quai, dans l’enceinte de l’arsenal, pour des réparations rapides et, une fois de plus, nous comprîmes que Noël était à l’eau.

la pointe Saint-Mathieu

A peine une semaine de détente et nous voilà mobilisés pour une corvée de légumes très spéciale : sous forme de caissettes, nous embarquons pour cinq milliards de lingots d’or fin (100 tonnes).  

1er chargement d'or

Entre temps, je reçus une lettre de Suzanne me disant que maman allait assez bien après son opération d’un œil, mais qu’ils étaient souvent inquiets de mes longs silences. Je les avertis de mon nouveau départ. Sur mon journal : « J’ai eu le temps de lire deux romans de François Mauriac : « Les anges noirs » et « Thérèse Desqueyroux », pas de quoi rallumer la gaieté ; très intéressant cependant. »

Le douze Décembre 1939 : destination Halifax, au Canada.

Route vers le nord des Açores, avec le croiseur « Gloire » et les contre-torpilleurs Volta, Mogador, Triomphant, Indomptable, Vauquelin. Avec une escorte de cette trempe, nous ne risquions rien des sous-marins. Mer d’huile, temps splendide. Après quarante-huit heures de mer et environ 1 800 kms parcourus, nous continuons seuls avec l’unique « Gloire », la traversée de l’Atlantique.

Le 13 Décembre, on apprend que le cuirassé de poche allemand « Graf Spee » est intercepté par trois croiseurs anglais et que, touché sérieusement, il s’est réfugié dans la rade de Montevideo. Je me rappelle que la presse, trompée par les services allemands, révélait que le « Dunkerque » participait à la bataille navale. Folle inquiétude des parents. C’était faux.

Après une traversée de 7000 kms, vraiment sans histoire, nous arrivons le 17 en vue des côtes canadiennes.

Une chose m’a frappé : presque tout notre voyage s’est effectué par beau temps et surtout par une température idéale, ceci tant que l’océan s’abreuvait du Gulf Stream, courant tiède. Sans transition aucune, dans la nuit du 15 au 16 Décembre, le froid survint et le thermomètre afficha zéro degré. Nous venions de pénétrer dans la zone d’influence du courant froid venu du Labrador. Donc le 17 à dix heures, nous entrions dans le port d’Halifax, grand port regorgeant d’activité. De nombreux paquebots et un grand mouvement de cargos. Des quantités de bois en dépôt, des silos à grains avec de grands élévateurs.

La presse, une nouvelle fois et à dessein, pour abuser la population, annonce que le « Graf Spee » va sortir de Montevideo, attendu par le « Dunkerque » et « L’Arc Royal », porte-avions anglais. Ni l’un, ni l’autre de ces navires n’étaient sur les lieux, le « Dunkerque » se reposant à Halifax.

Le 18 nous avons appris que le « Graf Spee » s’était sabordé et que son commandant s’était fait sauter la cervelle.

Graf Spee

Le « Dunkerque », conduit à quai, s’empressa de se défaire de sa cargaison insolite et précieuse, sous l’étroite surveillance des nôtres et de la police canadienne.

Port d'Halifax

Des cinq jours passés à Halifax, je n’ai pas gardé un souvenir impérissable. Rien ici ne correspondait à l’idée qu’on peut se faire du Canada, surtout du Québec. En réalité, nous étions dans un port véritablement anglais, vivant au rythme de la vie anglaise. Pour s’amuser, on s’y est essayé. A seize heures, thé avec cake. A dix-huit heures, cinéma, à vingt et une heures, au restaurant, assiette anglaise.  

On ne comprenait pas grand-chose aux conversations, alors on lançait des vannes, on charriait la serveuse qui était sans doute ce que l’on avait vu de plus joli dans cette ville triste ; on pensait et on disait qu’elle était bien trop brune pour être anglaise. Par moments, elle souriait … A la fin du repas, elle prit son air le plus espiègle et nous gratifia d’un : « Messieurs les marins français, êtes-vous satisfaits ? Désirez-vous autre chose ? » Un peu moqués mais beaux perdants, nous répondîmes en chœur : « Un baiser ». Mutine, elle acquiesça gentiment et nous donna un baiser retentissant, au milieu des rires évidemment. Bien sûr, elle ne pouvait être que canadienne française et elle eut plaisir à causer un moment avec nous, ce qui lui manquait beaucoup.


Un autre soir, j’étais avec deux copains. Un canadien du cru, qui avait fait la guerre précédente - c’est ce qu’on a fini par comprendre - nous dit sa grande joie de revoir enfin des marins français et tint absolument à nous offrir un drink bien tassé (je crois qu’on dit un long drink). En vrais gentlemen, nous avons remis ça trois fois et l’ancien soldat canadien de la guerre 14-18 est parti content. On voyait bien qu’il avait chaud au cœur, après l’arrosage intempestif de cette rencontre sûrement mémorable.

Le troisième soir, nous avons eu le privilège de nous rendre au Forum, assister à deux rencontres de hockey sur glace. Là, je puis vous dire que nous avons partagé l’enthousiasme des spectateurs. Sport méconnu pour nous, il nous passionna par les qualités exigées : puissance, rapidité, adresse et souvent élégance dans les évolutions de patineurs virtuoses. Une ombre au tableau : des chocs un peu rudes qui frisent parfois la brutalité.


Que dire des environs ? Le pays m’a laissé une impression de tristesse. Sortis de la ville, nous avons vu des conifères et encore des conifères, quelques chemins défoncés avec des masures en bois misérables. C’était en 1939.

Le dernier jour, en bon touriste qui se respecte, j’ai acheté trois fanions aux armes d’Halifax et plusieurs broches dorées ornées de la feuille d’érable, symbole du Canada.

Le 22 décembre au matin, le ciel se couvrit jusqu’à devenir sombre et plombé et les premiers flocons se mirent à danser. En temps normal, je suis toujours heureux de saluer la première neige et bien, en ce moment, pas du tout ; mon attention est absorbée par une agitation insolite.

Port d'Halifax - départ des Paquebots

Alignés le long des quais, sept grands paquebots fument, signe d’un départ tout proche. Des camions militaires, bourrés de troupes, font un va et vient inhabituel, déposant leur précieux chargement sur le quai. J’entends des ordres brefs et je vois les soldats se grouper par sections, puis par compagnies ; ensuite, en file indienne, silencieusement, ils montent sur le paquebot qui leur est destiné. Les ponts des navires disparaissent sous ce chargement humain. Je vois tous ces canadiens, serrés les uns contre les autres, le cœur déchiré par une séparation brutale et pleine d’incertitude. Je sais maintenant qu’une grande partie d’entre eux ne reverra pas le sol natal.

En même temps, en grand nombre, des hommes, des femmes et des enfants, les uns un mouchoir à la main, les autres un petit drapeau canadien, envahissent les jetées, en silence. Sur les routes longeant la rade, des centaines de voitures sont arrêtées et leurs occupants s’alignent, formant une haie compacte et silencieuse. Ces milliers de personnes s’étaient donné rendez-vous ici, pour un au revoir ou pour un adieu bouleversant. Je ne voyais pas leurs visages, mais ce silence de mort m’indiquait qu’ils étaient tendus et je ne m’avancerais pas beaucoup en vous disant que tous ces gens, le cœur ravagé, pleuraient.


A 13 heures trente très précises, cinq destroyers appareillaient vivement et partaient en reconnaissance.


A 14 heures, le « Revenge », cuirassé britannique, lança un appel bref auquel répondirent les sirènes enrouées des paquebots ; tous les bateaux réitérèrent leurs appels déchirants et je vous assure que ce fut un moment pathétique pour les pauvres soldats, pour leurs parents et il faut bien le dire pour les équipages. J’en aurai vu des spectacles de toutes sortes dans ma sacrée vie de marin, mais de plus émouvant que celui-ci, non.

Au passage de chaque paquebot, les milliers de mouchoirs et de petits drapeaux s’agitaient éperdument et, dans une réponse muette et navrante, les soldats se décoiffaient et brandissaient leurs calots longtemps, longtemps, dans les flocons qui s’épaississaient peu à peu.

Ce départ prenait des allures d‘exode sublime ; l’angoisse gagnait tout le monde, angoisse qui devint insupportable lorsqu’au départ de chaque nouveau vaisseau, s’élevait le chœur lugubre et lancinant des klaxons d’autos. Mon émotion était à son comble et je peux bien avouer que mes derniers instants à Halifax furent d’une tristesse poignante. Mes yeux s’embuaient malgré moi ; je voyais bien que tous les soldats, en rang serrés sur tous les ponts, sur toutes les passerelles, fixaient désespérément leur terre aimée et les mouchoirs lointains qui fuyaient, fuyaient pour s’évanouir enfin dans la brume et la neige.


Départs pour l'Europe

Quand le « Dunkerque », resté le dernier, a quitté le quai, j’ai entendu l’appel ou l’adieu envoûtant des cornes et des klaxons, je l’ai entendu longtemps, longtemps comme une obsession sonore et pathétique qui ne pouvait se résigner à mourir. Si vous saviez comme je souhaitais à tous ces exilés, une traversée paisible et sans alertes. Mais l’océan a ses caprices et nul n’y peut rien. Le troisième jour, il commença à soulever les paquebots dans un mouvement lent et puissant de grande houle. Pauvres fantassins.

Dans l’après-midi du 24 décembre, le commandant souhaita un « Joyeux Noël » à l’équipage.

Journal de bord - Décembre 1939


Journal de bord  - Maurice Neycensas



Joyeux ? C’est un terme coutumier mais la vérité c’est que personne n’était heureux, surtout pas les canadiens serrés comme des sardines et sûrement secoués par le mal de mer. On n’aurait pas dit que c’était dimanche, plutôt un jour comme les autres, avec les veilles intermittentes, avec la fatigue, avec une mer qui se fâchait, sous un ciel bas d’où tombait sans relâche une neige mouvante. Ce ne sont pas de vagues souvenirs que je vous raconte, c’est, mon cœur à nu, ce que j’écrivais sur le vif, dans mon journal de bord.

Quand, le service terminé, je rejoignais le cœur du navire, dans les tranches où nous vivions ou au mess, l’atmosphère changeait du tout au tout : il faisait doux, les bâbordais nous cédaient la place et, à notre tour, nous nous laissions bercer par les chants connus, par des musiques tour à tour rythmées et nostalgiques que nous prodiguaient les radios de bord. On oubliait la fatigue, certains se mettaient à danser, d’autres, comme toujours, envoyaient des plaisanteries qui volaient souvent au ras des pâquerettes, mais qui avaient le don de dérider les plus endurcis. Et puis, nous étions sur le chemin du retour et déjà quelques bouffées d’espoir, secrètement, nous ravigotaient et chassaient le spleen. Nous n’étions plus qu’à cinq mille kilomètres de chez nous !

Le 24 avril 1940, après ravitaillement complet, toute l’escadre appareille. Route au sud.


Escadre en mer

Le 27, nous arrivons à Mers El Kébir. Le surlendemain, je reçus une lettre qui fit date dans mon année de guerre.


Port de Mers el Kébir

Jusqu’à ce jour, c’était maman qui, après avoir été ma fidèle accompagnatrice, était devenue ma correspondante attitrée. Durant deux ans et demi, ponctuelle, attentive à tous mes états d’âme, elle n’avait cessé de m’apporter, avec son amour et sa tendresse, toutes les nouvelles de la famille et aussi des bouffées d’air vivifiant du pays. Voilà que, décachetée, l’enveloppe me livrait une grande page avec l’écriture énergique et élégante de papa ; ma main trembla comme une feuille, oh ! pas de peur, mais d’une émotion venue de plus profond de mes entrailles.




Cher papa, il me parlait enfin et je retrouvai le frémissement de sa voix d’autrefois : « Avoir tant lutté pour la liberté et la justice, être au vingtième siècle et voir ce déferlement de haine qui peut nous conduire à l’esclavage, cela paraît impensable et pourtant … Maurice, pense à nous, pense à la liberté et surtout ne perds jamais courage, ne perds jamais espoir. Toi et moi savons bien qu’après la nuit, le jour se lève toujours et pourquoi pas un jour qui chantera ». Au lieu de s’apaiser, mon émotion croissait à la lecture de ma précieuse lettre (elle est tellement précieuse, qu’elle est toujours là, dans mon journal). Avec elle, il y avait un petit papier portant quelques mots de maman ; vous pensez bien qu’elle ne pouvait s’empêcher de me dire son affection : « Mon petit Maurice - Tu vois, papa a pu satisfaire ton envie d’avoir quelque chose de lui. Tout ce qu’il te dit lui tient tellement à cœur, son inquiétude à ton sujet, qu’il tient secrète, est tellement grande que je l’ai vu pleurer en écrivant sa lettre. Surtout n’en parle jamais. Tu sais, sous ses dehors un peu brusques, il est bon et très sensible ».

Ah ! Ces mamans : Ce sont des interprètes de première force, mais je suis sûr qu’elle avait oublié de me dire quelque chose, vous savez quoi ?

Que sur son petit papier il y avait des traces de larmes. Et moi, fier marin, qu’ai-je fait ? J’ai pleuré, par petits sanglots étouffés, comme un enfant tout chaviré par tant d’amour qui me submergeait. Ah ! J’oubliais, dans leur lettre à tous les deux, il y avait un brin de muguet au parfum évanescent et délicat, vrai message d’espoir ».


Echos de la Guerre




« Les matins de ce mois de mai à Mers El Kébir, étaient d’une troublante beauté. A l’horizon indécis, noyé dans un poudroiement de brume et de lumière à la Monnet, le soleil, tout rond, comme sans rayons, montait majestueux, enflammant l’orient, la mer prenant des tons moirés qui passaient du feu à l’orangé puis au rose, à mesure que le jour s’affirmait. La brise marine rendait la température agréable ; le ciel et la mer devenaient bleus, si bleus, si sereins que j’avais peine à imaginer que nous étions en guerre.

Et pourtant, nous y étions en plein. De tout le mois de mai, nous sommes restés comme coupés du monde, les autorités nous laissant dans l’ignorance la plus totale. Il n’y avait même pas eu de communiqué lorsque nous avons quitté Brest pour Mers El Kébir. Nous en étions réduits à faire des suppositions et, comme l’Italie commençait à se contorsionner et à rappeler son accord total avec l’Allemagne, nous pensions que notre présence ici était motivée par une entrée prochaine de l’Italie dans le conflit.

Heureusement, nous consultions la presse et j’ai retrouvé dans mon journal de nombreux articles de « L’Echo d’Oran » que j’avais découpés et une carte des opérations sur le front français où je notais jour après jour l’évolution de la situation militaire. L’inaction et le doute commençaient à peser sur les équipages.

Quelques articles de presse commençaient à parler de la drôle de guerre où il ne se passait rien et s’étonnaient de la passivité du commandement. Gamelin était alors chef d’état-major. Que faisaient nos troupes pendant que les allemands s’escrimaient à conquérir la Finlande et la Norvège ?  Pourquoi ne pas en profiter pour porter la guerre en territoire allemand avec l’appui de nos plus proches alliés ? Mais qu’attendions-nous donc ? Et bien, tout simplement, on attendait que les allemands victorieux se retournent contre nous, ce dont ils ne se sont pas privés. J’avais la carte sous les yeux. 


Le 10 mai, selon sa tactique déjà éprouvée, Hitler fonçait sur la Hollande, la Belgique et le Luxembourg et le 12 Mai, guerre oblige, il rompt le front français sur la Meuse. Le 14, l’armée allemande, irrésistible, défait notre armée à Sedan et par la brèche ainsi ouverte, lance ses divisions blindées en direction de l’Oise et de la Somme.


Dès ce moment, les évènements se précipitent. La Hollande s’incline. Le 18, Paul Reynaud, président vice-président du conseil. Le général Gamelin est remplacé par le général Weygand. Le 27, le roi des belges capitule sans condition, mettant nos armées du nord dans une situation désespérée. Nos troupes sont acculées à la mer et c’est l’épopée tragique du rembarquement anglais, puis français à Dunkerque.



Ce n’est pas une victoire, mais sauver plus de 200.000 anglais et plus de 100.000 français, sous un déluge inimaginable d’obus, de bombes et de mitraille, sous des vagues incessantes d’avions ennemis, constituait l’exploit le plus extraordinaire de la guerre.

(Maxime Weygand, Paul Baudouin, Paul Reynaud et Philippe Pétain en mai 1940)

En même temps, le front français cédait de toutes parts sous la pression des tanks et des avions allemands. Chaque jour nous apportait des désillusions nouvelles et, au doute, fit place un déchirement sans nom, né de notre impuissance manifeste et du désordre offert par notre gouvernement qui croyait faire face en changeant quelques têtes. Bien sûr, il appela De Gaulle au ministère de la guerre après son exploit d’Abbeville où il fît souffrir les allemands, mais il était déjà bien trop tard (5 juin). Les vieilles barbes comme Gamelin ou Pétain en étaient encore à la guerre de grand-père alors que, dès le départ, il nous eût fallu des militaires au fait de la guerre moderne. Le 10 juin, l’Italie ayant compris que la France était perdue, nous déclara la guerre. On parlait de « coup de poignard dans le dos », mais Mussolini qui croyait avoir toutes les chances de son côté, qui pensait récolter les fruits de la victoire sans combats, se trompa lourdement. En effet, dès le lendemain, le Canada, l’Union Sud-Africaine, l’Australie et la Nouvelle-Zélande lui déclaraient la guerre.


Ce mois de juin est l’une des plus atroces périodes de notre histoire. Aucun tourment n’est épargné à notre peuple qui, fuyant devant les hordes nazies, reflue vers Paris, troupes misérables de réfugiés que mitraillent les avions allemands. Le pire se produit quand le gouvernement quitte paris pour Tours. La population, affolée, se lance sur les routes et c’est l’exode lamentable, surtout pour les plus nombreux qui vont à pied, souvent des femmes traînant leurs enfants. Ils vont vers le sud, véritable marée humaine, ignorant que beaucoup d’entre eux seront rattrapés par les allemands.



Le 12 juin, Paris est déclarée ville ouverte et le 14, les allemands y font leurs entrées triomphales. Le gouvernement s’installe à Bordeaux.

Pour nous qui étions là, à attendre et à nous morfondre, alors que notre plus cher désir aurait été d’en découdre avec la marine italienne, perdre Paris était un drame et les mauvaises nouvelles se succédant à la même vitesse que les panzers allemands avançaient, nous étions pris par l’angoisse, vraiment perdus. Que ma famille et que la France puisse tomber sous la coupe d’Hitler me brisait l’âme. Si vous saviez comme dans ces moments de désespoir passager, ma famille qui était ma vraie patrie, se confondait avec l’autre, la grande et comme je les unissais dans le même amour immense et déchirant parce que, brusquement, j’avais peur de les perdre.


(Le 21 juin 1940, Ribbentrop, Keitel (de profil), Göring, Hess, Hitler, Raeder (caché par Hitler) et Brauchitsch, devant le wagon de l'Armistice)

C’était incroyable de voir à quelle allure avançaient les troupes allemandes. Je vis bientôt sur ma carte, c’était le 20 juin, que la France avait perdu la moitié de son territoire. Notre impuissance n’était plus de l’impuissance, c’était la déroute ; les allemands se promenaient littéralement. La presse nous préparait déjà à l’armistice. Il fut signé avec Hitler le 22 juin, avec le chacal le 24. Le triste couple Laval-Pétain venait de réaliser son noir dessein. Le vieillard pleurnicha : « Je hais les mensonges qui vous ont fait tant de mal », en fait de mensonge, il qualifiait l’armistice d’acceptable pour la France alors qu’en réalité il la livrait à l’ennemi, avec un nombre incalculable de prisonniers. A ce moment-là, on ne savait pas encore qu’il y en avait près de deux millions. Nous étions abasourdis.


Et nous, à Mers El Kébir, sans avoir pu en découdre avec les italiens, nous nous demandions bien quel allait être notre sort. Il se murmurait quand même, sous le manteau, qu’un certain De Gaulle avait abandonné son poste de sous-secrétaire d’Etat pour regagner Londres où, le 18 juin, il avait lancé un appel à relever la tête pour effacer la honte acceptée par Pétain.

Moi je pensais à Robert mon frère, à Marcel mon beau-frère, à Robert mon ami d’Eymet, et à tous mes camarades. Qu’étaient-ils devenus ? Etaient-ils vivants, ou prisonniers, ou marchaient-ils, sans chef, vers leurs familles ?

La force de raid (c’est notre escadre) restera donc momentanément à Mers El Kébir, en attendant de se soumettre aux conditions de l’armistice qui, aussitôt, inquiétèrent les anglais. Qu’allait devenir notre flotte, belle et quasi intacte ? Ce fût un tourment pour les anglais qui craignaient la mainmise des allemands sur elle.


L’attente continua. J’ai lu quelque part, qu’une fois l’armistice signé, les recrutés ne songeaient qu’à se faire démobiliser, arguant que la guerre était finie pour eux. Personnellement, je n’ai pas constaté cet état d’esprit sur le « Dunkerque », du moins chez les quelques Sous-Off. Que nous étions et qui se demandaient souvent pourquoi nous ne rejoignions pas les anglais ».

« Hélas, nous ne les avons pas rejoints ».





L’enfer de Mers El Kébir


« En effet, nous sommes restés dans notre souricière, car la rade de Mers El Kébir en était une. Bien protégée du côté terre par les contreforts du Djebel Santon et par quelques forts, elle était trop largement ouverte du côté mer, et on la jugeait indéfendable face à une autre attaque venue du large.

Seule, une digue inachevée était juste assez longue pour abriter, s’il l’on peut dire, notre escadre. Ajoutez à cela que les forts de Mers-El-Kébir et du Santon ne disposaient que d’une artillerie hors du temps et inefficace, à côté des canons modernes à très longue portée des bâtiments de guerre. D’ailleurs une escadre au mouillage est toujours une cible de choix pour des navires ennemis. Distants d’une centaine de mètres les uns des autres, dans l’ordre : « Dunkerque », « Provence », « Strasbourg », « Bretagne » et « Commandant Teste », ces bâtiments étaient mouillés, l’arrière à la jetée, pour faciliter l’appareillage, mais l’artillerie pointée vers la terre, d’où grosses difficultés d’utilisation.



Les contre-torpilleurs : Volta, Mogador, Terrible, Lynx, Tigre et Quersaint, étaient ancrés vers le port Saint-André. La rade était protégée par des filets anti-sous-marins et la passe par des mines magnétiques, ce qui ne facilitait pas la circulation. Pour finir, il faut dire qu’au point de vue artillerie, nous étions largement surclassés : les cuirassés anglais disposaient de canons de 380 dont les obus perforaient facilement nos blindages trop faibles. Le « Dunkerque » et « Le Strasbourg », avec leurs 330, n’avaient qu’un atout : leur vitesse et donc leur mobilité qui les rendait compétitifs seulement en cas de combat naval en haute mer ».


Mon poème commençait ainsi




C’était le trois Juillet, devant Mers El Kébir.

Une aurore tranquille aux couleurs de l’Afrique

Eveillait doucement l’escadre pacifique.

C’était le trois Juillet, ô brûlant souvenir !

Sous le soleil d’Oranie, dans ce dernier matin,

Dieu qu’elle était belle notre flotte au mouillage !

Son image en nos cœurs reste comme un mirage,

Mirage d’orgueil et d’adieu pour les marins.


« C’est vrai qu’elle était belle notre escadre, c’est vrai que les matins étaient délicieux sous le soleil d’Oranie, c’est vrai que la mer s’éveillait doucement presque en silence, soyeuse, reflétant comme un vrai miroir toutes les lueurs de l’aube, du bleu profond au bleu pastel et, tout là-bas, à l’horizon, tous les roses de la brume marine. Chaque matin était un enchantement, surtout lorsque j’étais là-haut, sur la grande tour et que la brise à peine fraîche venait caresser mon visage. Chacun se disait : aujourd’hui, il va faire très chaud.


Donc, c’était le 3 Juillet. Le soleil commençait à peine à poindre quand, de la brume matinale émergèrent les silhouettes des imposants cuirassés de la « Home Fleet ». Peu à peu, la visibilité s’améliorant, c’est toute une armada qui apparut et notamment le « Hood », le plus gros bâtiment de guerre de l’époque, dont l‘image nous était familière puisqu’il fut notre partenaire et ami tout au long de la bataille de l’Atlantique ; deux autres cuirassés le suivaient, puis un porte-avions, le tout encadré par des croiseurs et de n ombreux torpilleurs. Un fol espoir vola, sublime, sur tous les navires. On allait appareiller, continuer la guerre avec les anglais, sans doute Hitler avait-il enfreint l’armistice. Hélas, nos amis les anglais pointaient leur artillerie sur l’escadre française, hélas, ils étaient chargés de la mission la plus ingrate qui soit : détruire notre flotte, si l’amiral Gensoul refusait les termes de l’ultimatum. Et pourtant, nous savons tous que les officiers et les marins anglais étaient nos camarades de guerre, nous savions tous qu’ils étaient contre cette intervention honteuse. Jusqu’à l’armistice, sur chaque bâtiment important, il y avait un officier de liaison anglais, et des liens très étroits s’étaient tissés entre eux et les nôtres. Mais voilà, chez eux, comme chez nous, la discipline est inflexible et la marine britannique est tenue d’obéir à son chef de gouvernement : Churchill ».




Pour mémoire, voici, à peu près résumés, les termes de l’ultimatum :


1 - Rejoignez-nous jusqu’à la victoire finale.

2 - Conduisez vos navires avec équipage réduit dans un port des Antilles ou aux Etats-Unis.

3 - Sabordez-vous sur place.


« Gensoul ne peut que répondre et répéter : « Jamais les allemands ne prendront nos bateaux, nous les saborderons avant ».  Dialogue de sourds. Churchill et son état-major ont peur que notre flotte soit, d’une façon ou d’une autre, utilisée par Hitler. On saura plus tard que l’armistice prévoyait justement le retour du « Dunkerque » et du « Strasbourg » à Toulon où ils seraient désarmés (?). On saura aussi, toujours plus tard car on apprend beaucoup de détails mais plus tard, que l’amiral Gensoul n’arrivait pas à se mettre en rapport avec son chef naturel Darlan, ministre de la marine. Avouez que c’est un comble, dans des circonstances aussi dramatiques de ne pas avoir l’avis du grand patron.

Alors Gensoul n’avait qu’une idée, faire durer les pourparlers pour que l’escadre soit prête à appareiller et gagner du temps pour essayer d’avoir des ordres de son chef.

A quoi bon épiloguer. Les dés étaient jetés, pourtant, je vous répète que jusqu’au dernier moment les officiers ont cru qu’il s’agissait d’un moyen de pression mais que jamais, au grand jamais, les britanniques s’abaisseraient à ce forfait monstrueux.


Alors commença pour nous tous, le jour le plus long mais surtout le plus dramatique de toute la guerre.

On a vu arriver le destroyer « Foxhound » avec, à son bord, le commandant Holland chargé de parlementer avec l’amiral Gensoul. Il n’est pas huit heures. D’interminables pourparlers ont lieu mais l’amiral français reste ferme.


Des deux côtés, on sait à quoi s’en tenir. Juste avant neuf heures, un signal du « Dunkerque » à toute l’escadre : « Prendre les dispositions de combat et allumer tous les feux » (Mettre toutes les machines en chauffe). Pendant ce temps, un avion du porte-avions « Arc Royal » observe tranquillement ce qui se passe à l’intérieur de la rade. Interdiction de tirer sur lui. L’amiral de la « Home-fleet » comprenant qu’aucune solution n’est en vue et prévenu que les bateaux français ont mis leurs machines sous pression, envoie ses avions bloquer la passe avec des mines magnétiques qui provoquent de grandes gerbes en tombant dans l’eau. Et toujours interdiction de tirer, ce qui énerve les marins.

Moi, je suis là-haut avec le capitaine et les servants de télémétrie. Ne recevant toujours aucun ordre, on regarde et je vous assure que de notre perchoir on voit tout ce qui se passe. L’escadre britannique effectue des allers et retours, se protégeant parfois de notre vue, derrière le cap Kébir. Elle a l’air de nous narguer pendant que, rongés par l’attente interminable, nous faisons encore des suppositions, toutes plus folles les unes que les autres : et si on partait avec eux, et si on appareillait tout de suite, et si on descendait ces mouchards d’avions insolents qui renseignent le chef de l’escadre anglaise.  Mais non, il ne fallait pas tirer ! On se croyait revenu aux temps héroïques de la bataille de Fontenoy où le maréchal de Saxe invitait les anglais à tirer les premiers.

Les minutes, les heures s’égrenèrent avec une lenteur désespérante et pleine d’interrogations alarmantes. On sentait une inquiétude sourde nous envahir, insidieusement, créant en nous comme un état second que nous ne contrôlions plus à cause de l’usure d nos nerfs. Maintenant, nous savions que l’amiral Gensoul, à contrecœur, était déterminé à répondre à la force par la force. Toutes les cheminées des navires laissaient échapper les panaches de fumée caractéristiques du proche appareillage.

A 17 heures 55, au moment où le soleil commençait à décliner, l’escadre anglaise lança sa première salve.


Quatre colonnes d’eau gigantesques, propulsées par une force incroyable, jaillirent de la mer à une hauteur de 100 mètres et retombèrent en une trombe assourdissante, à près de quatre-vingts mètres de la digue où nous étions amarrés. Là, sans rien dire, nous avons mesuré la terrible efficacité des obus de 380, plus grands qu’un homme et pesant près de 900 kg, et imaginé l’ampleur des dégâts qu’ils pourraient occasionner en faisant mouche. Pas le temps de respirer que déjà la deuxième salve s’écrasait sur la jetée, provoquant une déflagration énorme avec jets puissants de blocs de béton et d’une nuée de pierres qui tombent comme grêle sur les navires, blessant les marins occupés à larguer les amarres.

Pris dans la souricière, nous savions que la troisième salve et les suivantes nous encadreraient et qu’il y aurait des coups au but.

Le « Dunkerque » et le « Provence », malgré leur mauvaise position, entrent dans la danse. A partir de cet instant, ce fut l’apocalypse. Le vacarme devint terrifiant.


Les tourelles de 330 vomissaient le feu dans un fracas épouvantable. Le « Dunkerque » était secoué de frissons convulsifs et son énorme carcasse métallique, du haut en bas, vibrait à chaque salve tirée. La fumée sortait de chaque bouche et montait, se mêlant à celle des cheminées. A un moment donné, des sifflements stridents vrillèrent nos oreilles, finissant de nous accabler. Nous avons su plus tard que ce bruit insolite indiquait le passage des obus du « Provence » qui volaient à un mètre à peine de notre télépointeur. Frayeur rétrospective.

Tout le monde, la peur au ventre, attendait et espérait l’appareillage, car nous savions bien qu’ici, chaque seconde représentait beaucoup de vies humaines.


Alors que les officiers du « Strasbourg » avaient tout prévu, tout préparé, et manœuvraient en maîtres avant que l’orage se déchaîne, c’est sur le bateau amiral que l’appareillage « déconne », c’est le seul mot qui convient. Rivalité de commandement, mauvaise préparation, ce qu’il y a de sûr c’est que les obus anglais pleuvaient de tous côtés et, lorsqu’enfin le « Dunkerque » fut libéré de ses entraves, il était déjà trop tard.


Je ne sais plus vous dire dans quel état d’esprit nous avons vécu ces dernières minutes fatidiques, la mort dans l’âme bien sûr, mais dans l’enfer de   bruit, de feu, de sang, le « Dunkerque » reçut coup-sur-coup, quatre obus de 380. A cet instant où notre sort se jouait, nous qui étions là-haut et voyions tout, nous avons senti venir la mort et, dans une inspiration fulgurante, image violente et d’une précision hallucinante, maman, papa, et tous les miens ont défilé dans ma pauvre cervelle ; était-ce un adieu ou en appel ? Sur le moment, mon cœur ravagé opta pour la séparation définitive. J’avais mal, mes yeux étaient secs, désespérément secs et toujours ces gerbes affolantes qui montaient deux fois plus haut que notre tour. Le troisième obus avait atteint le flanc tribord et l’incendie se déclara, faisant probablement exploser des munitions et dégageant une fumée suffocante qui se répandit jusqu’aux machines. A voir cette fumée très noire, on savait que l’huile brûlait et donc que le système qui commande la manœuvre de tous les panneaux et portes blindées était neutralisé. Combien de marins étaient prisonniers dans ces pièges à rats où tout était brûlant, l’acier du sol et des cloisons et l’air qu’ils respiraient ?


Le quatrième coup au but mit le « Dunkerque » K.O. Une soute à mazout crevée, incendie immédiat et, à nouveau, des morts et des brûlés. Nous étions là, témoins muets, témoins hébétés d’un tel désastre. Le capitaine, chef du télépointeur II, était blême et une immense tristesse voilait son regard de chien battu. Il se sentait aussi inutile qu’un chacun et nous avions la même pensée angoissée dans notre désarroi commun : plaindre tous ceux qui vivaient encore au cœur du navire, vrai monde souterrain, dans des compartiments étanches. Plus de lumière, plus de pression d’huile, donc impossibilité de manœuvrer les panneaux, murés vivants, sort terrible, mort atroce.


Et la rade enragée qui croule et se soulève sous les obus, qui jaillit avec les gerbes d’eau, qui hurle du tonnerre des explosions internes, qui gémit de la rumeur horrible et du cri des brûlés sur tous les bateaux touchés. Le « Provence » coule et s’échoue, comme le « Dunkerque ». Le « Bretagne » essaie de déplacer ses 28.000 tonnes, pendant que le « Strasbourg », intelligent manœuvre royalement, évitant ainsi l’impact d’un obus de 380 qui soulève une colonne d’eau à ne pas y croire, juste à l’endroit qu’il venait de quitter. J’ai vu, fait extraordinaire, la hampe du drapeau qui flottait à l’arrière, sectionnée probablement par l’obus ; c’est vous dire à quoi tenait le sort d’un bateau, à une fraction de seconde. Le « Strasbourg » partait, majestueux. Il était sauvé.

Photo prise du Dunkerque

Le Provence au premier plan, le Strasbourg en train d’appareiller sur la droite, et le Bretagne en feu, touché à la poupe Le « Bretagne », trop lent, prit un premier obus meurtrier qui mit le feu aux soutes des deux grosses tourelles et c’était l’explosion énorme des poudres et déjà le bâtiment semblait s’enfoncer dans les eaux. Un deuxième, aussi implacable que le premier, explosa probablement dans la chambre des machines et nous voyions l’incendie se généraliser, tandis qu’une colonne de feu, de fumée noire et de vapeur s’élevait encore plus haut que les gerbes d’eau.

C’était titanesque, déchirant. Des témoins, sur le « Commandant Teste », voisin du « Bretagne », diront que, pendant que l’incendie et les explosions internes faisaient rage, des corps humains déchiquetés étaient projetés en l’air, avec des débris de toute sorte. Spectacle hallucinant. Le cuirassé prend de la gîte à tribord. Son salut, enfin le salut de ce qui en restait, aurait été qu’il s’échoue, mais il était encore en eau profonde et, comble de malheur, tandis qu’il coulait par l’arrière, deux obus, juste avant le « Cessez le feu », le frappaient en plein milieu. Une explosion d’une force inouïe, un nouveau jaillissement de flammes qui crevait le ciel, un bruit strident de vapeur libérée et le « Bretagne », vrai martyr, s’enfonça inexorablement, la gîte croissant en même temps. La chaleur était insupportable, vite à l’eau ! Hélas, la moitié, sinon plus, des marins ne savaient pas nager (quelle hérésie !)  Et avec le mazout en plus, que de cris à vous glacer la moelle, que de noyés ! La gîte dépassant le point d’équilibre, l’énorme bâtiment, entraîné par le poids de ses superstructures, tourna sur lui-même et coula en quelques secondes, entraînant les derniers survivants dans un gigantesque remous et un bouillonnement de fin du monde. Du bon vieux cuirassé, seule la quille émergeait, oui la quille, rien que la quille, à pleurer toutes les larmes de son corps.


Au moment où j’écris ces lignes un sanglot, malgré moi me secoue, et je pleure tout seul. Rien ne peut effacer cette vision poignante, ni les jours, ni les mois, ni les années. Cela fait maintenant cinquante-trois ans. C’était hier, c’est toujours hier, et toute ma vie j’ai traîné cette image lugubre et bouleversante. Je ne le dis à personne et, rançon implacable d’un souvenir gravé dans ma chair, elle ne s’éteindra jamais. Alors oui, criez-le : « Quelle connerie la guerre ! ». Moi qui, à dix-sept ans rêvait d’une mort propre, j’étais servi.

Songez que la canonnade n’a duré que dix minutes, même si nous avions eu l’impression de vivre un drame plus long que l’éternité, songez qu’au moins deux cents obus ont labouré la rade jusqu’à en faire une forêt de gerbes gigantesques, mêlée à des incendies coupés d’explosions meurtrières, songez qu’une dizaine seulement de coups au but ont suffi pour mettre hors de combat trois cuirassés et un contre-torpilleur qui avait comme nom « Mogador ». Seuls, le « Strasbourg », notre frère jumeau, et les lévriers de la mer ont réussi à quitter la rade et nous avons compris que les anglais n’avaient aucun intérêt à les affronter. Ces miraculés ont réussi à rejoindre Toulon, mais pour quel destin ?

Mogador

Cependant, les secours s’organisaient, tandis que le mazout continuait à envahir une partie de la rade. Le silence, qui paraissait presque anormal après la canonnade, n’était plus troublé que par les gémissements des matelots et officiers qui essayaient de nager ou qui barbotaient désespérément dans la glu noire. Des dizaines d’embarcations, celles des pêcheurs du port de St André et celles du miraculé « Commandant Teste », récupéraient le maximum de ces gars tous noirs et tous gluants qui suffoquaient pour avoir avalé du mazout. Transportés dans les hôpitaux d’Oran, beaucoup mourront en cours de transport ou les jours suivants.


Après, lorsque nous sommes descendus sur le pont, les équipes de sécurité s’escrimaient à soulever les panneaux blindés. Il y avait déjà, alignés sur la plage avant, des cadavres qu’ils avaient réussi à sortir des entrailles du navire. Je vous assure que ce n’étaient pas des cadavres ordinaires, plutôt des squelettes habillés de parchemin gris, ou des morts mutilés dans leur chair. Tout de suite, j’ai pensé au pauvre Le Bouris, magasinier, seul, tout seul dans son réduit hermétique. Son corps, tout gris lui aussi, était collé à l’acier du sol, encore brûlant. Et ceux qui, enfermés dans leur cercueil de métal, avaient essayé en vain de sortir et qu’on a retrouvés, comme une grappe de désespoir, accrochés et soudés les uns aux autres sur les marches de l’échelle qui, espéraient-ils, les conduiraient vers la lumière et le salut. Atroce, atroce !

Le soir, jusqu’à huit heures où fut donné l’ordre d’évacuer le navire, je suis resté là, nous sommes restés là, prostrés, les yeux secs, les yeux chavirés au point que nous n’osions plus nous regarder. Avant de quitter le bord, j’ai vu pour la dernière fois la quille du « Bretagne » et j’ai pensé à la détresse, à la souffrance sans borne, du jeune de Mussidan qui, un jour, était venu à l’école avec sa mère me demander de lui donner des leçons pour lui permettre d’entrer à l’école des apprentis mécaniciens de la marine, à St Mandrier. Je l’avais fait avec joie ; c’était un enfant doux et attachant. Je ne savais pas alors que je serais marin, je ne savais pas que je serais le témoin impuissant de la fin de son propre navire et surtout de la sienne, puisqu’en tant que mécano, il était resté prisonnier de son cercueil de ferraille. Il n’avait pas dix-huit ans. Pauvre gosse, pauvre maman, pauvre de moi !


Rassemblés sur le quai, nous avons assisté à des scènes insolites, plutôt chargées d’émotion explosive. Quelques-uns, très choqués, le visage hagard, perdus dans leurs rêves fous, allaient et venaient comme bêtes en cage, muets, absents. D’autres retrouvaient leurs copains, moi c’était le grand Morvan, et c’étaient des gestes désordonnés, des embrassades sans nom, vous savez des embrassades d’après cataclysme, tellement violentes qu’elles se terminaient par des sanglots ou des crises de nerfs. Manquait mon brave ami Herrebrecht, le petit horloger, qui avait sauté avec sa tourelle. Vous voyez bien que le monde était fou et cette odeur écœurante de mazout et de mort (il fait très chaud) qui ne vous lâchait pas. Pourquoi étions-nous vivants ? Grâce à Dieu disait les uns. Mais à la question : pourquoi tant de morts ? Il n’y avait plus de Dieu et c’était la faute à pas de chance.


Les officiers nous divisèrent en plusieurs groupes ; les plus nombreux furent parqués, comme du bétail, sur des paquebots dont le « Champollion ». J’ai su plus tard qu’ils s’étaient rebellés devant un tel état de fait et que certains, redoutant une nouvelle attaque, s’étaient réfugiés dans la montagne ou même chez l’habitant. Les derniers groupes furent dispersés dans différentes écoles de la ville. Moi, j’ai échoué à l’école Jules Ferry.  Parfois, le hasard ou le destin est favorable. En effet, j’eus vite fait de connaître Madame Clément, originaire de l’Ariège, directrice, qui comme son nom l’indique, était une femme merveilleuse et des plus gentilles.

En même temps, je fis la connaissance de sa fille Lucette. Témoin attentif de mon désarroi et, comme une mère au grand cœur dont je serais devenu le grand fils, elle s’était mise à mon entière disposition et d’abord, le plus pressé et le plus important : prévenir mes parents qui devaient mourir d’angoisse. Toutes les deux, durant une douzaine de jours, ont essayé d’atténuer ma peine en m’entourant d’une véritable et merveilleuse sollicitude, faite de douceur et d’affection. Pour finir de nouer et de corser nos relations, et me trouvant dans un état de réceptivité presque maladif, il se trouva que Lucette était jolie et si tendre avec moi que je croulais sous une avalanche de sentiments réconfortants et troublants.

Cependant, le lendemain de notre évacuation, comme nous l’avions décidé la veille, Morvan vint me rejoindre et, tous les deux, nous nous rendîmes à l’hôpital d’Oran dont je ne me souviens plus du nom. D’autres marins, comme nous, effectuèrent le même et douloureux pèlerinage. Nous avons croisé dans les couloirs des êtres qui erraient comme des âmes arrachées à notre pauvre monde.

l’hôpital d’Oran

D’abord, nous avons retrouvé des copains presque méconnaissables, le visage tuméfié et sanguinolent ; ils gémissaient le plus doucement possible, interminablement, et nous deux, raides comme des cierges, incapables de prononcer un mot, nous cherchions leur main pendante pour la serrer, signe de sympathie impuissant et dérisoire. Vraiment cet hôpital résumait à lui seul toutes les souffrances de la guerre et tous les maux de la terre. En arrivant aux « mazoutés », nous avons failli craquer. C’était l’antichambre de la mort, avec ces visages révulsés qui révélaient l’énorme difficulté à respirer de ces pauvres créatures et ces efforts pour déglutir qui torturaient leur pauvre corps. Une mousse grise remontait sans cesse à leurs lèvres. Beaucoup étaient près de l’asphyxie. Tous ceux qui avaient ingurgité trop de mazout, et malgré tous les soins assidus du personnel hospitalier, mourront au cours de la nuit suivante.


Le cœur douloureux, très émus, nous avons terminé notre voyage aux enfers, par la visite des brûlés. Nous sommes entrés dans le domaine le plus inhumain, le plus horrible aussi. Après le spectacle de la veille qui nous avait déjà ébranlés, entendre à nouveau cette plainte multiple et déchirante qui montait de tous les lits - supplications désespérées, cris, hurlements bouleversants - était propre à vous rendre fou. Il y avait des brûlés à cent pour cent dont la peau se détachait par pans entiers et qui ne vivraient plus bien longtemps. Tous ces corps à vif ne supportaient aucun contact. Pour eux, à la nudité brûlante, pour eux dont les bras étaient attachés verticalement dans une attitude lamentable de prière, où était le bon Dieu ? Oh ! Ces visages horriblement dénaturés, ces regards d’épouvante qui vous glaçaient jusqu’aux os !

Morvan et moi, complètement démolis, n’avons su que pleurer à la sortie de l’hôpital ; nos yeux, nos pauvres yeux avaient vu tant d’horreur, nos cœurs avaient tant souffert, que tout notre être semblait détruit à jamais. Sous le soleil implacable d’Oranie, nous sommes rentrés chacun dans notre école. Sur le moment, j’ai été incapable de donner des nouvelles de nos pauvres blessés à madame Clément et à Lucette. Elles ont respecté mon émoi. « Vous savez, Maurice, car elle m’appelait Maurice, à l’heure qu’il est, votre famille doit savoir que vous êtes sain et sauf ». Chère femme, elle savait bien que mon amour pour mes parents était encore le meilleur réconfort, la chose à laquelle on s’accroche toujours en dernier ressort. Et nous avons causé un long moment, moi de ma famille, elles de monsieur Clément, officier dans la coloniale. Nous avons bu l’apéritif. Lucette m’a raccompagné. Nous descendions le grand escalier, côte à côte, nos mains se sont frôlées puis, allez savoir pourquoi et comment, elles se sont données l’une à l’autre puis se sont nouées. A l’avant dernière marche, nous nous sommes arrêtés et c’est là, précisément, que son regard, à la fois naïf et pénétrant, m’a enveloppé d’une grande tendresse et, le croiriez-vous, nos lèvres se sont jointes dans un fervent baiser. Lorsqu’on s’est quittés, elle était pâle et avait l’air « toute chose », comme si son innocente candeur s’étonnait brusquement de notre hardiesse à tous les deux. Ainsi, elle était ravissante. Très émue et un peu perdue, elle remonta l’escalier précipitamment, comme si son nouveau secret lui brûlait le cœur.

Ce soir-là, le souvenir des morts, le regard terrifiant des brûlés et leurs cris, mes parents rassurés et, pour finir, Lucette et ce baiser imprévu, cela faisait tellement de choses, tellement d’émotions à la fois, que ma pauvre tête et mon pauvre cœur n’en pouvaient plus. Je ne savais plus ce qui m’arrivait. Je n’avais qu’une certitude : j’étais vivant, mais j’étais fatigué, fatigué. Cet état de délabrement, surtout mental, dura plus d’une semaine. De voir que les camarades étaient dans la même situation de fragilité que moi ne m’apportait aucun réconfort. Pourtant, j’avais été heureux dans la marine, c’était mon souhait. Je me suis aperçu que c’était pire qu’ailleurs. Quand je pense au gars du « Bretagne » et du « Dunkerque » qui sont morts murés vivants, je me dis : à terre, ils auraient pu se déplacer et respirer, respirer. Moi, là-haut, je respirais mais, même inutile chacun devait rester à son poste et attendre le pruneau qui le faucherait. Discipline oblige. Quand enfin, est venu le moment de réfléchir, j’ai pensé et j’ai dit : « J’essaie de comprendre Churchill, mais jamais je ne pardonnerai ce massacre ».


Ce qui est vraiment lamentable dans cette histoire, c’est que la plus grosse partie de notre belle flotte, au lieu de servir l’honneur du pays, rejoindra Toulon - les anglais avaient vu juste - où elle se sabordera. Flotte inutile !

Il faut quand même parler du bilan de ce tragique épisode de guerre. Si plus de deux cents obus ont été tirés, seuls dix d’entre eux ont touché leurs cibles, coulant le « Bretagne » et mettant hors de combat le « Dunkerque », le « Provence » et le contre-torpilleur « Mogador ».

Il y eut 1.299 morts, dont 1.012 pour le pauvre « Bretagne », 210 pour le « Dunkerque », 38 pour le « Mogador », 5 pour le « Strasbourg », 3 pour le « Provence » et une trentaine pour les patrouilleurs. Reste le mystère, ou le miracle diront certains, du « Commandant Teste », le seul bateau sans blindage, bourré d’essence pour avions et de munitions, criblé de pierres et d’éclats, mais sorti indemne du combat, avec aucun blessé. A croire qu’il était hors de la cible visée par les anglais.


Les conséquences politiques de ce drame furent d’une grande importance. Mers El Kébir et son deuil ne profitèrent qu’aux ennemis de la République et au tandem Laval-Pétain, en premier lieu. Celui-ci eut beau jeu de fulminer contre les anglais et leur lâcheté. La propagande et la radio matraquaient les français avec des slogans qui faisaient apparaître la Grande Bretagne comme notre pire ennemie. Cet événement a fait basculer les indécis et les déçus dans le camp de Vichy. Même Darlan, qui n’était pas anti-anglais au départ, na pardonnera jamais ce crime et se rangera aux côtés des collaborateurs. En somme, les allemands en ont tiré profit ».




L’après Mers El Kébir


« Pendant treize jours exactement, j’ai eu le privilège de vivre avec mes deux amies, la mère et la fille, des moments inoubliables de compréhension et de réconfort. Chaque matin et chaque après-midi, j’étais enveloppé d’une atmosphère vraiment familiale. Je ne sais plus comment était née cette sympathie instinctive qui, dès le premier moment, dès le premier regard, avait créé des liens profonds et d’une rare qualité. Dois-je dire que Lucette avait pour moi les yeux de Chimène et que nos regards exprimaient sans doute plus qu’une grande amitié. Je crois bien qu’elle m’aimait. Moi, si près de la quitter, j’étais tiraillé entre notre idylle naissante et l’émotion que me promettait ma libération prochaine.

Le seize Juillet en effet, je reçus la plus précieuse des feuilles de déplacement qui avait valeur d’ordre de démobilisation. Elle portait la date d’Oran et ce mot : « Embarque à bord du paquebot « Sidi-Bel-Abbès » à destination de Marseille. Se rend à St-Astier, rue Clemenceau. Voyage gratuitement. Ne rallie pas ».


La séparation et les adieux, malgré la promesse de se revoir en France, furent des plus attendrissants et je vis bien que Lucette, après un baiser amical, baissait les yeux pour cacher une larme. Elle sentait que mon émotion, bien que sincère, en appelait une autre peut-être plus grande encore et qui, après les dernières épreuves, me poussait irrésistiblement vers d’autres regards, vers d’autres étreintes : là-bas, il y avait l’appel lancinant des miens.

Et le « Sidi-Bel-Abbès » nous a pris, passagers et marins, dans le soir serein qui glissait sur la mer si douce, si bleue. Nous étions pourtant heureux de partir, mais quand la côte africaine s’est évanouie dans la brume, comme dans un songe, une grande tristesse a voilé nos regards. Nous savions bien qu’au pied du Djebel, nos frères d’armes, nos amis reposaient dans le cimetière de Mers El Kébir, je savais bien que le « Bretagne » dormait avec ses marins engloutis, et puis il y avait ces deux femmes au cœur d’or qui m’avaient accueilli sans arrière-pensée.



Mais déjà, avec la mer qui berce les âmes et atténue les peines, j’entendais les marins chanter, certains avec fureur ou avec passion, comme pour conjurer le sort et essayer d’oublier hier pour ne penser qu’à demain et à la bienvenue de leur terre et de leur famille. Ni pour eux, ni pour moi, il n’était question de sommeil, l’énervement sans doute, une tension extrême, car voyez-vous, le drame vécu par nous tous laissa des traces profondes et durables. Je ne me sentais bien que sur le pont et nous étions nombreux, accoudés à la lisse, aspirant l’air de la nuit enfin rafraîchi, regardant la traînée argentée qui s’ouvrait puis se refermait sur le paquebot, perdus dans des rêves apaisants. Le lendemain matin, avec un vent qui forcissait et malgré le grand soleil, la Méditerranée, toujours imprévisible, se mit dans la tête d’éprouver la résistance des passagers. La houle, ample et régulière, se jouait du « Sidi-Bel-Abbès » qui se mit à épouser les moindres mouvements de la mer.


Vers onze heures, une descente à la salle à manger où le couvert était déjà mis, me révéla qu’une grande partie des voyageurs était prise de malaise. Le mal de mer faisait des ravages et je vis des femmes et leurs enfants cramponnés aux lavabos, essayant de se soulager, parfois en vain. Le repas n’en fut pas moins servi à l’heure dite et la moitié des tables restèrent désespérément vides, ce qui permit aux marins de s’approprier des rations supplémentaires de « pinard » qui s’évacuèrent progressivement en chansons et en plaisanteries. Plaisirs dérisoires, sans doute, mais qui montraient la fragilité de tous ces êtres à la recherche de leur sérénité. Je ne les juge pas, j’étais avec eux.

Gare de Bordeaux - 1940

Au petit matin, fatigué mais souriant, je grimpai dans le premier train, via Bordeaux. Il faisait très beau, un bel été de France, et le bercement du wagon, peu à peu, finit d’alourdir mes paupières derrière lesquelles défilaient, en un mélange étonnant, des paysages africains avec des plages blondes ou des déserts arides et des coins de fraîche verdure où coulait ma rivière ensorceleuse. Là-bas, au bout d’un horizon inaccessible, Lucette se baignait dans une mer idéale et moi, je faisais la planche en eau douce, sous les ombres mouvantes des vergnes.

Les heures se mariaient aux heures et, pour moi, s’écoulaient dans une somnolence à éclipses. A mesure que le soir poussait le soleil vers le couchant, mon énergie refaisait surface et déjà les noms familiers, liés à des paysages bien connus, éclataient à mes oreilles et à mes yeux redevenus attentifs : Montpon, Mussidan, Neuvic et puis, brusquement, Saint-Astier.

Gare de Saint-Astier en 1940

C’était une fin de jour radieuse, avec mon cœur qui battait à tout rompre, et puis personne ne savait que j’étais si près de la maison, et puis c’était dimanche, le jour où, autrefois, on se retrouvait tous réunis. Ce moment de mon entrée chez nous, m’a laissé un souvenir impérissable. Une surprise, trop brutale sans doute, un émoi poignant, des regards incrédules et une maman dans mes bras, bouleversée par l’émotion, muette d’une joie douloureuse à cause d’un bonheur trop grand, que seules les larmes apaisent doucement. Papa à son tour m’étreint, d’une étreinte d’homme, puissante et nerveuse, comme pour me transmettre, à travers elle, tout son amour trop souvent resté sous-entendu. Ils sont tous là, mon frère Robert et Marcel, mon beau-frère venu de l’est, oublié par les allemands qui ne savaient plus que faire des prisonniers, et mes sœurs en proie à un trouble profond. Ce fut une soirée comme je n’en connaîtrai jamais d’autre, où l’amour chantait à coups de larmes, de sourires et de bonheur indicible.

J’étais crevé et comblé. Des instants comme ceux-là et vous vous dites que la vie, malgré tout, vaut la peine d’être vécue. Nous avons parlé, parlé, moi toujours nerveusement. Marcel, qui était dans les groupes de reconnaissance, avait hérité de la croix de guerre, moi aussi d’ailleurs, avec médaille de bronze s’il vous plaît et avec une citation élogieuse à l’ordre de la Marine nationale et de la nation. Je ne m’en suis jamais vanté. La porter ou s’en glorifier me paraissait d’un goût fort douteux ; je pensais même que cela aurait été déplacé. Tout de même, ces anglais abhorrés de tous, étaient les seuls à combattre encore et à s’opposer au déferlement des hordes nazies. Pour tout dire, je n’étais pas fier de ma décoration, sans doute par simple honnêteté et parce qu’au fond de moi-même, je jugeais qu’elle avait été acquise sans mérite particulier. Curieusement, notre « ennemi », lui, se battait héroïquement pour sa liberté…  Et pour la nôtre.

Quand les draps reçurent enfin mon corps éprouvé par tant de veilles, leur fraîcheur douce et propre m’enveloppa d’un bien-être sans pareil, vous savez ce bien-être divin qu’on n’éprouve qu’une ou deux fois dans toute une vie, surtout lorsque le baiser tremblant d’une maman le précède, invite maternelle à la paix et au repos bienfaisant. Dans ma tête, un instant, se bousculèrent des souvenirs et des pensées contradictoires, mais le sommeil tant désiré finit quand même par s’imposer.

Le calme de la maison et celui de ma campagne, mes visites chez Jean et Louise, les promenades à pied ou à vélo dans mes bois retrouvés, les soirées près des miens, constituèrent la meilleure des médecines pour remonter la pente dépressive où les évènements m’avaient conduit. Il paraît que je suis resté quelques mois à utiliser un langage un peu trop « fleuri », réminiscence de la vie de marin sans doute ».


2ème extrait des conférences présentées par Martial Lehir entre 2019 et 2020

Développement des évènements

L’ultimatum Britannique


1 Appareiller avec nous et continuer à combattre pour la victoire.

2 Appareiller pour un port Britannique sous notre contrôle.

3 Appareiller avec nous avec équipages réduits pour un port Français des Antilles.

Si vous refuser ces offres équitables je devrai avec un profond regret vous sommer de couler vos bâtiments dans les 6 heures.

Si aucune de ces propositions n’est acceptée, j’ai ordre d’employer la force nécessaire pour empêcher vos bâtiments de tomber entre les mains Allemandes ou Italiennes.

Le 3 juillet, Churchill lance l’opération Catapult sur un argument invérifiable, le risque « d’une flotte française qui allait être saisie par les allemands », Le mythe est si ancré dans la mémoire française qu’il perdure chez ceux qui n’hésitèrent pas à parler de « la flotte qui allait rejoindre les allemands ».

Près de 80 ans après l’opération Catapult, une question lancinante se pose, à laquelle nous n’avons encore aujourd’hui aucune réponse satisfaisante et exempte de toute polémique : pouvait-on éviter ce drame ? Il est donc primordial, impératif, de poursuivre avec détermination et persévérance ce devoir de mémoire, afin de compenser une désinformation toujours présente « Nos morts ne doivent pas entrer dans l’Histoire par la petite porte » a inlassablement répété Madame Grall, première présidente de l’Association.



Cette conférence a pour objet de briser les tabous émotionnels, historiques grâce à de nombreuses recherches du côté français et anglais, de décrire les mécanismes politiques et humains qui ont entouré ce drame. Il n’existe pas une seule vérité mais des vérités que je vais m’efforcer de vous exposer.

Juin 1940, un tournant décisif - repères historiques.

Winston Churchill, 65ans, succède à Chamberlain, le 10 mai. Le corps expéditionnaire britannique quitte définitivement la France, fin mai Roosevelt, aux Etats-Unis prépare sa troisième réélection.

En France, le président du Conseil est Paul Reynaud, proche de Churchill et d’Anthony Eden, il préside un parlement où partisans de la paix (Pétain et les amis de Laval) et ceux pour la poursuite de la guerre (Mandel, Campinchi et de Gaulle, nommé sous-secrétaire d’état à la défense et à la guerre le 5 juin) s’affrontent. Weygand remplace Gamelin comme chef des Armées et Darlan, C.E.M en 1937.

A bord des bâtiments, est accroché, le portrait du président Albert Lebrun. Le gouvernement est en partance pour Bordeaux. La IIIe République n’est pas abolie, elle le sera le 10 juillet lorsque les pleins pouvoirs seront donnés à Pétain pour modifier la constitution de 1875 et créer l’Etat Français de sinistre mémoire. C’est à partir de cette date que naissent le régime de Vichy et le début de la collaboration qui sera scellée par la poignée de main de Pétain à Hitler, lors de leur entrevue à Montoire-Sur-Loir, le 24 octobre 1940.

Le renouveau de la flotte

Pour nos concitoyens, la mer était affaire de spécialistes et d’hommes de métier, ce qui explique la présence de nombreux bretons constituant l’essentiel des équipages.

L’élan de cette rénovation, on le doit à l’impulsion de 2 ministres de la Marine remarquables : Georges Leygues, ministre de 11 cabinets entre 1925 et 1933 et François Pietri de 1934 à 1936, malgré des circonstances économiques défavorables et des crises ministérielles à répétition. Ces ministres travaillèrent en étroite liaison avec l’EM de la Marine et en particulier les amiraux Salaün, Violette et Durand-Viel et enfin Darlan qui eurent la même continuité de vues.

A la veille de la guerre, cette Marine est la 4ème au monde derrière l’Angleterre, les Etats-Unis et le Japon et devant l’Italie.

Avant l’armistice, on peut noter les opérations navales coordonnées lors de patrouilles et d’escortes avec la Royal Navy en Atlantique Nord, au sud d’Islande et en Atlantique Sud.

La flotte convoitée.

10 Juin 1940

Le War Office est obnubilé par l’idée que les bâtiments français ne viennent renforcer les forces de l’Axe, qui pourraient avoir ainsi le contrôle en Atlantique et Méditerranée. Si la Royal Navy en disposait, elle accentuerait sa supériorité maritime tout en éliminant une menace potentielle adverse Churchill ordonne dès que possible le contrôle des navires de commerce français qui seront dirigés le 18 juin vers les ports anglais.

L’Italie entre dans le conflit contre la France.

12 juin 1940

La bataille de France vire au désastre. Paul Reynaud demande à Weygand de capituler. Refus de ce dernier qui ne veut pas être tenu comme le seul responsable de la défaite et propose d’envisager l’armistice : convention qui est une négociation politique, ratifiée entre les états concernés mettant fin aux hostilités.

La capitulation est un acte militaire de reddition imputable au chef militaire Le territoire est alors livré au contrôle intégral de l’ennemi ce qui signifie saisie de toutes les armes y compris de la Flotte. Il est surprenant de constater que hier comme aujourd’hui, des historiens, les médias, de Gaulle lui-même n’ont cessé de parler de capitulation et non d’armistice. Pourquoi ?

15 juin Départ vers Bordeaux L’obsession de Darlan est alors de sauver la flotte. Il fait accélérer les préparatifs d’appareillage.

16 juin 1940

Bordeaux, Reynaud démissionne, le président Lebrun fait appel à Pétain. A Londres, de Gaulle à Churchill « La Flotte ne sera jamais livrée, d’ailleurs, c’est le fief de Darlan, un féodal ne livre pas son fief. Pétain, lui-même n’y consentirait pas ».



Darlan devient ministre de la Marine. En siégeant au conseil des ministres, il ne veut laisser à personne le soin de discuter des problèmes maritimes dans le cadre d’une future convention.

Lors du Conseil des ministres, le 16 juin 1940. De gauche à droite, Maxime Weygand, Paul Baudouin, Paul Reynaud et le maréchal Pétain. Photo Keystone France

17 juin 1940

L’attitude de Darlan, ministre, évolue, en parfait politicien il admet le bien-fondé de l’armistice Message dans la soirée du 17 juin : « Repli flotte en Angleterre devenant de moins en moins probable, prévoir repli colonial ».

Revanchard, Churchill ne pardonnera jamais à Darlan de ne pas avoir tenu la promesse faite, le 15 juin, de diriger le Jean-Bart et le Richelieu vers les ports anglais et il ajoutera « Avant le 18 juin, Darlan songeait à passer sa Flotte dans le camp anglais, dans les jours suivants, devenu ministre, il n’en est plus question. Connaissant les conditions d’armistice, il aurait changé d’avis ».

Les 17 et 18 juin, le porte-avion Ark-Royal, le cuirassé Hood et neuf destroyers placés sous les ordres du vice-amiral Wells appareillent pour Gibraltar, donc avant la signature de l’armistice, ce qui démontre la préméditation de Churchill…. C’est cette escadre qui prendra par la suite le nom de Force H et qui interviendra à Mers-el-Kébir.

Dans la nuit du 17 juin, message de Darlan aux amiraux Nord et Ouest :« Ne laissez aucun bâtiment tomber intact aux mains de l’ennemi ». Darlan se trouve conforté par la position du gouvernement qui, à l’unanimité, se prononce « contre la remise d’un bâtiment quelconque à l’Allemagne ou à l’Italie quelles que puissent- être les conséquences de ce refus ».

18 Juin - appel du général de Gaulle

18 Juin L’exode naval.

A la veille de la prise des ports par les Allemands, l’amiral de Laborde, qui commande à Brest, réussit à faire évacuer en 10 heures, 86 bâtiments de guerre dont le cuirassé Richelieu et 76 navires de commerce. Même départ précipité de Lorient, Cherbourg ou Bordeaux sans oublier le Jean Bart, autre cuirassé, en cours d’achèvement, qui fait une évacuation extraordinaire de St Nazaire. 19 000 marins et militaires de l’Armée de terre, 2500 hommes et passagers de la Marine marchande s’échappent ainsi auxquels il convient d’ajouter des centaines de pêcheurs.

Aux Antilles, sont mouillés le porte-avions Béarn et les croiseurs légers Emile Bertin et Jeanne d’Arc.

Le cuirassé Richelieu se dirige vers Dakar. Le cuirassé Jean Bart arrive à Casablanca.

La Force X de l’amiral Godfroy stationne à Alexandrie. Des sous-marins sont à Beyrouth.

La Force du Raid de l’amiral Gensoul est à Mers-el-Kébir.

Les croiseurs des divisions Bourragué et Marquis, sont basés à Alger.

L’escadre à Toulon, est prête à appareiller. La Flotte est répartie entre Toulon, Alexandrie, Dakar, Oran, Alger et les ports anglais.

Cette activité intense n’échappe qu’à un seul homme : Churchill qui, n’hésita pas à affirmer « Aucun navire français ne bougea pour se mettre hors de portée de la puissance allemande qui se déployait rapidement, donc la Marine a abandonné ses navires à l’ennemi ».

20 juin 1940

Darlan retrouve Lord Lloyd et Sir Alexander, il leur confirme ses propos de la veille « Je vous donne ma parole d’honneur que la Flotte française ne sera jamais livrée et qu’elle sera plutôt détruite que de subir une infamie » Les émissaires britanniques quittent la France.  A son retour, Sir Alexander, très proche de Churchill, déclare dans son rapport qu’il lui remet « Je n’ai pas confiance en la parole de Darlan, la meilleure place de la Flotte française est au fond ».

22 juin 1940

Les conditions de la convention d’armistice sont connues. Le texte de l’Article 8 concerne la Marine, il stipule « La flotte française   devra être démobilisée sous le contrôle de l’Allemagne ou respectivement de l’Italie dans les ports d’attache de ces navires ». Ainsi, la Force de Raid serait contrôlée à Brest, son port d’attache.



Darlan, aussitôt, refuse le texte en l’état et menace de reprendre la lutte. A l’amiral Le Luc, en partance pour Rethondes, il déclare « De toute façon, vous pouvez signer n’importe quoi, je n’exécuterai rien qui porterait atteinte à la flotte ».

De Gaulle à la BBC annonce prématurément la livraison de la flotte « Il résulte de ces conditions d’armistice que les forces françaises de terre, de mer, de l’air, seraient livrées ».  D’où tenait-il ses informations alors que les modalités de la convention d’armistice ne seront signées qu’à 19 heures, donc, après son intervention.

19 h - Le général Huntziger signe dans le célèbre wagon de Rethondes l’armistice franco-allemand.

Les navires de commerce français reçoivent aussitôt l’ordre d’appareiller d’Angleterre, ils se heurtent à un embargo britannique. « Tout trafic est suspendu par suite de mines dans le chenal, le port est donc fermé ».

Réactions à la signature de l’armistice.

Darlan semble satisfait du déroulement des négociations mais, il s’entoure de précautions.

Message du 24 juin, dernier alinéa « Précautions secrètes d’auto- sabordage doivent être prises pour ennemi ou étranger s’emparant d’un bâtiment ne puisse s’en servir ». Contrairement au message du 28 mai, ces mesures impliquent ‘’tout étranger ‘’donc aussi les Anglais. Darlan est méfiant car il n’ignore pas que Churchill orchestre un ballet diplomatique en Afrique du Nord entrepris par son amirauté appelant la flotte française à la dissidence.

Amirauté à tous les bâtiments : « Débarquez immédiatement les officiers de liaison britanniques. Retirez des navires britanniques notre personnel de liaison. Se méfier d’attaques possibles ».

30 juin - Darlan est rassuré par la Commission qui livre à Wiesbaden ses conclusions : La notion de port d’attache est supprimée donc la flotte française demeure stationnée dans des ports hors de portée des Forces de l’Axe.

De Gaulle 24 Juin, à la BBC, « Il est certain que Darlan n’irait pas de lui-même céder son propre bien aux Allemands. La Marine, aussi longtemps qu’il en disposerait, il préfèrerait saborder ses vaisseaux ».

Cependant, dès l’entrée en vigueur de l’armistice, le 25 juin, il déclare « Cet armistice est déshonorant. Notre flotte, nos avions, nos chars, à livrer intacts à l’ennemi pour que l’adversaire puisse s’en servir contre nous ». On mesure les conséquences de tels propos chez un Churchill qui, dans l’ombre, se prépare à frapper son allié.

De Gaulle devient un atout pour lui : l’a-t-il indirectement piégé ou s’est-il servi de lui en sachant que celui-ci n’avait pas le choix ? Sans le savoir, il apporte la caution française à la préparation de l’opération Catapult. Churchill s’empresse aussitôt de l’adouber et il le légitime officiellement « You are the right man in the right place » « Vous êtes tout seul, je vous reconnais tout seul » ajoute-t-il.

Si de Gaulle n’a pas eu connaissance des projets de Churchill, sa détermination à la veille du drame, le 2 juillet, a de quoi surprendre. Ainsi, il suggère à Spears, éminence grise de Churchill, de faire cesser d’urgence l’activité de la Mission Navale Française « contraire à sa cause » et de procéder au débarquement « de la partie des états- majors et des équipages des bâtiments de guerre français présents dans les eaux britanniques qui ne l’ont pas rallié  » Le soir à la BBC, il s’enflamme et évoque les glorieux morts de la Marine« Duquesne, Tourville, Suffren, Courbet, Guépratte n’auraient jamais consenti à mettre à la discrétion de l’ennemi une flotte intacte » Entre le 20 juin et le 3 juillet, politique oblige, il provoqua un véritable malaise chez les marins qui étaient en Angleterre. Ils auraient compris qu’un militaire réserve la virulence de ses interventions à l’adversaire allemand. Ils ne retinrent qu’un appel à la désobéissance assortie d’une critique à l’égard des institutions. Désenchantés, ils préférèrent regagner en majorité la France, l’été 1940.

Hitler : Sa stratégie est parfaitement définie : la France battue, il signait une paix de compromis avec Halifax et ses partisans. Est-ce pour cette raison qu’il arrêta ses chars devant Dunkerque ? Le 21 mai, il confie au général Halder « qu’il est sur le point nouer des contacts avec la Grande-Bretagne » Le Führer avait déjà le regard fixé vers l’Est. Au procès de Nuremberg ses généraux affirmèrent qu’Hitler, en mai 1940, avait commis sa première erreur stratégique et une lourde faute en accordant l’armistice à la France Le maréchal Keitel précisera « L’Histoire aurait été différente si le Führer n’avait pas laissé à la France sa Marine ».

2 Juillet 1940 - Grâce à des codes anglais qu’ils possédaient, les Allemands eurent connaissance de départ de la Force H pour Mers el Kébir mais ils se gardèrent d’en avertir les autorités françaises.

En juillet 1940, l’Allemagne n’avait préparé aucune stratégie vis-à-vis de la Flotte. Elle fut élaborée en décembre et définie dans le plan Attila. Cette opération sera rebaptisée Anton, le 11 novembre 1942 et déclenchée le 26 sous le nom de Lila L’objectif était de s’emparer de l’escadre de Toulon ce qui conduisit à son sabordage, le 27 novembre.

1942 Sabordage de la flotte à Toulon

En Grande-Bretagne L’Amirauté anglaise, les 24, 25, 26 juin, est réservée. Elle est favorable à une neutralisation, en aucun cas, elle ne préconise une action « musclée » Elle est persuadée que les consignes de Darlan seront exécutées. Le Cabinet de Guerre, en l’absence de Churchill se range aux avis de l’amirauté, il peut constater que les navires français, en dehors de ceux de Toulon, sont à la mer, outre-mer, hors de la portée directe des Allemands. Il admet le principe d’un désarmement dans les ports coloniaux.


Churchill Dans la première quinzaine de juin, il incite la France à poursuivre la lutte, cherchant ainsi à retarder l’échéance. Mais pourquoi, refuse- t-il lors de sa première entrevue avec de Gaulle à Londres le 9 juin, tout nouveau concours à la France ? « J’étais venu demander aux Anglais leur aviation de chasse. Ils me l’ont refusée » confirmera de Gaulle.

Churchill s’est opposé dans un premier temps, par tous les moyens à l’idée d’armistice. Puis il l’admet parce que l’armistice est signe de pause dans le conflit, une sorte de trêve dont il veut tirer profit. La défaite de la France étant inscrite, il a besoin de gagner du temps pour continuer à réorganiser la défense de son pays.

Cette signature est aussi une opportunité car il lui faut emporter la décision de son Cabinet et de son Amirauté et réussir à les convaincre qu’en signant l’armistice, la France a basculé dans le camp adverse   Elle peut donc encourir une sanction qu’il envisage dès le 23 juin Il s’investit lui-même du pouvoir de décider de celle-ci et il s’octroie surtout le droit de prononcer la sentence.

Le 24 juin - à l’occasion d’une réunion du Cabinet de Guerre il laisse entendre à ses ministres et amiraux abasourdis que l’ouverture d’un conflit entre la France et la Grande-Bretagne est envisageable à tout moment.

Le 27 juin - Churchill campe sur ses positions malgré toutes ses tentatives d’appel à la dissidence à Bizerte, Oran, Casablanca et Dakar qui ont échoué.

Seuls, Sir Alexander et Dudley Pound, fidèles de Churchill sont conviés au sein d’un Cabinet de guerre : le Naval Staff sous la férule de Churchill qui planche sur un plan d’action : c’est l’opération Catapult. Parfaitement orchestrée en cinq séquences dispersées géographiquement mais synchronisées, elle ne vise pas seulement les bâtiments des ports de Mers-el-Kébir, d’Alexandrie, de Dakar, de Casablanca, des Antilles mais aussi ceux réfugiés en Grande- Bretagne.

28 juin - Churchill demande au Sous-comité de Planification, une appréciation sur l’opération Catapult. Dans le même temps, il rappelle l’amiral Somerville en semi- retraite et il lui confie le commandement de la future Force H sans lui préciser son ordre de mission.

29 juin - La conclusion du rapport ne manque pas d’intérêt : « Nous ne considérons pas que la destruction des navires de Mers- el-Kébir soit justifiée ». L’amirauté anglaise, en effet, ne pouvait remettre en cause la bonne foi de Darlan, aucun soupçon de traîtrise ne pesait sur lui.

C’est un désaveu pour Churchill qui aussitôt s’empresse de récuser ce rapport et demande au Sous-Comité de revoir sa copie pour le 30. Sans attendre, il s’adresse aux commandants en chef des trois armes sur lesquels il exerçait une influence notable. Ces derniers concluent : « En résumé, du point de vue militaire, l’opération Catapult devrait être engagée le plus tôt possible ».

30 juin - En l’espace de 24 heures, 2 autorités différentes du même pays émettent des avis entièrement opposés. Churchill retient naturellement le second, plus favorable à son projet.

Mais surtout, d’autres raisons plus importantes animent Churchill.  Intérieures Il doit retourner son opinion publique qui ne l’a guère ménagé par le passé. Il doit faire face à ses nombreux détracteurs et impérativement asseoir son autorité au sein du gouvernement britannique en imposant définitivement le silence au camp de la paix, « les Appeasers », dont le chef de file, Lord Halifax, son ministre des Affaires Etrangères, est loin de partager ses idées. Celui-ci paraît, en effet, tenté par les offres de paix séparée avec l’Allemagne, allant même jusqu’à des contacts informels avec l’Allemagne et l’Italie par l’intermédiaire de l’Ambassade de Suède.

Extérieures Juin 1940, Roosevelt est inquiet dans la mesure où la sécurité nationale dépendait du maintien de la Royal Navy qui contrôlait l’Océan Atlantique permettant aux Etats-Unis de consacrer leur force navale à la défense de l’Océan Pacifique.

Churchill avait besoin pour cela d’obtenir l’aide américaine pour pallier une flotte vieillissante Les archives de Washington confirment que Mers-el-Kébir était un acte plus politique que militaire destiné à convaincre Roosevelt que la Grande-Bretagne était bien décidée à continuer la guerre. Un mois après le drame, la Royal Navy recevait 50 destroyers.

Telles sont les vraies raisons de cette tragédie. Mers-el-Kébir s’intégrait dans la grande politique menée par Churchill. Jugement de l’historien anglais J-D Brown « Il cherchait à l’évidence à obtenir un satisfecit personnel aux yeux de l’opinion britannique et mondiale. Grâce à Mers-el-Kébir, il s’attribuait ainsi un immense succès de prestige lui faisant oublier ses déboires passés ».

Arc-bouté dans sa logique, intransigeant, Churchill s’apprêtait à frapper « sa seconde patrie » comme il aimait à le rappeler : l’opération Catapult

30 juin - Gibraltar

Somerville découvre son ordre de mission. L’idée de frapper un allié lui est insupportable d’autant qu’il est conforté dans ce sentiment lorsque qu’il fait part de sa mission à l’amiral North, Cdt à Gibraltar.

Ce dernier est outré lorsqu’il décachette l’enveloppe qui lui est destinée. Il s’écrie « Qui a eu cette fichue idée ? » ; « Churchill » répond Somerville. North biffe en rouge le titre sur la chemise pour le remplacer par « No Catapult but Boomerang » Il ajoute : « Cette opération nous met en danger ».

A bord du Hood, Somerville retrouve North, Wells, Holland et les autres commandants de la force H. Il leur dévoile les objectifs assignés. Atterrés, ses subordonnés protestent : « Comment oser tirer sur des alliés abattus et humiliés ! ». De son côté North tempête : « Winnie (surnom de Churchill) est folle. Je vois ce qu’il veut mais c’est une solution criminelle » et il interpelle aussitôt son amirauté à Londres qui lui renvoie une réponse cinglante « L’amirauté désapprouve ces commentaires sur une politique qui a été décidée au vu des facteurs connus ou inconnus d’officiers sur le terrain ». 

Somerville reste ébranlé, ce même jour, il apprend qu’à Alexandrie, Cunningham se refuse lui aussi à recourir à la force Devant les réserves de Somerville, Dudley Pound cherche à le rassurer : « En présence de la Force H, les Français en plein désarroi accepteront les demandes britanniques. La force ne sera donc pas utilisée ». Churchill est moins conciliant et plus catégorique. A sa demande, Pound envoie un message à Somerville : « Vous êtes chargé de l’une des missions les plus désagréables et les plus difficiles qu’un amiral britannique ait eue à remplir, nous avons toute confiance en vous et comptons que vous l’exécuterez rigoureusement ».

Ces propos permettent de mesurer le fossé entre la politique navale suivie à Londres et imposée par Churchill et les amiraux responsables de son exécution en Méditerranée.

2 Juillet à 4 h 10

Le dernier message de l’amirauté est sans appel, c’est une fin de non-recevoir à Somerville « Le lancement de l’opération est fixé au 3 juillet et impérativement, celle-ci doit être terminée avant la nuit ».

15 h - La Force H appareille de Gibraltar La machine infernale anglaise était en route, l’opération enclenchée, le 27 juin, par un Churchill résolu, marquait le premier engagement britannique contre la France depuis 125 ans.

A l’aube du 3 juillet, les événements se précipitent à Mers-el-Kébir, alors que la Force H de Somerville arrive au large d’Oran.

5 h 20 - sémaphore du cap Falcon et les timoniers du Dunkerque sont alertés par des messages, émis en Scott qui émanent du Foxhound qui se trouve au large d’Oran.

6 h 10 - La vigie de Santa-Cruz contacte le Dunkerque, les timoniers du bâtiment répondent alors au signal et réceptionnent le message qu’ils décodent « A l’amiral Dunkerque. Nous prions l’honorable flotte française de se joindre à nous pour continuer le combat à nos côtés ou être conduite dans un autre port. Amiral Somerville ».

Ce procédé d’information bord à bord, émis à différents intervalles, directement aux timoniers français, irrite Gensoul. Il le perçoit comme autant de tentatives de subversion et d’atteinte à son autorité Nous nous retrouvons au sein du décor où va se dérouler la tragédie. 

Une journée comme les autres ? Non ! La Force de Raid, immobilisée, vit à l’heure de l’armistice. Des mesures de démobilisation consistant à rapatrier le personnel sont en cours. Les 1600 réservistes s’interrogent, alors que depuis le début de la guerre, ils ont affiché un moral sans faille, voici que désormais l’inquiétude les ronge. Ils ne reçoivent plus de courrier Quand vont-ils pouvoir regagner leurs foyers et retrouver leurs familles parfois jetées sur les routes par la débâcle ou situées en territoire occupé ? Les hommes originaires de l’Afrique du Nord sont sur le point d’être libérés.

Sur les bâtiments français, des excursions à terre, des joutes à la voile, des leçons de natation, des rencontres sportives ou des sorties militaires ou « biffes » sont programmées. L’arrivée de cette imposante armada provoque de l’étonnement et une certaine émotion, surtout chez les réservistes. Va-t-on rallier la flotte britannique ?

Le ballet sinistre des vedettes.

Mouillage du destroyer Foxhound à l’extérieur du port. Les instructions de l’Amirauté française étaient claires depuis l’armistice : « Les bâtiments britanniques ne sont pas autorisés à communiquer avec la terre ni à ravitailler dans les ports français ».

8 h 15 - L’amiral français envoie son aide de camp, le lieutenant de vaisseau Dufay. La vedette du Dunkerque accoste la coupée du Foxhound. A son bord, le CV Holland, plénipotentiaire anglais, francophile et francophone. Décoré de la légion d’honneur, il a été attaché naval à Paris.

8 h 45 - Dufay est de retour à bord, dans l’intervalle, Gensoul a pris connaissance du message matinal de Somerville. Ordre est donné de prendre les dispositions de combat.

9 h 15 - Les deux vedettes se rencontrent et s’amarrent à une bouée, à 200m, à l’intérieur du barrage. Dufay réitère le refus de Gensoul. Holland n’insiste pas et lui remet une enveloppe scellée adressée à « Monsieur l’Amiral Gensoul ».

 9 h 30 - Dufay remet le pli à l’amiral à Gensoul qui le déchire. Il découvre aussitôt la brutalité des propositions énoncées par l’Amirauté mais surtout par le Cabinet de Guerre présidé par Churchill. L’ultimatum est le suivant :

C’est une véritable mise en demeure, irrecevable tant sur la forme que sur le fond, le canons anglais étant pointés sur les navires français. Gensoul doit-il violer l’armistice avec toutes les conséquences en France ou saborder ses navires de combat hors de la mainmise immédiate allemande. ?

10 h - Ordre est donné d’allumer et de pousser les feux sur tous les bâtiments. Gensoul convoque ses chefs d’escadre, l’amiral Jarry, commandant la marine à Oran ainsi que le commandant du centre des sous-marins Les commandants des cuirassés ne sont malheureusement pas conviés.

 10 h 10 - Dufay repart pour rencontrer une troisième fois Holland. Nouvel entretien en tête à tête dans la chambre de la vedette du Dunkerque. Etant donné le fond et la forme du véritable ultimatum qui a été remis à l’amiral Gensoul, les bâtiments français se défendront par la force ».

Désespéré, Holland remet au messager français, un aide-mémoire fait de notes personnelles qu’il avait rédigées lui-même et qu’il se propose de développer devant Gensoul. La possibilité d’un désarmement sur place à Mers-el-Kébir est envisagée entre les deux plénipotentiaires.

12 h 40 - Cinq Swordfish de l’Ark Royal mouillent des mines magnétiques dans la passe du port, compliquant ainsi la sortie des bâtiments français. Exaspéré, Gensoul fait remettre la flotte à 30 minutes d’appareillage.

Les ultimes négociations

En cet après-midi torride de l’été algérien, une négociation quelque peu surréaliste mais en même temps pathétique va se poursuivre entre une Royal Navy doutant sérieusement des ordres qu’elle reçoit et une marine française qui a du mal à croire que leurs amis d’hier vont leur tirer dessus.

14 h - En France, le gouvernement français est dans une situation très compliquée, ses membres sont dispersés sur la route entre Bordeaux et Vichy Cette situation est aggravée par les problèmes de communications imposées à la France par l’armistice qui émanent de l’article 14 de la convention d’armistice A Bordeaux, les communications de la Marine ne peuvent se faire qu’à partir d’un bureau des PTT, d’un téléimprimeur qui en relation avec Marseille et Toulon. Cette pagaille dans les transmissions sera accentuée par le repli de Darlan vers Nérac dans le Lot et Garonne qui n’est pas joignable C’est l’amiral Le Luc, chef d’Etat-Major de la Marine, qui va préconiser l’usage de la force.

Durant la même période, Churchill avait une cellule chargée de décrypter les messages français grâce aux codes du Narval, réfugié à Malte après l’Appel du 18 juin, codes qui furent pillés dès le lendemain par une opération commando anglaise. Ces derniers permirent à Churchill à partir du 25 juin, de traduire en temps réel, l’ensemble des messages de l’amirauté française et en particulier ceux de Darlan signés sous le pseudonyme de Xavier 377 Mais surtout, il pouvait transmettre en temps réel ses ordres à Somerville.

14 h 30 - Message de Gensoul au Foxhound : « J’ai télégraphié à mon gouvernement dont j’attends la réponse. Ne créez pas l’irréparable. Je suis prêt à recevoir votre délégué pour discussion honorable ».

14 h 50 - Somerville, soulagé, suspend aussitôt l’ouverture du feu.

15 h - L’amirauté britannique interceptant le message de Le Luc harcèle aussitôt Somerville et le presse d’en finir : « Des renforts arrivent, dépêchez-vous sinon, vous les aurez sur le dos ». Une précision sur ces renforts. Ils ne présentaient en aucun cas une menace immédiate. Ils n’auraient jamais atteint Mers-el-Kébir, en temps voulu, compte tenu de la distance et de leur vitesse.

17 h 15 - Gensoul reçoit le message émis par Somerville : « Si aucune des propositions n’est acceptée avant 17H30, il sera nécessaire de couler vos bateaux ». Holland reçu à bord du Dunkerque rédige immédiatement un message en clair pour Somerville : « L’amiral Gensoul déclare que, avec équipages réduits et s’il était menacé par l’ennemi, il irait à la Martinique ou aux Etats-Unis, ce ne sont pas exactement nos propositions (à savoir la présence britannique à bord). Ne puis obtenir davantage ».

17 h 25 - Le Captain Holland est reconduit à la coupée. Livide, il quitte définitivement le Dunkerque profondément ému par l’échec des négociations. Holland et Davies remontent dans leur vedette. En passant devant l’étrave du Bretagne, ils aperçoivent l’officier de quart qui leur rend les honneurs réglementaires et des matelots qui leur font des signes d’amitié. Ces marins ignorent que, dans une demi-heure à peine, ils vont mourir. En montant sur sa passerelle, Gensoul : « J’ai fait tout ce que j’ai pu. C’est fini. Je ne peux rien faire d’autre ». Le drame est proche.


17 h 55 - Somerville fait hisser sur le Hood, le pavillon ˝5˝ signalant l’ouverture du feu. Les Anglais allaient tirer les premiers parce qu’ils étaient venus, mandatés pour le faire. C’est la première fois que dans cette guerre le Hood utilise ses 380 mm en combat et ceux-ci sont pointés vers l’allié de la veille. Le Strasbourg largue ses amarres à l’arrière, file sa chaîne bâbord et met en avant en grand sur la gauche.


17 h 57 - Le Provence dont les tourelles peuvent tirer vers l’arrière, ouvre le feu à travers les superstructures du Dunkerque. Marine-Oran donne l’ordre aux torpilleurs d’appareiller.

 17 h 58 - La deuxième salve britannique encadre la jetée, un obus frappe celle-ci. Une grêle de blocs de pierre balaie les ponts et les nombreux éclats, à la ronde fauchent les marins, dont cinq du remorqueur Armen (3 officiers mariniers sont tués dont le commandant, 2 marins sont blessés) Sous ce déluge d’obus de 380, d’énormes gerbes jaillissent de 80m et 100m de haut. Les CT appareillent les premiers, ils sont à 900m de la sortie, dans l’ordre : Le Mogador suivis du Volta, du Terrible, du Lynx puis du Tigre, du Kersaint.

17 h 59 - La troisième salve britannique est tirée. La situation de l’escadre de Gensoul est dramatique : bâtiments immobiles, entassés, incapables de rendre leur artillerie battante, passe bloquée par le mouillage des mines. La Force H anglaise est libre de sa manœuvre, elle dispose en outre des avions de surveillance et de conduite de tir de l’Ark Royal. La force de Raid était une cible idéale, écrira Ted Briggs, timonier du Hood « Shooting a fish in à barrel (Tirer sur du poisson dans un tonneau) » C’est le début d’un véritable carnage. Le cuirassé Bretagne est touché une première fois à la hauteur des tourelles arrière.


Le Mogador, au moment de franchir la passe, est frappé par un obus de 380 mm qui lui déchiquette complètement l’arrière et fait exploser ses grenades sous-marines. Il flotte cependant et reste mouillé avec sa poupe arrachée qui brûle, devant la jetée.

Le Volta l’évite de justesse en abattant rapidement. Il fonce vers la sortie, à la tête de la ligne des contre-torpilleurs, malgré les obus qui pleuvent.

18 h - Le Tigre, retardé dans un premier temps par sa chaîne engagée avec celle du Kersaint, il abandonne son ancre et libère sa chaîne. Il peut alors s’aligner sur les autres contre torpilleurs. Les quatre sous-marins La Diane, L’Ariane. La Danaë et l’Eurydice disponibles à Oran quittent le port.

18 h 02 - Grâce à l’habileté de son commandant, le CV Collinet, le Strasbourg appareille à grande vitesse. Au cours de sa manœuvre, une salve s’abat sur le mouillage qu’il vient de quitter, criblant sa coque de nombreux éclats qui lui coupent une drisse.

18 h 03 - Le sort le plus cruel est réservé au Bretagne. Une nouvelle salve frappe le navire. Une immense gerbe de flammes ravage tout le bâtiment, de l’avant au mât arrière. L’évacuation est ordonnée.


Le Provence, à son tour est touché. Un obus frappe son bâbord arrière, provoque une voie d’eau et déclenche un incendie. 

18 h 04 - Le Mogador est évacué. A son tour, le sort du Dunkerque est scellé. Un premier projectile de 380 frappes la tourelle II de 330 mm et met hors de combat la moitié de l’armement d’une des quatre pièces ; les servants meurent déchiquetés.

 18 h 05 - Une deuxième salve anglaise frappe le Dunkerque et traverse le hangar aviation sans exploser.

18 h 07 - Le Bretagne est en feu de la proue à la poupe.

18 h 08 - Le Strasbourg entre dans la passe. Deux autres obus de 380mm frappent l’arrière du Dunkerque. Une tourelle est atteinte, l’électricité est en panne. Privé d’énergie, son artillerie paralysée, le bâtiment est ingouvernable, son commandant, le CV Seguin, décide de l’échouer.

18 h 09 - En feu, le Bretagne explose, prend de la gîte et chavire, avant de disparaître à jamais dans cette eau sombre et souillée. L’agonie du Bretagne aura duré entre 7 et 8 minutes.

18 h 10 - Le Strasbourg se fraye un passage et franchit indemne la porte du barrage. Minutes angoissantes à cause des mines magnétiques, mais il réussit à s’échapper Il remonte la file des contre-torpilleurs et ils font route à l’Est. Le Dunkerque, à petite vitesse, se dirige vers le port de St André. Le Lynx, franchit la passe et ouvre le feu sur le destroyer anglais. Le Tigre le suit.

Seul, le Commandant Teste n’a pas appareillé. Il est miraculeusement indemne.

18 h 12 - Le Hood envoie le pavillon ˝6˝ du cessez-le-feu. Somerville, persuadé qu’aucun cuirassé français n’a quitté la rade, met fin au massacre.

18 h 13 - Le Dunkerque, endommagé, mouille dans la rade, par 15m de fond, à l’abri de la colline de Santon devant le village de Saint André.


18 h 30 - Un Swordfish confirme que c’est le Strasbourg qui double la pointe de l’Aiguille suivis du Tigre, du Lynx et du Volta.

18 h 40 - Le Hood se lance à la poursuite du Strasbourg avec les croiseurs Arethusa et Enterprise et plusieurs destroyers. Les appareils de l’Ark Royal interviennent à leur tour.


19 h 05 - Le Strasbourg subit pendant 2 heures, les attaques aériennes britanniques. En vain, grâce à des manœuvres ou abattées brutales, le cuirassé évite bombes et torpilles.


20 h 20 - Le Hood abandonne la chasse. Somerville semble soulagé mais

 s’attend à une réaction de son amirauté pour avoir laissé échapper un objectif prioritaire : Le Strasbourg.

21 h 30 - A bord du navire français, le CV Collinet fait rompre du poste de combat.  Cinq morts sont à déplorer. Sauvé, le bâtiment atteint Toulon le lendemain où il sera accueilli en triomphe par toute l’escadre.

A Mers el Kébir, la nuit commence à tomber. Dernières explosions, dernières gerbes d’eau, dernières colonnes de fumée noirâtre, vision apocalyptique de désolation dans ce havre de paix. Le plan d’eau est recouvert de mazout, tout est sombre sous l’épais voile de fumée. Une puanteur, faite d’un mélange de cordite et de mazout imprègne l’atmosphère. Les yeux sont douloureux et piquent, il est difficile de respirer. Au loin la canonnade s’estompe, le rideau tombe, le premier acte de la tragédie s’achève. La digue étale de larges plaies, le phare est décapité. Le Dunkerque, le Provence et le Mogador sont échoués. Le Bretagne mortellement atteint chavire, sa carène émerge encore avant de disparaître à jamais dans cette eau sombre et souillée.

Le 3 juillet 1940, en seulement 17 minutes d’un bombardement extrêmement intense sur notre flotte, cette action violente s’est soldée par le massacre de 1150 marins français et plus de 350 blessés.

Sur le Mogador, un obus de gros calibre a pulvérisé l’arrière et avec lui les 38 hommes qui s’y trouvaient et dont on ne retrouvera aucune trace.

Sur le Dunkerque plusieurs obus tombent dans les machines ou sur la tourelle avant, provoquent de gigantesques explosions et incendies. En quelques instants une fumée jaune, brûlante et suffocante envahit les compartiments des machines. Des cris s’élèvent : les hommes tombent, se débattent le souffle coupé et la gorge en feu après avoir respiré ce flux empoisonné. Plus tard, lorsque les sauveteurs parviennent jusqu’à eux, le spectacle est terrifiant. Cramponnés aux échelles, une file de cadavres à demi desséchés semblent implorer du secours, plus bas, apparaissent les corps culbutés de ceux qui avaient lâché prise.    


Témoignage de Joseph Outin S/M fusilier du Dunkerque

« Dans la soirée, je suis resté à bord et la sinistre besogne a commencé. J’ai passé ma nuit à remonter les corps de mes camarades coincés à la machine par les échelles. Une équipe se trouvait en haut, une autre en bas, les gabiers étaient allés chercher des toiles de hamac dans lesquelles les corps étaient enveloppés. Avec les palans, nous les montions pour les emmener sur le pont. Un médecin principal et son second les prenaient en charge. Le jeune médecin, la blouse couverte de sang, un moment a craqué, victime de la fatigue et de ses nerfs. Ils leur faisaient des piqures pour les soulager. Quant aux autres, brulés jusqu’aux os, le visage méconnaissable, ils étaient classés inconnus. Nous étions chargés alors de les transporter sur un chaland. Lorsque ce dernier était complet, il était tiré par une vedette vers le quai où une autre équipe du bord déposait les victimes dans des boîtes construites à la hâte par les charpentiers ».

Joseph Outin, 94 ans, en pleurs, s’interrompt, Hervé Grall qui était présent pour ce témoignage, écoute, très ému.

Joseph se reprend et poursuit « J’ai participé directement à la remontée de votre papa (Monsieur Grall). Il portait sa combinaison de travail. Il respirait encore. Peu de temps après, il devait mourir à l’infirmerie. Je revois le jeune matelot mécanicien du service de votre papa, à genoux sur le pont, priant près de lui « Vous n’allez pas nous quitter, capitaine ? » N’étant pas de quart, à la machine, il eût la vie sauve. J’ai passé la nuit à remonter les victimes de ce carnage, je n’oublierai jamais ces moments. Et encore, on n’avait pas tout vu, huit jours plus tard, on a retrouvé trois nouveaux corps de mécaniciens enflés, ébouillantés par la vapeur, coincés dans les fonds où ils avaient cru pouvoir se réfugier et ainsi se sauver »     

Sur le Bretagne : Les hommes encore valides courent sur la coque rugueuse en se blessant et sont précipités dans la nappe de mazout en feu qui recouvre la surface de l’eau autour du bateau. Certains meurent ainsi brûlés, d’autres parviennent à plonger au-dessous de cette nappe infernale, beaucoup ingèrent aussi du mazout qui provoquera leur décès quelques jours plus tard. Plus de 900 marins ont coulé avec le navire retourné : beaucoup d’entre eux respirent encore dans les poches d’air et pendant plusieurs jours les scaphandriers tentent en vain de percer l’épaisse coque alors qu’ils entendent des coups venus de l’intérieur du bateau et qui résonnent dans l’eau où le son se propage.

Les opérations de sauvetage

Les derniers rescapés luttent pour leur survie, dans ce bouillon infâme, couvert de mazout. Pour certains, il est déjà trop tard, ils se débattent en vain, brûlés ou gravement blessés, une mort atroce et injuste les attend. Les autres tendent leurs bras gluants, s’accrochent, glissent le long des bords, se hissent ou sont tirés, épuisés à bord des embarcations qui se portent à leur secours. Témoin impuissant, ému aux larmes, le factionnaire au fort du Santon présente les armes.  Les secours s’organisent. Remorques et embarcations de toute sorte sillonnent la rade. Les marins rescapés, les pêcheurs, les pompiers, les scouts marins, la population s’efforcent de repêcher les survivants. Des cadavres épars flottent au milieu des débris. Sur le quai, déjà, les corps s’alignent, les caisses en bois qui leur servent de cercueils, s’entassent avant d’être ramassées à la hâte par une noria de camions.

Les ambulances filent vers l’hôpital Baudens. Une chapelle ardente est installée dans la salle du cinéma du port. Tous ces marins sont les victimes de leur fidélité à leur pavillon. Sur le pont du Dunkerque, les sauveteurs exténués s’écroulent de fatigue.

Témoignage de Maurice Neycensas Ancien du Dunkerque

« Le lendemain de notre évacuation, comme nous l'avions décidé la veille, Morvan vint me rejoindre et, tous les deux, nous nous rendîmes à l'hôpital d'Oran dont je ne me souviens plus du nom. D'autres marins, comme nous, effectuèrent le même et douloureux pèlerinage. Nous avons croisé dans les couloirs des êtres qui erraient comme des âmes, arrachées à notre pauvre monde.

D'abord, nous avons retrouvé des copains presque méconnaissables, le visage tuméfié et sanguinolent ; ils gémissaient le plus doucement possible, interminablement, et nous deux, raides comme des cierges, incapables de prononcer un mot, nous cherchions leur main pendante pour la serrer, signe de sympathie impuissant et dérisoire. Vraiment cet hôpital résumait à lui seul toutes les souffrances de la guerre et tous les maux de la terre. En arrivant aux "mazoutés", nous avons failli craquer. C'était l'antichambre de la mort, avec ces visages révulsés qui révélaient l'énorme difficulté à respirer de ces pauvres créatures et ces efforts pour déglutir qui torturaient leur pauvre corps. Une mousse grise remontait sans cesse à leurs lèvres. Beaucoup étaient près de l'asphyxie.

Tous ceux qui avaient ingurgité trop de mazout, et malgré tous les soins assidus du personnel hospitalier, mourront au cours de la nuit suivante.  Le cœur douloureux, très émus, nous avons terminé notre voyage aux enfers, par la visite des brûlés. Nous sommes entrés dans le domaine le plus inhumain, le plus horrible aussi. Après le spectacle de la veille qui nous avait déjà ébranlés, entendre à nouveau cette plainte multiple et déchirante qui montant de tous les lits : supplications désespérées, cris, hurlements bouleversants, était propre à vous rendre fou. Il y avait des brûlés à cent pour cent dont la peau se détachait par pans entiers et ne vivraient plus bien longtemps. Tous ces corps à vif ne supportaient aucun contact. Pour eux, à la nudité brûlante, pour eux dont les bras étaient attachés verticalement dans une attitude lamentable de prière, où était le bon Dieu ?

Oh ! ces visages horriblement dénaturés, ces regards d'épouvante qui vous glaçaient jusqu'aux os !

Morvan et moi, complètement démolis, n'avons su que pleurer à la sortie de l'hôpital ; nos yeux, nos pauvres yeux avaient vu tant d'horreur que tout notre être semblait détruit à jamais ».

 Mers-el-Kébir

4 juillet - Nouvelle agression.

15 h 15 - Le Rigault de Genouilly, en route vers Alger, est coulé « par erreur » par deux torpilles lancées du sous-marin anglais Pandora. L’amiral Philips, adjoint de l’amiral Dudley Pound s’en excusera, regrettant simplement « qu’un commandant anglais avait outrepassé les ordres de l’Amirauté ».

Darlan est hors de lui, sous la colère, il demande à Pétain l’autorisation d’exercer des représailles. Le marin était meurtri mais il était aussi membre du gouvernement. Le Conseil des Ministres, en la personne de Baudouin, Ministre des Affaires Etrangères, tempéra ses ardeurs belliqueuses. Pétain se rangea à l’avis de son diplomate et refusa un éventuel affrontement avec l’Angleterre. Jusqu’à sa mort, Darlan ne renoua de lien avec ses homologues britanniques.

Londres : Matin du 4 juillet, le réveil du général de Gaulle par Hettier de Boislembert est brutal lorsqu’il apprend l’attaque de la flotte à Mers-el-Kébir. Il partage le sentiment d’avoir été piégé, il subit là un vrai test de confiance de la part des Anglais. Doit-il rester et continuer la guerre aux côtés des Anglais ou se retirer de la scène politique pour aller vivre en privé au Canada ?


La conclusion du discours qu’il prononce le 8 juillet à la BBC est pourtant sans appel : « En vertu d’un engagement déshonorant, le gouvernement qui fut à Bordeaux avait consenti à livrer nos navires à la discrétion de l’ennemi. Eh bien ! Je le dis sans ambages, il vaut mieux que ces navires aient été détruits » Il écrira « Contrairement à ce que les agences anglaises et américaines avaient d’abord donné à croire, les termes de l’armistice ne comportaient aucune mainmise directe des Allemands sur la flotte française » Mais il ajoutera aussi « ce drame n’est que le résultat d’un affolement britannique à l’échelon le plus élevé, il est à ranger au rayon des incidents regrettables » Propos sans doute provocateurs ou réfléchis, de Gaulle n'avait pas oublié le peu d’empressement de la Marine à le rejoindre l’été 1940. Cependant, lorsqu’il s’exprime au nom de la Marine, est-il le mieux placer pour en parler ? Aucun hommage posthume aux victimes. Faute de l’avoir fait, l’Histoire en entretenant le mythe s’en est chargée en frappant leur cercueil du sceau de l’oubli.


5 juillet - Obsèques des victimes.


Depuis la veille on creuse de nombreuses tombes, à l’aide de marteaux piqueurs dont le bruit sinistre retentit sur la colline dominant le port. Les obsèques se déroulent au cimetière de Mers-el-Kébir. Les marins des compagnies de débarquement et les rescapés défilent devant les cercueils de leurs camarades. Ces survivants ont le visage dur et fermé d’hommes qui ne peuvent occulter ce massacre. Dernier adieu de l’amiral Gensoul, à ces victimes : « Vous aviez promis d’obéir à vos chefs, pour tout ce qu’ils vous commanderaient pour l’honneur du pavillon et la grandeur des armes de la France.  Si, aujourd’hui, il y a une tache sur un pavillon, ce n’est certainement pas sur le nôtre ».

6 juillet - Opération Lever

Le drame ne devait pas s’arrêter là Une indiscrétion de l’amiral Esteva, imprimée dans le journal ˝l’Echo d’Oran˝, indique que les avaries du Dunkerque sont mineures et en cours de réparation. Message en clair intercepté aussitôt par les services anglais.

Ordre est donné aussitôt à Somerville de déclencher une nouvelle attaque. « Maudit soit le jour où j’ai reçu ce commandement » écrira-t-il à sa femme. C’est l’opération Lever. Il obtient que l’attaque soit exécutée par les avions de l’Ark-Royal pour éviter de frapper la population civile du village de St André près duquel le Dunkerque est échoué.

5 h 30 - Première attaque de Swordfish sur le Dunkerque. Une partie de l’équipage est restée à bord, chargée de la remise en ordre du bâtiment. Le patrouilleur Terre-Neuve est mouillé sur son avant à tribord, le remorqueur Estérel a pris position sur son avant bâbord, où se trouve une barge destinée à ramener à terre les corps des victimes enveloppés dans des toiles de hamacs. Le Terre-Neuve reçoit une torpille ; touché, il reste à flot.


7 h - Nouvelle vague de trois Swordfish arrivant du Nord : une torpille coule le Terre-Neuve provoquant l’explosion de son stock de grenades sous-marines et par ricochet une brèche de 30m le long du flanc avant du Dunkerque.  Bilan : 8 morts sur le Terre-Neuve.

Sur le pont du Dunkerque de nombreux hommes gisent, ensevelis sous des masses d’acier, les uns tués, les autres gravement blessés. C’est un enchevêtrement de vivants, de mourants, de tués au milieu des cercueils préparés pour ensevelir les morts du 3 juillet. C’est une nouvelle journée de cauchemar pour la Force de Raid.


7 h 10 - Ultime attaque de trois Swordfish, une torpille destinée au Dunkerque frappe l’Estérel. Pulvérisé, le remorqueur coule. Bilan : 6 morts. Le cuirassé est neutralisé pour de longs mois, il regagnera Toulon au début de 1942. Ainsi s’achève le dernier acte de cette tragédie de Mers-el-Kébir au cours duquel 150 nouvelles victimes viennent s’ajouter aux marins disparus le 3 juillet.

Angleterre Coups de force dans les ports anglais.

Si les Historiens se sont attardés sur l’attaque de Mers-el-Kébir, ils ont passé sous silence, volontairement ou pas, les autres composantes de l’opération Catapult.

2 juillet - La rouerie britannique.

L’amiral Sir William James, passe en revue, sur les quais, les équipages français et leur déclare « Vos soldes seront payées, votre ravitaillement sera assuré, il n’y aura pas d’internement enfin votre rapatriement se fera au plus tôt ». Humour très « british » car, au même moment, dans la plus grande discrétion, il fait rassembler dans les casernes de Portsmouth 500 commandos marine et un bataillon d’infanterie.

A Plymouth, l’amiral Sir Dunbar-Nasmith, invite à sa table l’amiral Cayol A l’extérieur, les forces militaires britanniques se déploient sur les appontements et les quais.

3 juillet - Le rapt des bâtiments.

4 h 30 Les factionnaires des bâtiments français observent sans sourciller le va-et-vient des embarcations. Les fusiliers marins anglais font irruption par surprise sur les bateaux français, amarrés dans ses ports. Tous les locaux : machines, carrés, postes des officiers mariniers et équipages sont occupés. Toute résistance est inutile.

Sur le Surcouf, cette agression vire au drame. Leur commandant, le CC Martin, ayant été éloigné par traîtrise, ses officiers se rebiffent et ne veulent pas quitter le bord avant le retour de leur « pacha » Les échanges verbaux s’enveniment, tirs de part et d’autre.  L’IM2 Daniel, chef mécanicien est touché, il s’écroule et s’embroche sur une baïonnette. Bilan : un blessé et 4 morts, deux officiers anglais, un sergent anglais et l’IM2 Daniel qui devient ainsi la première victime française de l’opération Catapult.

Sur le Mistral, commandé par le CC Toulouse-Lautrec Montfa, c’est une pinasse arborant les insignes de la Croix Rouge, chargée d’une évacuation sanitaire qui aborde le bâtiment. 60 « infirmiers », en réalité des commandos, le prennent d’assaut. Toulouse-Lautrec tente un baroud d’honneur en appliquant les consignes données par Darlan, il fait ouvrir par les mécaniciens le dispositif de noyage des soutes à munitions à l’avant et à l’arrière. Les Anglais, furieux, bloquent les issues et menacent de noyer les mécaniciens et les officiers enfermés dans le carré. Le commandant fait fermer les vannes et à 12 heures, il quitte à son tour le bord. Ces faits permettent de mesurer la brutalité avec laquelle ces ordres furent exécutés. Churchill, avec un certain cynisme, commentera ainsi ce rapt « Un grand acte de traîtrise. Rien de mieux réussi depuis le massacre de la Saint-Barthélemy ».

L’internement dans les camps.

Le 13 juillet, 10291 soit 433 officiers et 9858 officiers mariniers et matelots, étaient présents dans ces camps. Aucune solde ne fut versée entre le 30 juin et le 18 septembre. Le courrier était très rare voire exceptionnel. Des milliers de lettres restèrent en souffrance à la poste de Liverpool et ne furent jamais distribuées. L’habitat était très rustique, essentiellement des tentes dressées dans un marécage permanent. La nourriture était souvent de la bouillie préparée dans des cantines en plein air, roulottes sommaires battues par la pluie.

Le bilan des ralliements reflète cette détresse et cette crise morale. Fin juillet, sur les 12000 marins présents en Angleterre, seuls 700 rejoignirent la Royal Navy et 882 les FNFL. La propagande permanente des recruteurs anglais et gaullistes les choqua psychologiquement.

Alexandrie Le Gentlemen’s Agrement.    

7 h - Cunningham reçoit Godfroy dans le salon du Warspite et lui présente les termes de l’ultimatum. Les relations entre ces deux amiraux étaient amicales. Ils tombent d’accord pour se donner 24 heures de réflexion, Godfroy se résignant à accepter le sabordage en haute mer.

16 h Coup de théâtre. Godfroy est avisé par message des événements de Mers-el-Kébir.

 20 h 30 Retour sur le Warspite, Godfroy retrouve Cunningham et lui annonce qu’en présence des nouvelles d’Oran, il annule l’accord passé, le matin. Terrible nuit pour ces deux hommes confrontés aux feux croisés de leur amirauté. D’un côté, Londres : « Détruisez immédiatement les navires français dans la rade », de l’autre, l’Amirauté française : « Appareillez coûte que coûte et rendez œil pour œil, dent pour dent ».

4 juillet L’impasse est totale et on se dirige vers une tuerie.

15 h Après de longues négociations, un gentlemen’s agreement est trouvé. Godfroy consent à débarquer le mazout et à entreposer au consulat de France les culasses des canons et les pointes percutantes des torpilles. Cunningham renonce à s’emparer des navires français par la force et accepte de conserver le statu quo avec équipages réduits. Grâce au courage exceptionnel de ces deux amiraux soumis à l’incompréhension totale de leur amirauté, le pire avait été évité. Cet accord sera respecté jusqu’en 1943 date à laquelle les navires français reprendront le combat.

Du côté français l’Amiral Godfroy, choisissant le 17 avril 1943, le ralliement au général de Gaulle se vit relever de ses fonctions à Dakar, mis à la retraite par mesure disciplinaire et assigné à résidence.

Du côté anglais, un amiral lucide, le plus brillant de sa génération, osa s’opposer à une décision churchillienne. Le 28 mars 1942, Cunningham quitte Alexandrie pour être nommé Premier Lord de la Mer et sera anobli à la fin de la guerre.

Dakar 3 juillet

L’annonce de l’attaque anglaise fait l’effet d’une bombe. La rancune des marins français fait place à la hantise de voir poindre la Force H. Churchill est exaspéré d’où la teneur de son télégramme au Dorsetshire : « Si le Richelieu appareille et fait route au nord, suivez-le. S’il se dirige vers les Antilles, mettez tout en œuvre pour le détruire à la torpille et si vous ne réussissez pas, éperonnez-le ».

Abasourdi, le commandant du Dorsetshire demande confirmation et reçoit la même réponse : « Je répète, éperonnez-le ». Que penser alors de l’option Antilles, proposée à Gensoul ?

8 juillet à 5 h 15 - Six Swordfish lancent leurs torpilles en dépit d’un tir nourri de la DCA. Cinq explosions retentissent. La coque est éventrée, une brèche de 10 m de long s’ouvre à tribord arrière. Le Richelieu reste à flot mais s’étant enfoncé, il est conduit à l’intérieur du port.

Maroc A Casablanca, Churchill, obstiné, programme pour le 7 juillet, une attaque du Jean Bart par le cuirassé Renown. C’est l’opération Susan qui sera finalement annulée car des milliers de Britanniques, sur les quais, sont en instance de retour vers Gibraltar. Les dommages collatéraux furent jugés trop importants.

Aux Antilles Lorsque l’amiral Robert, commandant des Antilles, prend connaissance du drame de Mers-el-Kébir, les relations se tendent entre lui et l’amiral Purvis, commandant en chef anglais de la zone. Une escadre américaine est dépêchée pour éviter l’affrontement. Une zone de neutralité est mise en place où aucun combat ne sera admis. Comment imaginer dans une zone d’une telle tension que la Force du Raid eût pu trouver refuge ?

Le réveil des consciences.

Somerville, se qualifiera lui-même « de boucher maladroit d’Oran », évoquant toute sa vie « l’horreur de l’acte brutal qui lui fut imposé ».

Le CV Holland demanda à être relevé du commandement de l’Ark Royal. Il fut durement sanctionné par son amirauté. Devant le tollé général, il fut réhabilité dans son grade, et termina en 1948 au grade de contre-amiral dans la deuxième section.

L’Amiral Cunningham si critique à l’égard de Churchill ne changera jamais d’opinion jusqu’à sa mort, qualifiant l’opération Catapult de « bombardement odieux et stupide ».

L’historien britannique Richard Lamb écrira : « Le verdict de l’histoire doit être qu’en ignorant l’avis de son amirauté, et en provoquant une guerre larvée avec la France, Churchill a porté atteinte à la cause alliée. Son refus de croire les promesses des Français qu’ils ne permettraient jamais aux Allemands de s’emparer de la flotte, fut presque sa plus grave erreur politique ».

L’historien Mac-In-Tyre n’hésitera pas à ajouter « La plus grande de l’histoire des temps modernes ».

Une vérité paradoxale

Lorsqu’au matin du 3 juillet 1940 à Mers-el-Kébir, mais aussi en Grande-Bretagne, des milliers de marins français furent confrontés au drame, on peut imaginer quelle fut leur stupéfaction en constatant soudain que leurs frères d’armes de la veille s’étaient transformés en ennemis. Comment alors assumer cette contradiction et quelle explication rationnelle peut-on donner à une situation aussi improbable ?


Pour répondre à cette question dérangeante, il faut tout d’abord constater que dans une guerre, la première victime est la vérité. Car à l’occasion des conflits modernes, la propagande constitue une arme redoutable, mais, contrairement aux autres, les idées semées par elle, du moins celles des vainqueurs, se maintiennent après les hostilités.

L’interprétation du drame de Mers-el-Kébir s’inscrit dans ce processus implacable entretenu par un débat franco-français le plus souvent stérile et partisan, qui n’a jamais permis de laisser la place à la sérénité nécessaire pour qu’un réel travail historique puisse être entrepris sur un sujet aussi atypique.

Il n’est pas moins paradoxal de constater que bien souvent, la mise en perspective de cette tragédie maritime est beaucoup mieux comprise dans le monde anglo-saxon en général, si l’on veut bien se donner la peine de consulter les ouvrages consacrés à cet événement, même si l’on peut regretter que peu d’entre eux aient été jugés dignes d’être traduits en français. Mais est-ce un hasard ?

Affiche de propagande
Vichy 1940
Si ce travail n’est pas fait en toute clarté, le conflit se poursuivra, la réconciliation des mémoires ou des points de vue n’aura pas lieu. En 1943, on peut affirmer qu’un consensus politique s’est opéré autour de la personnalité du général de Gaulle entre un ensemble de Français et entre deux Marines aux choix différents. Pourquoi cette réconciliation ne s’est pas retrouvée dans les esprits et les comportements ?

Pourquoi la Marine de juin 1940, devrait-elle être chargée des crimes qu’on a commis contre elle ?

L’Histoire appartient aux historiens, mais ces investigateurs du passé ne sont ni des juges ni des thérapeutes. Laissons-les travailler dans le calme. Qu’ils aient la volonté d’apporter la lumière sur ces évènements passés, même si l’Histoire officielle doit en souffrir.

Depuis 1990, grâce à de nouvelles investigations, des historiens anglo-saxons et français apportent un éclairage nouveau sur les actions controversées ou sur les rôles déterminants de Churchill, de Gaulle ou Darlan en juin et juillet 1940. On ne peut se contenter des Mémoires des protagonistes. Il est aisé de gommer les zones d’ombre et de réécrire l’Histoire après un travail de recomposition. Churchill dans ses Mémoires, écrit « Donnez-moi les faits, je les tordrai pour qu’ils conviennent à mes arguments » Ainsi, il fut demandé au Commander Stitt, historien naval distingué, de rédiger un chapitre sur Mers el Kébir pour figurer dans l’historique officiel de la guerre en Méditerranée. Churchill jugea ce rapport trop favorable aux Français. Le document fut classé aux oubliettes et remplacé par un texte plus conventionnel rédigé par le Major General Playfair.

On ne peut s’empêcher de penser, 80 ans après le drame, à la perversité du silence imposé qui vise à effacer les déchirures, les choix, et la crise morale engendrée au sein de la Marine : n’y-a-t-il pas nécessité au contraire de regarder le passé en face pour effacer toute incompréhension afin d’apaiser l’amertume des uns ou la rancœur des autres ?

La Marine Française aujourd’hui, a commencé à y contribuer à l’image de la Royal Navy.

Cette conférence n’est qu’un modeste jalon de la relation de cette période si complexe de notre histoire. L’accélération des événements exige qu’ils soient appréhendés et scrutés au jour le jour, voire même d’heure en heure, sans que l’on puisse être certain de bien saisir qui a fait ou décidé quoi, qui a dit la vérité ou l’a « arrangée » à son avantage. La réalité des faits peut apparaître contradictoire et difficilement compatible avec la vision de cette période qu’affectionnent souvent les médias, c’est-à-dire une version édulcorée, lissée, perçue comme « officielle » donc moins dérangeante. Le temps d’une vision apaisée de cet événement adviendra sans doute un jour. Puisse cette conférence y contribuer en montrant que nos marins, emportés dans l’une des plus grandes tempêtes de l’histoire, n’ont pas démérité.  L’exemple de leur souvenir aujourd’hui fondé sur la mémoire et le pardon, doit aussi être perçu comme un appel à préserver la Paix.

Puisse cette conférence leur rendre leur honneur et leur dignité afin de les sortir de la poussière de l’oubli où l’Histoire, trop souvent ingrate à leur égard, veut lconfiner à jamais.


ANNEXES

Métier : second-maître canonnier à bord du Dunkerque

Par Maurice Neycensas

1939 - « Il était surtout question de guerre et tout le monde la disait inéluctable et même imminente. Mes quinze jours furent vite usés et cette fois, quand je quittai St Astier, maman pleura en me berçant un peu contre elle. Papa et moi étions très émus. Robert repris le chemin de La Rochelle où il servait dans les batteries de côte. Quant à moi, je rejoignis mon palace de bateau.

Télépointeur à bord du Strasbourg

Un mot sur mes fonctions à bord du Dunkerque : d'abord, poste de veille au Poste Central de conduite de tir, au cœur du navire, où il faisait très chaud. Placé devant un grand tableau qui portait des voyants lumineux et beaucoup de maquettes mobiles, je devais, d'après les renseignements fournis par le Télépointeur, les orienter en gisement, en direction, tout en notant la distance, la vitesse probable du but, etc.…, ceci durant quatre heures avec les écouteurs sur les oreilles.


Si, par malchance, le branle-bas de combat intervenait, je devais quitter ce poste en vitesse pour rejoindre le télépointeur 2, en haut de la grande tour, où j'avais mon poste de combat comme servant d'ordre de feu. Mon rôle, sur instruction du chef télépointeur, consistait à donner l'ordre de tir aux pièces de tir contre avions. L'hiver, c'était un sport et une épreuve terrible pour mon corps qui, du poste de veille où il faisait 25 degrés, passait au zéro en haut de la tour où le vent me saisissait, me glaçant jusqu'aux os. Monter les échelons qui me conduisaient à presque quarante mètres ne suffisait pas à me réchauffer ».




Le Dunkerque et son sister-ship le Strasbourg furent les premiers navires français à disposer d'une direction du contrôle de tir centralisée pour l'artillerie principale et l'artillerie secondaire.

La conduite de tir de l'artillerie principale était assurée par un télémètre optique de 12 mètres qui fût remplacé en 1940 par un modèle de 14 mètres, un autre de 8 mètres en secours tandis que chaque tourelle pouvait se diriger elle-même puisqu'elles disposaient chacune d’un télémètre de 12 mètres.

Pour ce qui est de l'artillerie secondaire, la conduite de tir était assurée par un télémètre de 6 mètres et un autre de 5 mètres installés sur la tour avant, un autre télémètre de 6m sur la tour arrière tandis que chacune des tourelles de 130mm quadruple disposait de son télémètre de 6 mètres, la rendant de fait autonome.

Les télémètres relevaient la distance et la direction de la cible qui étaient transmises à des calculateurs puis transmises aux postes de tir de chaque tourelle. Les tourelles de 330 et de 130 mm étaient équipées d'un début d'automatisation qui permettait en théorie à la tourelle d'être manœuvrée via les données des postes de tir sans intervention humaine directe. Cependant, ce système n'était guère au point et bien souvent une intervention humaine était nécessaire.

En l'absence de radar, le tir de nuit s'effectuait à l'aide de sept projecteurs de 120 cm, trois installés sur la tour de commandement et les quatre derniers sur la cheminée, pouvant être contrôlés soit depuis un local dédié ou depuis les tourelles.

Extrait - Forum-marine - 2010

En marge des événements

Drôle d’escapade

Par Maurice Neycensas




« La même année je me rendis à Hyères pour un stage d’éducation physique de trois semaines, ce qui me permit de jouir d’un climat plus agréable, mais surtout d’être près de Toulon où Laurent déjà prévenu, attendait ma visite. Je garde peu de souvenirs du stage, sinon qu’avec les restrictions alimentaires, nous mangions souvent des cœurs de fenouil, que je n’appréciais pas vraiment. Par contre, est restée vivante dans ma mémoire, une sorte d‘expédition que je qualifierai d’exceptionnelle. Figurez-vous que, le stage terminé et sur invitation de Laurent, je passai mon dernier dimanche à Toulon. Mon presque frère m’attendait à la gare. Nous prîmes le tram pour nous rendre à sa chambre, au Mourillon, dans la plus jolie banlieue de la ville. C’est là qu’il me fit part de son plan, que je trouvai des plus osés mais dont le caractère casse-cou me séduisit et m’amusa jusqu’à en rire aux éclats.

Laurent : « Avec des copains, nous avons décidé de te recevoir, à midi, à bord du « Commandant Teste », le miraculé de Mers El Kébir, qui est amarré dans l’arsenal où, comme tu le sais, les civils n’ont pas le droit d’entrer. J’ai donc trouvé une combine, comme nous sommes à peu près de la même taille, tu essaies mes fringues, et redevenu second maître, tu m’accompagnes ».


Commandant Teste

Les gestes suivent aussitôt la parole. Je change de peau et, en moins une, devant la glace, je souris au marin Neycensas. Je mets la casquette, au poil ! et je salue mon complice, car il faut tout prévoir, même la rencontre probable de quelques supérieurs. Nous voilà dans le tram ; malgré notre joie de lurons en vadrouille, je sentais en moi une légère inquiétude. Il allait falloir affronter le contrôle d’identité à l’entrée de l’arsenal et tout le monde sait qu’en période d’hostilités, le port illicite de l’uniforme militaire est passible du conseil de guerre. Excusez du peu ! Vous voyez bien que la jeunesse a toujours son petit grain de folie mais, l’opération étant engagée, il n’était pas question de faire machine arrière.



Peu avant l’arsenal, une surprise (pas pour eux) : Catherine nous attendait, hilare. Et me voilà, second maître Neycensas, encadré de mes deux joyeux drilles, passant devant le garde qui, devant ma tenue impeccable et plus vraie que nature, fut à mille lieux de se douter de la supercherie. La porte franchie, bras dessus, bras dessous, nous éclatâmes de rire en chantant comme autrefois : « Avoir un bon copain, c’est plus fidèle qu’une blon-onde ! ».  J’en souris encore et, en pensant à nous trois, fidèles parmi les fidèles, j’oublie mes quatre-vingts berges et c’est comme si une eau de Jouvence coulait en moi, me ragaillardissant le temps d’un rêve, le temps d’un radieux retour en arrière.

Sur le « Commandant Teste », la table était mise. Ce fut comme une réception de l’amitié en mon honneur. Ils avaient bien fait les choses les coquins, et je me retrouvai, éberlué et ravi, au milieu d’anciens « seconds » du « Dunkerque », du « Strasbourg » ou d’autres bâtiments, vieilles connaissances. Avec tous ces braves gars, jeunes et moins jeunes, debout, nous avons levé nos verres à l’amitié et à l’espoir. Le repas, succulent, d’abord empreint de cette sorte de ferveur qui accompagne les grandes retrouvailles, s’anima progressivement et ce fut une vraie fête. Des adieux chaleureux, ô combien, des accolades à n’en plus finir, des mains qui se serrent et se lâchent à regret, moments émouvants et forts.

Sortir de l’arsenal n’était qu’une formalité. Laurent, Catherine et moi-même, comblés et heureux, délicieusement excités par les vapeurs euphoriques d’après repas, nous prîmes instinctivement, la direction du quai Cronstadt. Comme autrefois, nous l’avons arpenté sur toute sa longueur. Un peu de nostalgie flottait tout au fond de mon cœur.


La voix de Rina Ketty s’était tue et même si, de-ci de-là, on entendait encore les trémolos de Tino, un autre phénomène éclatait qui semblait réveiller les ardeurs assoupies : Trenet et ses rythmes syncopés entretenaient un peu de joie dans la morosité générale. Tard dans la soirée, je suis redevenu un civil authentique et, c’est drôle, à mesure que je me débarrassais de la tenue militaire, je sentais mon corps et tout mon être se libérer de toute contrainte, je me sentais plus léger. Vraiment je n’étais pas fait pour l’armée ».


2ème partie - Extrait du journal personnel de Maurice Neycensas

« Evènements et pensées intimes à bord du Dunkerque »


Récit et pensées en direct des événements de Mers El Kébir,

Quelques jours avant l’attaque Anglaise …….


16 au 23 avril 1940

Séjour à Brest sans histoire, mais j’ai vu des départs qui ne sont pas sans grandeur tragique, départs de paquebots chargés de « sang Français ».

Depuis le retour d’Oran qui marquait l’envahissement de la Norvège, je pense que 15 à 20 paquebots soit 50 à 60 000 mille soldats sont déjà partis vers leurs tragiques Destin. Si d’autres départs ont eu lieu dans d’autres ports, la contribution française est d’importance. Les Anglo-Canadiens font de même et les engagements alliés ont déjà lieu.

23 avril 1940

Reçu lettre de Robert et Suzanne, deux voix très chères et vibrantes.

24 avril 1940

Après avoir fait la garde nous avons appareillé, route au Sud.

25 avril 1940

Route sur Mers El Kébir, tournée de prestige ? ou Italie ? Escadre Anglaise pas loin ???

27 avril 1940

Arrivée à Oran à 4 heures.

29 avril 1940

Reçu lettre émouvante de papa et maman plus muguet, larmes irrésistibles. Quelques sorties à Oran, espoir d’aller à Alger et lettre à Gisèle.

5 mai 1940

Sortie radieuse à Ain El Turc, plage, soleil avec Marrassé, Herrebrecht, Morvan, photos, tournée en ville !!!

9 mai 1940

Appareillage, tirs d’exercices, pourquoi Gamelin n’a-t-il pas attaqué pendant que les Allemands étaient en Norvège ? La Hollande, la Belgique, le Luxembourg sont envahis, la guerre commence, ruée Allemande. Les villes du Nord de la France sont bombardées, Lille, Pontoise plus Lyon.

12 mai 1940

Tanks, avions Germaniques, 400 avions descendus en 4 jours, Vicky je lui écris ???, inquiétude pour Marcel.

15 mai 1940

La Hollande capitule, sauf la flotte qui part vers l’Angleterre.

16 mai 1940

La bataille de la Meuse fait rage, Sedan choc trop dur, Liège seule a tenu, les Allemands sont à Namur, choc du Luxembourg puis Longwy.

20 mai 1940

Révolution intérieure pour parer aux erreurs d’où discipline avec Reynaud, grand chef, Weygand remplace Gamelin, Pétain vice-président, Mandel à l’Intérieur, révocations de préfets et maires.

22 mai 1940

 Mers El Kébir - Discours de Paul Reynaud « La Patrie est en danger ».  Surprise angoissante démesurément. Discours au Sénat au moment où les Allemands atteignent, après 9 jours d’avance irrésistible, Amiens et Arras. Des fautes des erreurs, des trahisons sont dévoilées …… mais des milliers de frères sont morts de ces négligences monumentales et notre Foi un instant ébranlée renaîtra s’élèvera sur l’élan héroïque des instants graves - confiance en Weygand.

24 mai 19

Bilan, accident, Pluton contre Railleuse, Doris et Centaure coulés, Chacal coulé.

28 mai 1940

Boulogne, Calais sont atteint par les Allemands, Léopold III de Belgique dépose les armes et c’est un coup terrible dans notre organisation.

Retraite grandiose, héroïque de Blanchard et Prioux.

3 juin 1940

Mers El Kébir, pour nous attente angoissée de l’attitude Italienne, attente et doute qui se précisent et deviennent certitude car malgré les avertissements de Roosevelt, Mussolini a dit qu’il tiendrait ses engagements envers Hitler. L’intervention Italienne apparaît comme fatale et ce sera l’embrasement colossal, le choc titanique le plus terrible de l’histoire. Et dans le Nord « Dunkerque » continue son martyre et Prioux et Blanchard qui reculent vers le camp retranché essaient de sauver leurs hommes au prix de manœuvres et de l’héroïsme les plus sublimes. Pertes Allemandes immenses.

Embarquement de troupes pour l’Angleterre bombardée par l’artillerie et aviation Allemande.

Cent bateaux de guerre - Abrial et 200 bateaux de commerce - avions.

Enfer, déluge terrible, Marseille Toulon bombardés….

10 juin 1940

Veillée d’armes,

« Mes tous chéris,

Je ne sais quel sort sera fait à ce petit mot ni quand il vous parviendra mais je veux quand même lui confier toute mon âme, tout mon amour, tout ce que j’ai nourri pour vous de fervente tendresse et de secrète reconnaissance.

Je donne un suprême baiser à ce léger feuillet, un baiser amer mais ferme, sans pleurs. Nous sommes tous décidés dans cette première veillée d’armes, tous unanimes dans notre résolution de nous donner corps et âme pour vaincre, pour châtier…ou pour fermer les yeux en enfants sages qui aimaient leur France et leur douce famille chérie par-dessus tout.

A bientôt petite maman et courage…. Courage comme ton petit Maurice qui te porte dans son cœur et de dis d’espérer. Mille baisers à tous ».

12 juin 1940

France Allemagne, nous sommes débordés en nombre et matériel, deux millions d’Allemands avec engins motorisés perfectionnés. Le front n’est pas percé mais nous reculons en infligeant le maximum de pertes.

Rouen, Soissons, Senlis, Marne, jamais la France n’avait subi pareille souillure. Donc la situation se présente sous un aspect angoissant. Paris ???

Raison d’espérer, le front se stabilise, les Allemands envoient des tanks, la ruée atteint son maximum, pertes effroyables, les Usa envoient du matériel.

Deux jours après la déclaration de guerre contre l’Italie, l’Idée : Mussolini déclare la guerre malgré les efforts de Roosevelt et peut être du Pape. Mussolini pendant longtemps a manœuvré pour donner à la guerre des nerfs son sens le plus aigu, pour désorienter le gouvernement Français et faire le jeu des Allemands. L’Italie a un piètre rôle à la remorque de l’Allemagne. A son attitude déloyale, honteuse à ce chantage de peu d’honneur elle ajoute sa prise de responsabilité dans l’élargissement du conflit. Les Etats-Unis et la Turquie ont déjà manifesté leur inimitié.

Les faits : Après ces deux jours d’hostilité le peu d’enthousiasme des Italiens se révèle et l’hésitation parait subsister. Sur le front pas encore d’attaque.

Survol : Malte, bombardement, survol Alger, bombardement, Bizerte, représailles, Bombardement dans le Nord de l’Italie, Lybie bombardée, marine, 27 bateaux de commerce sont séquestrés. Engagements Ethiopiens et armées alliées, les Italiens de Marseille s’engagent également.

Raisons d’espérer : nous sommes forts, nous gagnerons s’ils envoient 70 destroyers et matériel.

Mers El Kébir, aujourd’hui 13 mai 1940 à 7 heures du soir.

Je viens de lire le journal, et après notre randonnée au poste d’alerte, j’ai senti en regardant la carte, toute l’ampleur de notre malheur, toute l’immensité du courage surhumain de nos soldats. J’attends l’angoisse au cœur ces mesures dont Weygand parlait il y a un mois !!! ???

Le quart d’heure final quand ? où ? Paris presque investit (30 km) et l’Italie qui nous tombe dessus.

Appareillés hier soir à 11h00. DK-SB-P.B. et 3 C + 8 Dct + 3 T

Depuis 4 h 00 du matin jusqu’à 11 heures au poste de combat. But le Scharnhorst, mais il n’est pas passée et la rencontre avec nos sous-marins et les vibrations perçues, un avant-gout de la guerre. Et pourtant nous espérons quand même.

14 juin 1940 - Mers El Kébir

Le journal de ce matin est là sans commentaire. Paris est prise, notre situation est presque désespérée, appel de Reynaud révèle la grandeur du péril dans toute son ampleur.

Faut-il douter ? un instant, mais le cœur de la France bat dans le nôtre propre, et nous sentons que l’opprobre est plus grand, plus insupportable que le grand, le total sacrifice. Oui ce matin, les visages sont tendus mais il ne faut pas abandonner. L’Angleterre donne tout, on va tenir peut-être en attendant les Etats-Unis.

Trois alertes ce jour et 1’alerte de nuit hier soir.

18 juin 1940

La France est perdue. Les négociations de paix sont en cours mais la bataille continue, continue, semble-t-il jusqu’à l’effondrement, celui qui nous obligera à accepter tout : la paix allemande.

Oh ! ces jours 15, 16, 17, 18 juin, où nous avons vécu l’attente suprême et sans doute fatale, où nos cœurs ont enduré et présenté les conjectures les plus folles, les plus douloureuses, toutes aboutissants à l’Impasse tragique au dilemme angoissant : on ne peut continuer la guerre, on ne peut accepter la paix.

Les Anglais ont quitté la France, les troupes métropolitaines sont scindées en quatre. Toute résistance est presque vaine si la France est seule. Quelques espoirs côté Russie !!!

22 juin 1940

L’Armistice est près d’être signée et le ton général de la presse, je crois, tend à préparer l’opinion à l’acceptation de la Paix, car la France est meurtrie, elle est si lasse, elle a sacrifié tant de Jeunesse et usé tant de sa magnifique volonté. Il faut cesser le feu, vite car ses vies s’éteignent encore. Bordeaux, Marseille, Toulon continuent à être bombardées. Notre « carré » sublime des Vosges subit le feu meurtrier de l’ennemi. Clermont-Ferrand est atteint.

Hitler a fait traîner les pourparlers et lorsque la signature surviendra, il aura tellement avancé, tant de notre pays sera envahi qu’il pourra, le couteau sous la gorge, nous extirper la paix la plus cruelle.

Ne vivra-t-on jamais heures plus déchirantes. La France exténuée ne peut plus continuer. Mais l’Empire tremble pour lui et l’Afrique du Nord et l’Algérie surtout voudraient continuer à combattre pour conjurer le spectre monstrueux de la domination allemande.

Notre marine trop belle désormais voudrait se battre avec ces Français d’outre-mer… mais le drame se joue là dans toute sa tragique étendue…. Continuer ! mais alors la misère de la France n’aura plus de Bornes, tout sera rasé.

Nous ne pouvons pas l’accepter.

A moins que les exigences de Hitler soient trop grandes.

Familles essaimées par la France, familles errantes et mutilées qui menacent encore le feu et déjà la famine.

Et toi cher Marcel qu’est tu devenu ? Il faudrait pourtant que tu vives pour Lulu.

Maxime, Valentin ? Vous tous, chers amis qui avez vu la Mort mille fois errer sur vos têtes autour de vous, votre odyssée pathétique a-t-elle une heureuse fin ?

Même jour, le soir : Saint-Malo, sud d’Angers, Clermont, Gannat, Lyon, Tarare, Valence, Nantes, Brest et Lorient, bombardées.

Je n’avais jamais senti si intimement jusqu’à quel point peut aller l’identification de nos sentiments familiaux et patriotiques. Je l’avoue, jusqu’à aujourd’hui ma ferveur patriotique a été constante et très haute. Venger mes frères, réparer la souillure de l’envahissement continuer la guerre coûte que coûte, vaincre enfin malgré les hécatombes effrayantes….

Mais maman, mais Marcel, mais Lulu et Robert et tous mes « amours » parlent plus fort maintenant.

Je sens ma détresse croître et je redeviens ce Maurice aimant de toujours qui veut vivre pour sa famille, qui veut que sa famille vive…. Et la détresse de la France parle plus fort aussi…. Oh ! cette voix déchirante du malheur, cette supplication de milliers de femmes qui s’élève, immense de tout un Pays meurtri et vaincu, tous ces sanglots qui demandent grâce enfin dans la lassitude extrême dans le désespoir qu’ils expriment, dans l’impuissance tragique des grandes fins.

Ils dépassent en tristesse poignante et en réalité plus humaine plus inéluctable la volonté dernière qui appelle vengeance et gloire… mais sans être soutenue par l’Espoir.

Il faut arrêter pour panser la plus béante et la plus saignante qu’une Patrie, qu’un peuple n’ait jamais enduré.

J’ai toujours été un élément de grand et haut Moral à tout et j’ai relevé beaucoup de volontés chancelantes en expliquant la possibilité des derniers espoirs et le devoir à être dignes et égaux aux frères martyrs.

23 juin 1940,

Ce soir : pris connaissance que l’Armistice était signé avec l’Allemagne, hier à 22 heures mais n’entrera en vigueur que 6 heures après la signature avec l’Italie.

Les Italiens attaquent du Mont-Blanc à la Mer, le dernier coup porté avant la signature.

3 juillet 1940 à 5 h 45 du soir

Concerne l’assassinat de Mers-El-Kébir. J’ai vu tout le combat du haut de ma tour, les premières gerbes autour de la digue, le phare, la tourelle 2 percée, la 3ème crevée et la machinerie perdue…

Bruit d’enfer, vision tragique, oreilles bouchées, j’assiste à la mort horrible de la Bretagne…. Incendiée et le cercueil de feu et d’eau se retourne sur lui-même… ensevelissant 100 marins qui hurlent et …….

La rumeur inhumaine qui déchire le cœur, de ces milliers de poitrines clamant leur détresse retentit toujours à mes oreilles.

Vision, incendie, fumée…. Rade enflammée, le Mogador !

6 juillet 1940, vide entre temps. Catastrophe, à bord du Champollion - Oran

Je ne sais qu’écrire ni que penser. Après trois jours d’une atmosphère titanesque de combat de géant, de fatigue et de visions d’horreur, après deux exodes, à l’Ecole et à bord du Champollion, nous sommes là, les rescapés, vidés, las, toujours sous le coup du grand assassinat.

Ce matin le Dunkerque bombardé à nouveau et nouvelle tuerie, nouvelle hécatombe. Deux torpilles aériennes, le pont mitraillé, l’Angleterre inique.

Vengeance - Gibraltar cuirassé coulé ?

La France est assassinée de toute côté.

Souvenir accueil de la Directrice, inquiétude angoisse, mes parents, maman, baisers.

9 juillet 1940,

L’angoisse intérieure est presque passée car on s’habitue à cette idée qu’un bombardement est possible, qu’une autre boucherie est possible.

On s’habitue à l’idée de la mort, malgré l’Espoir du grand Bonheur de revoir les absents.

Accueil chaleureux de la Directrice Madame Clément et « Lucette » un ange de douceur, projets futurs… devant son adorable simplicité et sa tendresse mâtine.

A bord du Champollion.

11 juillet 1940

« Richelieu » le plus beau du monde attaqué et touché au mouillage à Dakar, Pasteur et Ile de France saisis.

Lettre à Jean Baume

« Je t’envoie mes pensées les plus fraternelles et les plus émues. Je suis sorti indemne de l’Enfer gigantesque…. Mais ma chair, mais mon cœur gardent à jamais l’empreinte angoissée et saignante de ce spectacle titanesque que mes pauvres yeux ont vu se dérouler seconde après seconde. Nous ne savons plus ce que l’Avenir nous réserve et si loin de mes tous chéris, derrière une mer désormais hasardeuse et menaçante, j’attends-je ne sais quoi, la mort ou le Retour ».

17 juillet, Mers-El-Kébir, Sidi Bel Abés, les Baléares.

Parti hier soir 16 juillet.

Pensées tristes au départ, Adieu fraternel et touchant à ceux qui restent, première vraie séparation.

Départ à 5 heures du soir

Emotion mélangée et très forte. Je ne savais plus si c’était un chant d’allégresse qui soulevait mon être ou le Regret prenant qui serrait mon cœur. Après ma dernière visite à Lucette, après les dernières pressions de main à ces femmes exquises et à mes grands amis, j’ai senti que je laissais trop de tendres pensées derrière moi pour pouvoir n’être qu’heureux de repartir vers ma petite patrie.

Les matelots chantaient, criaient leur joie de revoir Marseille et la France mais je ne parvenais pas les suivre sans arrière-pensée, sans cet élan vers la terre désirée. Je me suis laissé jusqu’à une heure avancée, alors que les voix commençaient à se taire, à la vie secrète et lente de la belle nuit, au murmure chuchotement humide et pressé des vagues repoussées…. Et tout ce que mon cœur appelle avec ferveur et tout ce qu’il venait de de perdre un peu se fondait dans le même trouble émouvant dans le même grand amour, rêve aimée…. Je vous souhaite la France et le Bonheur retrouvé avec le retour de Madame Clément et vous, mes sentiments aimants.

Lettre à Madame Clément à bord du Champollion

Je ne sais pas résister à la joie de vous remercier de suite. Vous ne m’en voudrez pas de prendre cette liberté dites.

Je suis si heureux voyez-vous de pouvoir écrire avec plus de sécurité à petite maman et à mes tous chéris que, votre dernière attention à mon égard m’a profondément touché.

La longue lettre que j’envoie à mes parents est presque assurée de les joindre… et pour avoir pensé à eux aussi délicatement vous m’êtes devenu plus qu’une bienfaitrice.

A ma reconnaissance s’ajoute désormais un sentiment profond et très doux qui ressemble à l’émotion chérie qui naît du Souvenir des mamans.

Je ne sais pas dire mieux ce que j’éprouve mais c’est un peu de moi-même que vous avez pris.

Lettre du 27 juillet 1940 à Mesdames Clément Saint-Astier

« Mes deux amies (me permettez-vous de vous appeler ainsi)

Même au milieu de l’ardent Bonheur que je bois comme un fou depuis quatre jours je n’oublie pas cette autre joie très douce elle aussi que me valut votre chère présence. Je vous avoue que ce n’est pas le soleil d’Oran que je regrette, celui de ma Dordogne retrouvée est plus clément et jamais implacable, mais vos voix et votre accueil m’avaient pris un peu et déjà me retenaient.

Je peux bien vous dire que mon émotion fut très forte et mélangée au moment de quitter l’Algérie. Je ne savais plus si c’était un chant d’allégresse qui soulevait mon (cœur) être ou le Regret prenant qui serrait mon cœur.

Après ma dernière visite, après les regards d’adieu et les dernières pressions de main les vôtres et celles de mes amies, j’ai senti que je laissais trop de tendres pensées derrière moi pour pouvoir n’être qu’heureux.

Les matelots criaient bien leur joie de revoir Marseille et la France mais je ne parvenais pas à les suivre sans arrière-pensée dans cet élan vers la terre désirée…. J’ai souri pourtant de voir un marin retardataire se jeter à l’eau pour nager vers le Sidi-Bel-Abbès et vers la France. Des hymnes d’espoir, l’enthousiasme et le vin aidant ont retenti longtemps sur ce petit paquebot qui s’enfonçait doucement dans la paix de la mer.

Alors que les voix commençaient à se taire, je me suis livré jusqu’à une heure avancée à la vie secrète et lente de la nuit au chuchotement humide et pressé des vagues repoussées et tout ce que mon cœur appelait avec ferveur et tout ce qu’il venait de perdre un peu se fondait sans le même rêve aimé.

Ces mêmes pensées m’ont accompagné durant toute la traversée mais lorsque Marseille est apparue c’est la joie qui a parlé avec le plus de force. J’étais heureux déjà. Que notre pied fût léger sur le sol de France, notre cœur l’était encore davantage. Avec deux amis nous avons terminé la soirée au cinéma et « Cavalcade » avec ses chants de bohême avec ses violons prodiges a fait de mon arrivée à Marseille un rêve musical et séduisant au possible.

Mais jamais le sommeil durant ces sept jours de voyage - sur le paquebot ou dans le train - n’est venu clore, mes paupières énervées. Je n’aurai de cesse qu’à mon arrivée là-bas, je le sentais bien et mes heures d’attente se passèrent à marcher. Je ne pouvais pas lire ni m’asseoir.

Et le dimanche à mon arrivée j’ai connu le plus indicible des Bonheurs, tous en provoquant la plus belle des surprises, la plus émouvante explosion de tendresse.

Petite maman dans mes bras, incapable de proférer la moindre parole et tout son joli visage secoué par une joie douloureuse par une joie trop grande tout à coup et que seules les larmes ont calmé peu à peu.

Et j’ai retrouvé mon beau-frère celui pour qui j’ai eu le plus de pensée fervente durant toute la guerre parce qu’il fut toujours en contact avec les Allemands. Il revient intact et avec la croix de guerre. Mon frère est là aussi échappé aux bombardements aériens et parents et jeunesse retrouvé et famille par les « dieux comblés » vivent à nouveau leur espoir d’autrefois dans la plus charmante des unions.

« Idée que j’ai confiée jusqu’à ce qui rêve de plus cher en moi…. Mais je ne le regrette pas. Vous avez toujours cette même douceur compréhensive de l’accueil passé, cette même Bonté et vous avez ma confiance ».

11 septembre 1940 - Saint-Astier - Dordogne

« Long abandon de mon journal, depuis le retour à Saint-Astier, je me suis livré sans arrière-pensée au Bonheur d’avoir retrouvé ce que j’avais de plus cher : petite patrie et grande famille.

Un lien cependant me ramène souvent vers le Passé tragique et proche où ma vie s’écoulait à Oran et à Mers-El-Kébir.

La petite et discrète idylle qui s’ouvrit aux jours de malheur dans l’accueillante maison de Madame Clément, prend mon cœur parfois et l’éclaire longtemps du plus charmant des souvenirs. Idylle où naissaient toute une floraison d’heureux sentiments, esquisse de la vie familiale retrouvée grâce à la présence de deux femmes délicieuses et toutes de bonté de délicatesse et de fervente douceur…. Naissance d’un sentiment plus nuancé plus tendre entre Lucette si « gentille » et moi-même.


Rina Ketty


Tino Rossi


Site Officiel dédié à Mers El Kébir




Crédit photos :

Martial Le Hir conférence - Memorial-national-des-marins.fr - Ledrame-merselkebir.fr - Battleshiplist.com - Marine-oceans.com - Herodote.net - Ina.fr -Wikipédia.fr - Galerie-creation.com, Guyot Michel - Colsbleus.fr - Netmarine.net - Navires & Histoire n° 27 - Popodoran.canalblog - Service éducatif des archives départementales de la Manche – « Une presse en eaux troubles. Les journaux français face aux événements de Mers-el-Kébir » - Olivier Chapuis - Duvaux-Bechon - Groupe de  Paris des Centraliens 

En cas d'absence d'un crédit photo vous pouvez me contacter à l'aide de la fiche ci-dessous.






Martial Le Hir







1944 – Juin – Réquisitions du groupe Franc Roland à Leguillac de l’Auche, auprès de Jean Neycensas, de 110 litres de vin rouge et d’une bêche.

Guerre d’Algérie

Neycenssas Jack né le 26 juillet 1935 décède en Algérie le 16 juillet 1957.














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